folie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


De l'ancien fr. fol, « fou », lui-même issu du latin follis, « sac ou ballon plein d'air », par métaphore.


L'étymologie de « fou » renvoie à sac plein d'air, mais ce sac n'est pas seulement l'emblème du vide ou du creux, c'est aussi une déclinaison de la figure pneumatique de l'esprit. Ce vent dans un sac est l'image d'un souffle enfermé, d'une circulation de l'esprit qui est empêchée (ou délibérément inversée dans la folie carnavalesque(1)). On peut concevoir cet empêchement comme l'effet d'un conflit des passions obscurcissant la raison (à la manière stoïcienne), ou plus généralement comme une ombre que le corps fait peser sur l'âme, mais la radicalité même de ces approches oblige la philosophie à envisager toujours la possibilité que la pensée soit naturellement folie(2).

Philosophie Générale, Psychologie

Perte de la raison.

La notion désigne de façon informelle la perte de la raison (pas son échec, qui est l'irrationalité), sans la nuance de maladie mentale formellement stable de « psychose ». Chez Pinel et Esquirol, les « folies essentielles » désignaient les folies sans lésion cérébrale ni fièvre, authentiquement mentales. Les dénominations psychiatriques qui s'y référeraient ont peu à peu reculé (la « folie circulaire » est devenue la psychose maniaco-dépressive, les « folies raisonnantes » sont devenues les délires paranoïaques, etc.). « Folie » en effet garde une nuance morale (« folie aux yeux du monde, sagesse devant Dieu » de l'Évangile, « folie morale », désignant au xixe s. divers comportements pervers) et normative, avec la connotation transgressive qu'elle a chez Érasme.

L'usage antipsychiatrique du mot (Laing) sous-entend que le fou est arbitrairement exclu par la société dont il gêne le conformisme. Mais la folie est plus problématique quand les facultés y sont conservées, sinon exaltées, au service de la poursuite systématique de buts délirants. Ce ne sont plus alors les conventions sociales qu'elle dérange, mais l'intangibilité et l'autofondation de la raison. Les exemples canoniques de « folie raisonnante », sans hallucinations, donnés par Sérieux et Capgras, sont Rousseau et Strindberg (tous deux atteints de délire de persécution). Il peut être alors difficile à l'expert de discriminer folie et lucidité parfaite ; c'est le cas du testament haineux du persécuté, ou de certains revendicateurs, juristes brillants, dans la « folie des procès » (paranoïa quérulente). La notion d'« aliénation mentale » devient éventuellement inadéquate, dans la mesure où l'interprétation des faits (toujours négative et source de la réaction violente du malade) est parfois équivoque : seul un diagnostic structural de psychose, mobilisant une théorie explicite du sujet, permet de qualifier la pathologie (Lacan), même si le sujet a, par ailleurs, des motifs objectifs de réagir.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Brant, S., La nef des fous (1494), tr. N. Taubes, José Corti, Paris, 1997 ; Érasme, Éloge de la folie (1509), tr. P. de Nolhac, GF, Paris, 1964.
  • 2 ↑ Aristote, Problème XXX, tr. J. Pigeaud, sous le titre, L'homme de génie et la mélancolie, Rivages-Payot, Paris, 1988 ; Descartes, R., Méditations métaphysiques, I, édition Adam & Tannery, Vrin-CNRS, Paris, 1996, vol. IX, p. 14.
  • Voir aussi : Foucault, M., Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, Tel, Paris, 1972.
  • Lacan, J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Seuil, Paris, 1980.
  • Pigeaud, J., La Maladie de l'âme. Essai sur la relation de l'âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique, Les Belles Lettres, Paris, 1981.
  • Sérieux, P., et Capgras, J., Les folies raisonnantes, J. Laffitte, Marseille, 1982.
  • Swain, G., Le sujet de la folie, Privat, Toulouse, 1978.

→ déraison, psychose, raison