droit
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du bas latin directum, « direct », « droit » (au sens géométrique).
Morale, Philosophie du Droit, Politique
1. Ce qui est juste ou ce qui est conforme à la loi, qui a rapport à la loi. – 2. Ce qu'il est légitime d'exiger, en vertu des lois en vigueur ou du droit naturel. – 3. Ensemble des règles qui régissent la conduite de l'homme en société et les rapports interhumains, qui servent à établir ou à distinguer ce qui est juste et injuste, science du droit ainsi compris. En ce dernier sens, le droit se divise en droit naturel et droit positif. Le droit naturel résulte des lois naturelles, éternelles, nécessaires, qui peuvent se déduire rationnellement de la nature de l'homme et des rapports humain. Le droit positif est l'ensemble des lois établies par les hommes dans une société historiquement donnée. Il se divise à son tour en droit public (relatif aux rapports des citoyens avec l'État), droit privé (relatif au rapports des particuliers entre eux – s'identifie pour l'essentiel avec le droit civil), et droit des gens (ensemble des droits régissant les rapports des états entre eux ou des individus appartenant à des états différents – on peut cependant aussi considérer qu'au sens strict le droit des gens n'appartient pas au droit positif et qu'il forme une classe à part).
Une définition problématique
La polysémie du mot droit, qui peut désigner à la foi une loi et une faculté (la puissance, le pouvoir de faire ceci ou cela conformément à la loi, dont l'opposé est l'obligation), a été très tôt est très souvent soulignée. Mais c'est surtout le risque de circularité qui rend la définition du droit problématique. On définit en effet le droit par le juste, et ce qui est juste par ce qui est conforme au droit. La tradition latine ancre le droit dans le juste. Ainsi le Digeste d'Ulpien (I, 1), citant Celse, dit que le droit est l'art du bon et de l'équitable (Jus est ars boni et aequi) et les Institutes (I, 2) de Justinien en définissent les préceptes ainsi : vivre honnêtement, ne léser personne, donner à chacun le sien (honeste vivere, alterum non laedere, sum cuique tribuere). Thomas d'Aquin, à partir d'une lecture du livre V de l'Éthique à Nicomaque d'Aristote, définit le droit par le juste (Jus id quod justum est)(1). Les juristes, pour leur part, préfèrent définir le droit comme l'ensemble des lois ou des règles juridiques applicables aux hommes. Ce risque de circularité peut cependant être conjuré pour l'essentiel par la distinction du droit naturel, qui s'identifie à l'équitable et au juste qui est le même en tous temps et en tous lieux, et du droit positif, qui est cet ensemble de règles juridiques qui peut différer selon les temps et les lieux. Comme l'écrit déjà Bodin : « Le droit est un rayon de la bonté et de la prudence divine donné aux hommes pour l'utilité de la société humaine. On le divise en deux espèces, le droit naturel et le droit humain. Le droit naturel, ainsi appelé parce que chacun de nous le possède à l'état inné depuis l'origine de l'espèce, est pour cette raison toujours équitable et bon [...]. Le droit humain est celui que les hommes ont institué conformément à la nature et en vue de leur utilité.(2) »
Morale et droit
Comme la morale, le droit fait partie du domaine de la philosophie pratique. Le sujet du droit, comme celui de la moralité, doit être compris comme une liberté rationnelle qu'accompagne la conscience de la loi. Sans ce présupposé, il n'y a pas de responsabilité, ni d'obligation juridique ou morale concevable. Il faut cependant distinguer morale et droit. Contrairement à la moralité, qui demande l'adhésion intérieure à la loi et non la simple conformité, le droit est affaire d'extériorité. Il suffit de se conduire conformément à ce que les lois prescrivent. Il règle les rapports extérieurs des libertés entre elles, quant à la forme et non quant à la matière (par exemple, dans un contrat de vente, le droit s'occupe de la légalité du contrat, et non du caractère avantageux ou non de la transaction). Selon Kant, « le droit est donc le concept de l'ensemble des conditions auxquelles l'arbitre (Willkür) de l'un peut être accordé avec l'arbitre de l'autre d'après une loi universelle de liberté.(3) » Comme l'obligation juridique n'est pas l'obligation morale, et ne saurait porter sur les mobiles, et comme la conformité à la loi exigée par le droit ne peut être qu'extérieure, la forme contraignante de l'obligation ne peut être aussi qu'extérieure. Ainsi le droit ne peut être pensé sans la contrainte : « Le droit strict peut aussi être représenté comme la possibilité d'une contrainte réciproque parfaite s'accordant avec la liberté de chacun suivant des lois universelles(4) ».
