propriété
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin proprietas.
La propriété décrit la sphère du corps propre. Au sens juridique, cette relation au corps propre, qui fait l'appropnation et sa permanence, est rendue nécessaire par la subjectivation-même du droit. Toute propriété s'attache en effet à la possibilité d'une distinction (sens logique ou modal d'un attribut spécifique) ou d'une revendication (sens juridique). Dans l'ordre politique, la propriété est l'expression d'une puissance individuelle à laquelle nul ne renonce dans l'utopie contractualiste. Rousseau s'indigne de la première appropriation, dans le Second Discours, en des termes célèbres. Mais le pacte de gouvernement rejette la propriété dans la sphère d'un droit privé qui n'est transféré à la puissance collective que dans le communisme.
Linguistique, Métaphysique, Ontologie
Attribut, caractéristique, aspect de quelque chose.
Les propriétés peuvent être essentielles (les choses qui les possèdent ne peuvent pas ne pas les avoir) ou accidentelles (les choses qui les possèdent peuvent ne pas les avoir). Les propriétés peuvent être intrinsèques (les choses les possèdent indépendamment de toute autre chose, par exemple « peser soixante-dix-huit kilos ») ou relationnelles (les choses les possèdent relativement à d'autres, par exemple « être père »). Les propriétés sont des universaux, dans la mesure où plusieurs choses peuvent les posséder à la fois. Rouge, par exemple, est vrai de toutes les choses actuellement rouges.
Un nominaliste dira que les propriétés n'existent pas et sont réductibles à des collections de particuliers. Un conceptualiste dira que les propriétés existent, mais dépendent de l'esprit. Un réaliste modéré dira que les propriétés existent dans les choses ; un réaliste platonicien dira qu'elles existent ante rem, et donc indépendamment des choses qu'elles caractérisent. Dans ce dernier cas, on peut parler des propriétés comme de réalités intensionnelles dans la mesure où des propriétés distinctes peuvent être prédiquées d'exactement les mêmes choses. Ces différentes options continuent à faire l'objet d'âpres discussions entre les métaphysiciens(1).
Roger Pouivet
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Laurence, S., et Macdonald, C., Contemporary Readings in the Foundations of Metaphysics, Blackwell, Oxford, 1998.
→ nominalisme, ontologie, relation
Philosophie du Droit, Politique
Domination complète et exclusive d'une personne sur une chose (c'est le droit réel par excellence) ; par métonymie, la chose elle-même.
Depuis le droit romain, on analyse les effets de la propriété dans les trois droits d'« user », de « jouir » et de « disposer » (uti, frui, abuti). Elle implique le droit de tout faire sur la chose (y compris de la négliger ou de la détruire) et celui d'empêcher les autres de rien faire sur elle. Cependant, même si la propriété est un droit absolu, il n'est jamais illimité, puisqu'il s'exerce toujours dans les limites des restrictions établies par les lois.
Comment, si la possession de la terre est d'abord commune au genre humain, la propriété privée est-elle possible ? Dans l'absence d'un consentement universel impossible, l'appropriation par un individu d'une parcelle de terrain n'est-elle pas un vol commis au préjudice de la communauté humaine ? Locke répond à cette question en soulignant d'abord que chaque homme est propriétaire de sa propre personne, et par conséquent de ses propres actions. Lorsqu'un homme transforme par son travail un élément naturel, il y met quelque chose de lui. S'il ramasse de la nourriture, s'il met en valeur un champ, c'est le travail qui le rend propriétaire de la chose. « Ce travail a mis une distinction entre elle et les choses communes. C'est lui qui y a ajouté quelque chose de plus que ce que la nature, qui est la mère commune de tout, avait fait ; par là, elle relève désormais de son droit privé. »(1)
Mais n'y a-t-il pas là une faute logique, qui consiste à faire comme si la possession de l'accident (ce qui arrive à la chose transformée par mon travail) pouvait produire possession de la chose elle-même ? C'est ce que souligne Kant, pour qui le travail n'est pas nécessaire à l'acquisition, mais c'est au contraire la prise de possession qui est nécessaire pour que je puisse réclamer comme ma propriété ce que j'ai semé dans le champ : celui qui a transformé par son travail un sol qui n'était pas d'abord le sien a simplement perdu sa peine. Le travail sur le sol est signe de ma prise de possession antécédente, et Locke a pris le signe pour la chose. Comment passe-t-on alors de la propriété commune originaire à la propriété privée ? Par l'occupation, qui vaut dans l'état de nature comme titre empirique d'acquisition. Mais dans l'état de nature, cette acquisition ne peut être que provisoire. Elle donne cependant un droit à réclamer sa légitimation, c'est-à-dire à réclamer aux autres un accord pour produire une loi qui donne à chacun une propriété privée sur le sol commun. C'est pourquoi c'est par la question de la propriété que nous sommes forcés de passer de l'état de nature à l'état civil, qui seul donne force légale au droit de propriété.
Kant précise qu'on ne peut être propriétaire que des choses, et non des personnes (y compris soi-même) : « L'objet extérieur qui est le sien de quelqu'un selon la substance est la “propriété” (dominium) de celui auquel sont inhérents tous les droits sur cette chose (comme des accidents à la substance) dont le “propriétaire” (dominus) peut ainsi “disposer à son gré” (jus disponendi de re sua). À partir de là, il va de soi qu'un tel objet ne saurait être qu'une chose corporelle (envers laquelle on n'a point d'obligation) et que de la sorte un homme peut être son “propre maître” (sui juris) mais non le “propriétaire de soi-même” (sui dominus, pouvoir disposer de soi à son gré) et encore moins celui d'autres hommes. »(2)
Colas Duflo
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Locke, J., Le second traité du gouvernement, chap. 4, trad. J. F. Spitz et C. Lazzeri, PUF, Paris, 1994, p. 23.
- 2 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, I, Doctrine du droit, § 17, remarque, in Œuvres philosophiques, Gallimard, La Pléiade, Paris, t. III, 1986, p. 527.
- Voir aussi : Hegel, F.W.G., Principes de la philosophie du droit, 1ère partie, 1ère section, PUF, Paris, 2003.
- Rousseau, J.-J., Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Gallimard, Paris, 1990.