psychopathologie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Le mot, transposé de l'allemand Psychopathologie (qui désigne aussi une maladie mentale, comme l'anglais psychopathology), remplace peu à peu « psychologie pathologique », qu'on emploie plus spécialement pour l'étude des phénomènes morbides de la personnalité fondée par Ribot.
Philosophie Générale, Psychologie
Étude théorique des maladies mentales.
Il importe de distinguer l'épistémologie de la psychopathologie, en tant que discipline scientifique, de la philosophie de la psychopathologie, qui s'intéresse aux choix éthiques et métaphysiques qui rendent possibles une théorie de la folie, et éventuellement, sa constitution en corpus scientifique d'usage médical. Isolée de sa destination pratique en psychiatrie, la psychopathologie soulève déjà de vastes difficultés philosophiques, dans la mesure où la folie est indissociable d'un concept (intrinsèquement normatif) de la raison. La psychopathologie se construit ainsi sur le postulat d'une limitation anthropologique des conditions d'exercice de la raison, et pose qu'on reste homme quand on en a perdu l'usage. Le fait de la folie se distingue du fait de la raison sur cette base. C'est si peu évident qu'il faut pour cela écarter la solution théologique qui fait du fou un pécheur et de la folie une manifestation de la transcendance du mal. L'hésitation à punir certains criminels pervers en reste l'écho lointain : peut-on faire tant de mal sans être, en un sens, malade ?
Pinel est le premier psychopathologue à affronter ce problème. Supposant que les fous ne sont jamais absolument dépourvus de raison, et qu'ils sont accessibles à un « traitement moral », il postule leur curabilité intrinsèque. La raison, à ses yeux, subsiste comme un noyau inentamé par la « manie », et avéré, après la crise, par le souvenir et l'introspection. La validité de l'hypothèse est confirmée par sa façon de s'adresser au malade, en contournant sa folie pour atteindre ce noyau, et soigner. Or si ce procédé a permis de médicaliser la folie et donné naissance à la pratique psychiatrique, l'idée d'une partie saine du moi malgré la folie a plus de valeur normative que clinique. Hegel n'en a pas moins salué la logique.
Avec le triomphe des idées organicistes, après 1850, l'idée que le cerveau fait le fou (par une lésion ou par l'effet de la dégénérescence) a profondément influencé la psychologie, qui naît d'ailleurs sous la forme d'une psychologie pathologique positiviste (Ribot). Le même courant de pensée qui cérébralise la maladie mentale (étendant son champ des psychoses aux « névroses ») souligne la fragilité des notions non scientifiques de conscience et de raison, que réfutent les personnalités multiples ou la suggestion hypnotique. La psychopathologie apporte ainsi des arguments relativistes à la polémique anti spiritualiste, et plus généralement au refus du conceptualisme abstrait en philosophie. L'idée bernardienne de variation pathologique a peu à peu discipliné le débat : la maladie mentale nous instruit sur l'esprit normal. Chez Janet, puis Freud, la psychopathologie est explicitement au service d'une enquête philosophique (par destination, sinon par principe). La sémantique paradoxale des névroses fonde l'extension des concepts de désir, de volonté, de moi, et en crée de nouveaux (subconscient, inconscient psychologique, etc.). Critiquer la scientificité de Freud, à cet égard (Grünbaum), n'ôte rien à la finesse morale de son anthropologie. Il a maintenu ainsi que la maladie mentale restait une possibilité d'essence de l'homme, pas une fatalité biologique.
Radicalisant son attitude, la psychopathologie phénoménologique (Jaspers) a appliqué la variation pathologique aux structures existentielles donatrices de sens. Or, comment dénaturaliser la maladie mentale sans forger une sorte de déficit métaphysique ad hoc, où une liberté insondable endure une malédiction laïcisée ? À l'inverse, la psychopathologie cognitive, naturalisant l'intentionnalité de la vie mentale morbide (y compris sa subjectivité et sa qualité morale), pense la désadaptation du malade en termes darwiniens, génétiques, et en renvoie la faute à la nature. C'est entre ces deux extrêmes que la maladie mentale continue d'interroger la philosophie.
Pierre-Henri Castel
Notes bibliographiques
- Frith, C., la Neuropsychologie cognitive de la schizophrénie, PUF, Paris, 1993.
- Grünbaum, A., les Fondements de la psychanalyse, PUF, Paris, 1993.
- Hegel, G.W.F., Encyclopédie III. Philosophie de l'esprit, Vrin, Paris, 1988.
- Jaspers, K., Psychopathologie générale, (1933), Bibliothèque des Introuvables, Paris, 2000.
- Ribot, T., les Maladies de la personnalité, (1885), Harmattan, Paris, 2001.