Le droit naturel
Les sources de la notion de droit naturel sont à chercher dans l'antiquité, chez Aristote(5), qui affirme qu'il y a un sentiment naturel et commun de la justice avant même tout contrat, et surtout chez Cicéron(6), pour qui la loi naturelle exprime la droite raison conforme à la nature, éternelle et divine. Thomas d'Aquin distingue clairement le droit naturel, ce qui est naturellement juste, fondé sur le rapport d'égalité naturelle entre les choses (je vous donne 5 euros, vous me devez 5 fois un euro), et le droit positif, fondé sur des conventions (nous pouvons être d'accord sur le fait que pour 5 euros, j'ai en échange un kilo de fraises)(7). Ce sont les théoriciens du droit de l'âge classique, comme Grotius, Pufendorf, Barbeyrac, ou Burlama-qui, qui donnent à cette notion une importance fondamentale dans l'élaboration de l'idée moderne de droit. Le droit naturel, qui peut se déduire par la seule raison de la nature même des hommes, est conçu comme norme pour l'élaboration du droit positif et de la société politique en général. « La loi naturelle est une loi divine que Dieu a donnée à tous les hommes et qu'ils peuvent connaître par les seules lumières de leur raison, en considérant attentivement leur nature et leur état. Le droit naturel n'est autre chose que le système, l'assemblage de ces mêmes lois.(8) »
Colas Duflo
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Thomas d'Aquin, Somme théologique, IIa, IIae, 57, 1, ad Resp.
- 2 ↑ Bodin, J., Exposé du droit universel, cité par S. Goyard-Fabre et R. Sève, les Grandes questions de la philosophie du droit, PUF, Paris, 1986.
- 3 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, Doctrine du Droit, Introduction, § B, in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1986, t. III, p. 479.
- 4 ↑ Ibid. § E, t. III, p. 480.
- 5 ↑ Aristote, Rhétorique, 1373b.
- 6 ↑ Cf. Cicéron, De legibus.
- 7 ↑ Thomas d'Aquin, IIa, IIae, 57, 2, ad Resp.
- 8 ↑ Burlamaqui, Principes du droit naturel, Hildesheim, Olms, 1984, ch. V.
→ juste, justice, liberté, morale
philosophie du droit
Il n'y a pas de relation analytique entre le droit et la morale. Du moins peut-on affirmer qu'un droit juste inscrit dans la positivité du fonctionnement d'un État une certaine mesure de justice et de morale. C'est le mouvement même de l'histoire, selon Kant, que d'inscrire progressivement dans les Constitutions le point de vue universel et éthique qui ne se trouvera réalisé que dans la “Constitution naturelle”. C'est dans cette tension entre le droit positif, qui est aussi celui de l'extrême injustice où chacun à titre privé vient réclamer son dû, et le droit universel qui tend à considérer l'humain plutôt que chaque homme ou femme en particulier, que se joue la notion de droit. Toutes les contradictions du droit en dérivent : le droit peut-il prescrire le moment où il convient de modifier le droit lui-même, y a-t-il un droit de révolte, droit de l'homme et droit du citoyen. C'est pourquoi l'espace décrit par le droit doit pouvoir être parcouru par d'autres acteurs que les seuls techniciens, juristes et professionnels de la loi. Car si le droit est véritablement l'expression de l'esprit d'un peuple, du moins faut-il, face aux sources très diverses où il puise son existence (pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire dans le cas de la jurisprudence), le mettre sans cesse à la question. Les révolutionnaires selon Kant sont ceux qui ont fait mûrir le droit sans jamais avoir à s'exciper des règles du droit en vigueur.
Philosophie du Droit
Le champ de la philosophie du droit est vaste et d'une diversité qui résiste à toute présentation d'ensemble. Les débats, les problématiques et les façons de les aborder sont souvent marqués par l'histoire et par les différences des cultures juridiques nationales. Pour ne prendre qu'un exemple, il est clair que Hegel(1) ne pense pas du tout dans le même contexte juridique que R. Dworkin(2). Lorsque ce dernier oppose au conventionnalisme (les juges appliquent des conventions juridiques particulières) et au pragmatisme (les juges produisent des décisions indépendamment) l'idée du droit-intégrité, qui associe jurisprudence et justice, il est manifeste que sa conception d'un droit subordonné à l'interprétation dominée par un principe de délibération est très marquée par le contexte juridique anglo-saxon. En un sens, il ne fait pas la philosophie du même droit que celui dont parlait Hegel. Il n'est pas étonnant dès lors qu'il n'y ait que peu de points de comparaisons possibles entre ces deux pensées. Aussi l'idée d'une courte présentation synthétique des différentes pensées qu'on peut regrouper sous le nom général de philosophie du droit est-elle largement illusoire. On peut cependant expliciter le sens d'une philosophie du droit et évoquer quelques grandes questions débattues.
Pourquoi une philosophie du droit ?
Si le droit a déjà ses spécialistes, les juristes et tous les professionnels du droit de manière générale, quel peut être l'apport du philosophe ? La différence du philosophe et du juriste, comme le souligne Kant(3), apparaît lorsque l'on pose la question fondamentale « qu'est-ce que le droit ? ». La réponse est l'objet du philosophe, elle est métajuridique. Car pour celui qui se tient dans les limites de la connaissance des lois positives, elle ne peut donner lieu qu'à une tautologie : le droit est le droit, c'est-à-dire ce que l'ensemble des lois positives définit comme le droit. Or une compréhension du droit métajuridique est nécessaire puisque c'est elle seule qui permet d'évaluer, non simplement la conformité aux lois, mais bien les lois elles-mêmes. Dire si une loi est bonne ou si elle est juste est l'affaire d'une raison qui se préoccupe de la nature des lois aussi bien que de leur justification, des fondements du droit, de l'idée de justice, etc. Ainsi une philosophie du droit, qui ne peut être confondue avec la science du droit du juriste et qui en est le nécessaire complément, est indispensable. Elle s'interrogera sur les sources du droit aussi bien que sur ses fins.
Les fondements du droit
Un des problèmes majeurs de la philosophie du droit est celui des sources du droit (la métaphore vient du De legibus de Cicéron). Comment le droit positif peut-il être à la fois positif et normatif ? La question, formulée en d'autre termes consiste à savoir si le droit est antérieur à la loi. Les lois présupposent-elles le droit (comme si elles le faisaient exister comme quelque chose qui les précède) ou, au contraire, produisent-elles par elles-mêmes le droit ? Les philosophes du droit naturel, ou jusnaturalistes, considèrent que si la loi positive peut être juste, c'est parce que le droit naturel est fondement du droit positif. C'est ce qui distingue la contrainte légale de la contrainte arbitraire (en quoi les règles du droit ne sont pas les règles d'un jeu) et c'est parce qu'elle est juste que les citoyens peuvent être tenus d'obéir à la loi. Le droit naturel doit fonder le droit positif, inspirer l'élaboration des lois positives et servir à leur évaluation.
À l'opposé des jusnaturalistes, les tenants de ce qu'on peut appeler en termes contemporains le « positivisme juridique » affirment, Hobbes le premier, qu'il n'y a de droit que par la loi. Hobbes souligne que celles qu'on appelle « lois de nature » ne deviennent véritablement lois que lorsque la république est établie, c'est-à-dire lorsque le pouvoir souverain oblige les hommes à leur obéir, c'est-à-dire lorsqu'elles sont devenues aussi des lois civiles(4). Spinoza, de son côté, se livre à une critique décapante de la notion de droit naturel, en soulignant que, si le droit naturel est celui qui se déduit de la nature humaine, alors il n'est pas déterminé par la raison, mais par le désir et la puissance, puisque les hommes ne sont pas d'abord déterminés par la raison mais, comme tous les êtres de la nature, par le désir de persévérer dans leur être et d'augmenter leur puissance d'agir. « Par exemple, les poissons sont déterminés par la nature à nager, les gros à manger les petits, et c'est donc par un droit naturel souverain que les poisons sont maîtres de l'eau et que les gros poissons mangent les petits.(5) » Au xxe s., Kelsen(6) a profondément marqué le positivisme juridique en insistant sur l'idée de norme. Les normes du droit, qui servent à interpréter les faits comme conformes ou non au droit, sont crées par la coutume ou par une édification consciente. La norme juridique doit être comprise comme un cadre pour l'interprétation. Les normes sont hiérarchisées (par exemple la loi est subordonnées à la constitution), mais toute application de la loi, qui résulte d'une interprétation de la norme juridique, est ipso facto création de droit. Le droit subjectif (lorsqu'on dit que quelqu'un possède un droit, par exemple le droit de se faire rembourser un prêt) n'existe pas avant les normes juridiques positives, ni même en dehors d'elles, comme le croient les jusnaturalistes : il est simplement la possibilité juridique de contraindre (par exemple, de contraindre juridiquement l'autre à me rembourser).
Les fins du droits
La question des fins du droit est une autre question récurrente des philosophies du droit. La formule d'origine cicéronnienne, très souvent citée, salus populi suprema lex esto (« le bien du peuple est la suprême loi »), donne la visée du bien général comme objectif premier du droit. Elle trouve un écho dans l'utilitarisme moral de [line]J. S. Mill qui ne se contente pas d'affirmer, après de nombreux auteurs, qu'il est conforme à l'utilité générale que les droits de chacun soient garantis, en particulier ceux qui sont relatifs à la propriété, mais qui fait de cette utilité générale le but même du droit. Un de ses inspirateurs, Bentham, écrivait déjà, au tout début du Traité des preuves judiciaires, que « l'objet des lois est de produire, au plus haut degré possible, le bonheur du plus grand nombre ».
Kant s'était insurgé déjà contre ce genre d'analyse, puisqu'on peut bien au nom du bonheur général, priver tout les citoyens de leur liberté innée, ou confisquer la terre d'un peuple au motif qu'il ne sait pas la cultiver lui-même (ou spolier une minorité au profit du bonheur du plus grand nombre). La fin du droit ne peut être que la constitution d'une société juridique parfaite, qui doit se réaliser dans l'accord juridique des États entre eux, c'est à dire dans un droit cosmopolitique, où cessent les guerres, qui sont toujours des plages de non droit : « Cette institution universelle et perpétuelle de la paix n'est pas une simple partie, mais constitue la fin ultime tout entière de la doctrine du droit [...] car l'état de paix n'est que l'état du mien et tien garanti par des lois, au milieu d'une masse d'hommes voisins les uns des autres donc réunis au sein d'une constitution(7). » Héritier de Kant sous certains aspect, J. Rawls, à son tour, ancre sa réflexion sur le droit dans l'idée d'une primauté de la justice sur toute autre considération : « Nous dirons qu'une société est bien ordonnée lorsqu'elle n'est pas seulement conçue pour favoriser le bien de ses membres, mais lorsqu'elle est aussi déterminée par une conception publique de la justice.(8) »
Les sociétés modernes ont souvent assigné au droit une finalité qui peut être compatible avec chacune des deux conceptions précédentes : la protection des individus et en particulier de leurs propriétés. Dans une analyse quelque peu réductrice, on fait souvent du Second traité du gouvernement de Locke un des textes où s'exprime en premier lieu cet individualisme juridique moderne : « La fin essentielle que poursuivent des hommes qui s'unissent pour former une république, et qui se soumettent à un gouvernement, c'est la préservation de leur propriété.(9) »
Colas Duflo
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Hegel, F., Principes de la philosophie du droit, trad. J. F. Kervégan, PUF, Paris, 1998.
- 2 ↑ Dworkin, R., l'Empire du droit, trad. E. Soubrenie, PUF, Paris, 1994.
- 3 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, Doctrine du droit, Introduction, § B, in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1986, t. III.
- 4 ↑ Hobbes, T., Léviathan, ch. XVIII, trad. F. Tricaud, Sirey, 1971.
- 5 ↑ Spinoza, B., Traité théologico-politique, trad. J. Lagrée et P.-F. Moreau, PUF, Paris, 1999, p. 505.
- 6 ↑ Kelsen, H., Théorie pure du droit, trad. C. Eisenmann, Dalloz, Paris, 1962 ; Théorie générale des normes, trad. O. Beaud et F. Malkani, PUF, Paris, 1996.
- 7 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, Doctrine du Droit, in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1986, t. III, p. 629.
- 8 ↑ Rawls, J., Théorie de la justice, trad. C. Audard, Seuil, coll. Points-essais, Paris, 1997, p. 31.
- 9 ↑ Locke, J., Second traité du gouvernement, trad. J. F. Spitz et C. Lazzeri, PUF, Paris, 1994, p. 90. Locke précise bien que sous le nom générique de propriété, il entend la vie, la liberté et les biens.
- Voir aussi : Duflo, C., Kant, la raison du droit, Michalon, 1999.
- Goyard-Fabre, S., et Sève, R., les Grandes questions de la philosophie du droit, PUF, Paris, 1986.
droits de l'homme
Morale, Politique
Droits naturels et imprescriptibles de tout individu, sans distinction de sexe, d'origine ou de religion. La déclaration de 1789 évoque quatre droits fondamentaux : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.
Ancrée dans l'idée de droit naturel, l'idée de droits de l'homme trouve son expression emblématique dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, placée en préambule de la constitution de 1791, qui est le modèle de toutes les déclarations des droits de l'homme ultérieures, dont la plus connue est peut-être la déclaration universelle des droits de l'homme adoptée sous forme de charte par l'assemblée générale des Nations-Unies le 10 décembre 1948. La déclaration de 1789 affirme l'idée de droits de l'homme, en référence à des droits naturels de l'individu et du sujet politique. Ce sont les fondements de l'institution politique, qui a pour fin première de les préserver.
« Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs. »
Dans l'esprit de ses auteurs, il est important qu'il y ait déclaration, c'est-à-dire que les droits de l'homme, fondements de toute bonne constitution, soient exposés, rendus publics et protégés par la loi. Il y a là un acte politique, fondé sur une philosophie du droit naturel, qui passe par une pédagogie politique. La déclaration affirme d'abord la liberté et l'égalité juridiques, avant d'exposer les principes essentiels de la philosophie jusnaturaliste à laquelle elle se rattache : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune » (art. 1). « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression » (art. 2). Les quinze articles suivants développent ces premiers éléments. Après l'affirmation de la souveraineté de la nation, ils explicitent le sens à donner à la notion de liberté politique (« pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »), qui ne peut être délimitée que par la loi, et qui se réalise comme liberté physique (ne pas pouvoir être arrêté arbitrairement), liberté d'opinion (notamment religieuse) et d'expression (notamment par voie de presse). L'égalité devant la loi et devant la justice, ainsi que devant l'impôt, est soulignée, fondée sur la reprise de l'affirmation rousseauiste de la loi comme expression de la volonté générale. Le dernier article reprend l'affirmation de la propriété comme « droit inviolable et sacré ».
La déclaration de 1789 hérite par bien des aspects de déclarations antérieures, dont les plus connues sont la Magna carta de 1215, la Petition of Rights de 1629 et le Bill of Rights de 1688. Mais ce sont surtout les diverses déclarations liées à la révolution américaine, ancrées dans la revendication de droits politiques inaliénables, comme la liberté individuelle, la liberté religieuse, la propriété, etc., qui peuvent se présenter comme des modèles pour celle de 1789. La déclaration de l'indépendance du 4 juillet 1776 est de ce point de vue exemplaire : « Les hommes naissent égaux ; (...) leur Créateur les a dotés de certains droit inaliénables parmi lesquels sont la vie, la liberté, la recherche du bonheur ; (...) les gouvernements humains ont été institués pour garantir ces droits. »
Philosophie et droits de l'homme
Il n'en reste pas moins que, comme expression de cet événement historique et politique qu'est la Révolution française, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en laquelle se résument différents courants de philosophie politique antérieurs, devient presque immédiatement un sujet de réflexion pour les philosophes, en particulier en Allemagne. Kant voit dans l'enthousiasme que la Révolution française suscite chez un spectateur impartial le signe d'une disposition morale de l'humanité qui permet de croire au progrès de l'humanité dans l'histoire. C'est que la France présente alors le spectacle d'un peuple qui défend et proclame son droit, et qu'il y a une tendance morale en nous qui fait que nous ne pouvons nous empêcher d'approuver l'affirmation du droit de l'humanité(1). Mais c'est autour de l'inventaire même de ces droits que le débat se focalise. L'article deux en dressait la liste sans hiérarchie : liberté, propriété, sûreté, résistance à l'oppression. Kant en ordonne la formulation. Il n'y a qu'un seul droit inné, qui appartient à tout homme en vertu de son humanité, c'est la liberté. La propriété en est une conséquence nécessaire dans la mesure ou cette liberté extérieure doit avoir des objets dont l'usage est en sa puissance. La sûreté, qui seule rend la propriété durable, est ce qui doit être produit par le passage de l'état de nature à l'état juridique, état de justice distributive où une constitution garantit le droit. Ce que Kant ne peut admettre, en revanche, c'est l'idée d'un droit de résistance à l'oppression. C'est que la différence entre l'état juridique et l'état de nature tient dans la soumission à une volonté universellement législatrice. Toute insoumission sape l'état juridique lui-même, et retourne à l'état de nature. Elle ne peut par conséquent être un droit, qui serait un droit de supprimer l'état de droit. Le prétendu droit de se révolter est donc contradictoire : « Pour que le peuple soit habilité à résister, il faudrait que l'on dispose d'une loi publique qui permette cette résistance du peuple, c'est-à-dire que la législation suprême renferme un article stipulant qu'elle n'est pas suprême et assimilant, d'un seul et même jugement, le peuple qui est sujet au souverain de celui auquel il est soumis – ce qui est contradictoire.(2) » En quoi Kant s'oppose au jeune Fichte, qui se passionne pour la Révolution française et pour sa promulgation des droits de l'homme, et qui proclame le droit qu'à l'homme de réaliser lui-même son droit, y compris par la violence. Il est légitime de renverser un pouvoir qui ne respecte pas les droits de l'homme, dans la mesure où ces droits priment sur la considération de la stabilité politique(3).
Critique des droits de l'homme
Marx souligne pour sa part combien les déclarations de 1789 et de 1791 sont liées à un moment historique déterminé. Il note qu'il y a dans l'intitulé même, « droits de l'homme et du citoyen », la trace d'une contradiction mal résolue. Les droits de l'homme, tels que les posent les déclarations sont en réalité ceux de l'individu égoïste : la liberté est définie négativement, la propriété est comprise comme droit de garder son bien privé, et la sûreté n'est rien de plus que la protection de ce bien : « Aucun des prétendus droits de l'homme ne s'étend au delà de l'homme égoïste.(4) » Lorsque la déclaration définit le but de toute association politique par la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme, elle trahit bien que, en fait de droits de l'homme et du citoyen, il s'agit de mettre le second au service du premier, c'est-à-dire de soumettre la communauté politique aux seuls intérêts privés. Les droits de l'homme sont donc simplement le reflet de l'évolution de la société du xviiie s. vers la société bourgeoise, et correspondent à l'affirmation politique et idéologique du bourgeois. L'homme des droits de l'homme, c'est lui. « On a montré que la reconnaissance des droits de l'homme par l'État moderne n'a qu'une signification : la reconnaissance de l'esclavage par l'État antique. En effet, si la base naturelle de l'État antique est l'esclavage, celle de l'État moderne est la société bourgeoise, l'homme de la société bourgeoise, c'est-à-dire l'homme indépendant, rattaché aux autres hommes par le seul lien de l'intérêt privé et de l'aveugle nécessité naturelle, l'esclavage du travail par le gain, l'esclavage de son propre besoin égoïste et du besoin égoïste d'autrui.(5) »
L'analyse marxiste montre à quel point cette proclamation de droits de l'homme qui prétend valoir universellement s'enracine dans la situation sociale et historique particulière de ses auteurs, représentants de la bourgeoisie française de la fin du xviiie siècle. En détournant cette analyse, qui ne contestait pas tant l'idée même de droits de l'homme que leur formulation et la finalité particulière de cette énonciation, des voix se sont élevées dans certains pays pour assigner les droits de l'homme à une expression particulière de la conscience occidentale et pour assimiler l'universalisme de leur formulation à un impérialisme déguisé. Les droits de l'homme ne seraient alors que le témoignage d'une culture qui n'aurait pas de leçon à donner aux autres. Cette contestation de l'idée même de droits de l'homme, par l'affirmation du relativisme des valeurs culturelles, vaut ce que valent ses finalités : elle sert à ceux qui veulent continuer à pratiquer l'excision, à ceux qui veulent continuer d'emprisonner leurs opposants politiques, etc.
Colas Duflo
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Kant, E., le Conflit des facultés, 2e section, § 6, in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1986, t. III.
- 2 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, Doctrine du Droit, in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1986, t. III, p. 587.
- 3 ↑ Fichte, J. G., Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française, trad. J. Barni, préf. M. Richir, Payot, Paris, 1989.
- 4 ↑ Marx, K., la Question juive, cité par B. Bourgeois, Philosophie et droits de l'homme, de Kant à Marx, PUF, Paris, 1990, p. 105.
- 5 ↑ Marx, K., la Sainte Famille, cité par B. Bourgeois, Ibid., p. 110.
L'éthique peut-elle commander le droit ?
Quelle portée et quelle signification accorder au fait qu'un ordre juridique défini par l'ensemble des lois en vigueur dans une société donnée, autrement dit par ce que l'on nomme un droit positif, puisse entrer en conflit avec des convictions éthiques qui reposent sur une loi ou un ordre censés être supérieurs à ceux de la cité (Antigone), ou sur une instance censée exprimer ce que tout homme considère comme juste (Socrate) ? Faut-il en conclure que l'éthique peut commander le droit, et que la validité de tout droit positif repose sur un accord, ou du moins un non-désaccord, avec des normes qui définissent ce qui vaut et ce qui ne vaut pas sur le plan éthique ? Ou faut-il penser que l'autonomie et la spécificité du droit imposent d'en concevoir la normativité hors de toute référence à l'éthique ?
Le droit comme instrument au service d'une éthique « absolutiste » ?
Si l'on définit l'éthique comme une représentation du sens de l'existence humaine fondée sur la référence à un bien absolu, force est d'abord de reconnaître qu'il n'est pas sans dangers d'affirmer que l'éthique commande le droit : subordonner le droit à une éthique particulière, en faire l'instrument d'un pouvoir imposant par la contrainte tel ou tel idéal de vie, n'est-ce pas détruire la possibilité même d'une coexistence ou d'une tolérance mutuelles entre des groupes, qui, au sein d'une même société, se réclament de convictions éthiques différentes ? Comment éviter, dans cette perspective, les heurts violents entre divers « fondamentalismes », religieux ou non, dont chacun prétend détenir la vérité exclusive quant aux fins ultimes de l'homme et aux voies de son salut ? Peut-être dira-t-on qu'il suffit, pour écarter la difficulté, de remplacer telle ou telle détermination particulière du bien par un bien universel ? Mais le remède n'est-il pas pire que le mal ? En réduisant le droit à l'éthique, puisque « la science mystérieuse [...] de la législation » consiste à « mettre dans les lois et dans l'administration les vertus morales reléguées dans les livres des philosophes, et à appliquer à la conduite des peuples les notions triviales de probité que chacun est forcé d'adopter pour sa conduite privée(1) », Robespierre aboutit à un terrorisme de la vertu, mis en œuvre par un gouvernement qui, se voulant l'incarnation exclusive de l'universel, finit par voir en la singularité même de chacun une menace qui en fait un suspect et un coupable potentiel(2).
La distinction du droit et de l'éthique : le positivisme juridique
Dans ces conditions, la solution n'est-elle pas de séparer les deux domaines et de dire que le droit, chargé d'assurer la coexistence pacifique et la collaboration des membres d'une société, est une « technique sociale » basée sur la contrainte(3), qui n'exige des citoyens que la conformité « extérieure » de leurs actes à la loi, abstraction faite des mobiles(4) ; alors que l'éthique, soucieuse du bonheur de l'individu, dont elle vise « l'absolu accord avec soi-même(5) », exige la pureté des intentions, mais ne concerne que la sphère privée de l'existence ?
Cette solution a l'avantage de permettre, outre le fait de dissiper les confusions dues à la polysémie du terme justice(6), que soit tolérée n'importe quelle conviction éthique, pourvu qu'elle demeure une affaire privée et ne trouble pas l'ordre social dont le droit est le garant(7). Mais n'a-t-elle pas aussi l'inconvénient de conduire à une pure et simple identification entre justice et légalité ? Autrement dit de reposer sur un positivisme pour lequel c'est la loi positive et elle seule qui dit ce qui est juste, toute référence à d'autres normes étant un non-sens juridique(8) ?
La thèse dispose d'arguments solides : ainsi est-il certain que les défenseurs d'une justice supra positive ont le plus grand mal à s'accorder sur son contenu, ou encore que leurs principes sont d'une généralité telle qu'il est impossible de leur conférer un sens précis et univoque, de sorte que l'invocation d'une justice transcendante relèverait d'une pure idéologie –par opposition à une théorie scientifique(9) – et, qui plus est, d'une idéologie dangereuse qui ruine le principe de la sécurité juridique en introduisant indétermination et arbitraire là où il importe au contraire que le juge dispose de règles déterminées et techniquement interprétables, et que tout citoyen puisse calculer les conséquences légales d'un comportement(10).
Ces arguments sont en outre difficiles à contester sur le plan où ils sont énoncés, c'est-à-dire celui de la réflexion du juriste ou de la pratique judiciaire : le juge, en effet, n'a pas à substituer ses convictions éthiques à la loi, même si les lacunes du droit ou la nécessité d'adapter la règle à la singularité du cas peuvent imposer de corriger ce qu'aurait d'injuste l'application mécanique de la loi (summum jus, summa injuria) au nom d'un souci éthique d'équité(11).
Pourtant, la conscience contemporaine peut-elle accepter sans réticence cette distinction entre le domaine des faits et celui des valeurs, c'est-à-dire ici entre le plan du jugement éthique et celui de la réflexion proprement juridique ? Instruite par l'expérience historique, n'est-elle pas tentée de protester lorsque H. Kelsen écrit, à propos du « droit de certains États totalitaires » instituant des camps de concentration ou d'extermination : « si énergiquement que l'on puisse condamner de telles mesures d'un point de vue moral, on ne peut cependant les considérer comme étrangères à l'ordre juridique de ces États »(12) ? N'est-il pas préférable d'admettre qu'il y a des lois et des ordres juridiques injustes, ou qu'il y a des lois qui ne sont pas de vraies lois parce qu'elles contredisent ce qui est vraiment juste ?
Le droit naturel : la conception aristotélicienne
Reste que, pour parler de vraie loi ou de justice véritable, il faut disposer d'un critère permettant de distinguer avec certitude le juste de l'injuste. Or la recherche d'un tel critère n'est-elle pas vaine ? Si les lois varient d'une société à l'autre, comment parvenir en effet à une définition de la justice valant pour tout homme, en tout temps et en tout lieu ?
Quelle que soit la force de l'argument, on peut néanmoins douter qu'il soit convaincant. Ainsi Aristote, dans un passage célèbre de l'Éthique à Nicomaque où il discute les thèses des sophistes pour qui toute législation est une convention arbitraire, déclare que les lois positives varient, mais qu'il y a cependant un « juste de nature », bien qu'il soit changeant et que, contrairement au feu « qui brûle également ici et en Perse », il ne soit jamais toujours et partout le même.
Que veut dire Aristote ? Et qu'entend-il par « juste de nature » ? Il est clair tout d'abord que celui-ci ne correspond à aucun contenu concret, puisque, sur ce plan, tout est variable. Il s'agit donc d'une forme, comparable à celle dont la connaissance permet, sur le plan biologique, de distinguer le normal du pathologique ou du monstrueux, qui désigne ce sans quoi il n'y aurait ni État, ni loi, c'est-à-dire la structure fondamentale du droit, la forme universelle à l'intérieur de laquelle on peut fixer arbitrairement des règles, diverses selon les cités, mais dont chacun reconnaîtra la validité, étant entendu qu'une telle forme, à la différence d'une Idée platonicienne, n'existe que dans la multiplicité des contenus qu'elle informe(13).
Que peut-on en conclure ? Faut-il insister sur le fait que le point de vue aristotélicien nous est devenu étranger, dans la mesure où seule la référence à une représentation de l'univers – le Cosmos – rendue obsolète par la science moderne, lui permet de parler d'une forme du juste et de la concevoir comme une fin naturelle(14) ? Doit-on soutenir au contraire qu'en adoptant l'auto compréhension moderne de l'homme, qui cesse de se percevoir comme un étant inséré dans l'ordre téléologique de la nature pour se concevoir comme un sujet libre et fini, il est possible de retrouver non seulement la question du « juste de nature », mais aussi une part de la solution qu'en avait esquissée Aristote ?
Morale formelle, justice et droit positif
Peut-être faut-il ici partir de la conception du fondement de la morale telle que l'explicite Kant, autrement dit du critère, formel et négatif, de « l'universabilité » de toute maxime d'action concrète, et se demander à quelle définition de la justice cela peut conduire. Sans doute Kant nous fournit-il un certain nombre d'éléments de réponse : ainsi fait-il du « contrat originaire », qui oblige tout législateur « à produire ses lois de telle façon qu'elles puissent être nées de la volonté unie de tout un peuple (...) la pierre de touche de la conformité au droit de toute loi publique(15) » ; ou encore oppose-t-il au « moraliste politique », qui subordonne la morale aux intérêts de l'homme d'État, le « politique moral » soucieux de réformer le droit « suivant le droit naturel, comme l'Idée de la raison nous en présente le modèle sous les yeux(16) ». Mais qu'en est-il du « principe universel » qu'énonce la Doctrine du droit ? Concevoir la justice comme la coexistence « de la liberté de l'arbitre de tout un chacun avec la liberté de tout autre selon une loi universelle », n'est-ce pas demeurer tributaire de l'individualisme qui caractérise les problématiques modernes du droit naturel ? En ce sens, n'est-il pas préférable de se référer, plus qu'à Kant lui-même, à la réinterprétation de sa philosophie juridico-politique que propose la pensée contemporaine, lorsque, refusant de subordonner le juste au bien, elle cherche une réponse aux insuffisances du positivisme juridique du côté d'une théorie « procédurale » de la justice ? Ne peut-on ainsi espérer aboutir à une fondation du droit qui, malgré les différences manifestes qui séparent formalisme kantien et formalisme aristotélicien, pourrait cependant jouer pour la modernité un rôle analogue à celui que joue la conception d'Aristote dans le contexte antique, en ce qu'elle parviendrait à s'accorder avec le fait de la variabilité historique des systèmes de droit positif ?
Ainsi, J. Rawls(17) imagine une situation où des agents capables de rationalité ignorent tout de leurs déterminations concrètes, en y voyant la garantie de ce que leur choix de principe de justice sera un choix universel et désintéressé. De même, J. Habermas soutient que normes morales et normes juridiques, quoique distinctes, dérivent du principe selon lequel ne sont valides que les normes d'action « sur lesquelles toutes les personnes [...] concernées [...] pourraient se mettre d'accord en tant que participants à des discussions rationnelles(18) ». Enfin, dans une autre perspective, E. Weil montre comment l'homme moral peut, en refusant le moralisme de la « belle âme » pour agir positivement dans le monde, aboutir à la définition philosophique d'un droit naturel exigeant qu'« un droit positif cohérent règle tous les rapports pratiques des hommes de telle manière que soit respecté leur sentiment de l'égalité des êtres raisonnables en même temps que l'égalité même (telle qu'elle apparaît au philosophe) »(19).
Il semble clair que ces conceptions peuvent toutes proposer une réponse affirmative à la question de savoir si l'éthique commande le droit parce que, refusant d'identifier l'éthique à un système de valeurs à la fois absolues et concrètes, elles voient en elle une exigence formelle – l'exigence morale d'universalité ou d'égalité entre les hommes conçus comme êtres raisonnables – qui doit informer le monde historique et s'y concrétiser en un système cohérent de lois positives.
Ce formalisme permet certes de récuser la légitimité d'un ordre juridique fondé sur la violence ; mais suffit-il à établir en quoi consiste un mode d'organisation juridico-politique adéquat à l'exigence d'universalité ? N'est-il pas nécessaire, au contraire, de se tourner sur ce point vers l'histoire, en se demandant si et comment une telle exigence a pu y trouver un début de réalisation ?
Action raisonnable, État démocratique et juridicisation de la vie sociale
On peut constater, de ce point de vue, que tous ces auteurs voient en l'État moderne de type démocratique la forme d'organisation qui satisfait le mieux – ou le moins mal – aux exigences d'une subordination du droit à la morale, même si leurs arguments divergent – E. Weil ou J. Habermas semblant plus critiques à l'égard du libéralisme politique que ne l'est J. Rawls, et ce pour des raisons elles-mêmes divergentes insistance sur le caractère raisonnable de la structure de l'État démocratique chez l'un, sur la possibilité légale d'une « action communicationnelle » chez l'autre).
En découle-t-il cependant, comme pourrait inciter à le croire la juridicisation accrue des rapports sociaux que l'on observe dans la plupart des États démocratiques, que le droit y serait devenu une sorte d'instance suprême, capable de se substituer à l'action politique ou, pour user de la formule provocatrice de A. Mac Intyre, que les juges et les juristes formeraient désormais le « véritable clergé » de l'État libéral(20) ?
Ce serait oublier que nous vivons au sein d'un monde qui, même informé par la raison, demeure largement un monde de violence, c'est-à-dire un monde où le contenu des lois positives provient, la plupart du temps, de compromis traduisant l'état des rapports de force entre groupes dominants et groupes dominés (étant entendu que cet aspect ne remet nullement en cause la signification éthique intrinsèque de la pratique judiciaire, liée à son caractère dialogique et argumentatif)(21). Aussi peut-être doit-on, au lieu de professer un « idéalisme » du droit, se demander – dès lors qu'est exclue, du moins dans les États démocratiques, une action révolutionnaire – quelle forme peut prendre une action politique qui viserait une concrétisation plus satisfaisante, sur le plan légal, de l'exigence morale d'universalité : faut-il poser, avec Weil, que seuls les gouvernements possèdent la capacité d'agir politiquement, au sens strict du terme, et soutenir, en retrouvant par là le thème kantien d'une réforme progressive de l'État « par le haut »(22), que l'intérêt bien compris des gouvernements démocratiques doit les conduire, sauf à courir le risque d'être démis légalement, à faire droit aux aspirations raisonnables des citoyens, telles que les exprime, de façon plus ou moins confuse, le sentiment moral de la majorité d'entre eux ? Doit-on estimer au contraire avec Habermas que, dans un monde dominé par des systèmes politiques et économiques indifférents aux aspirations du monde vécu, la « moralisation » du droit ne peut reposer que sur l'action des citoyens eux-mêmes, autrement dit sur une « action communicationnelle », chargée de faire valoir le potentiel émancipatoire que recèlent les contenus normatifs de l'État démocratique au-delà de l'interprétation restrictive qu'en propose la légalité instituée ? Ou bien importe-t-il plutôt d'essayer de réactiver la problématique classique du droit de résistance en voyant par exemple en la désobéissance civile une sorte de correctif permanent aux tendances autoritaires qui subsistent en tout État démocratique(23) ?
Malgré leurs divergences manifestes sur le plan politique, ces conceptions possèdent cependant un point commun : elles montrent, chacune à leur façon, que la fonction du droit n'est pas uniquement de garantir la paix sociale mais plutôt d'être, en un monde où les États et les sociétés demeurent des organisations particulières, le lieu où peut se déterminer concrètement la signification de l'universel formel de la morale, dès lors qu'il se veut le principe d'une action historique qui vise, non à imposer aux citoyens un sens absolu et concret de l'existence, mais à créer – en garantissant à tous et à chacun le droit d'en jouir effectivement – les conditions (libertés fondamentales, mais aussi droits sociaux) en l'absence desquelles il est insensé de prétendre que les individus puissent vouloir conférer un sens raisonnable à leur existence.
Jean-Michel Buée
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Robespierre, Discours du 18 floréal an II (7 mai 1794), in Œuvres, x, Paris, 1912-1967, p. 446.
- 2 ↑ Hegel, F., Phénoménologie de l'esprit, trad. J.-P. Lefèvre, Paris, 1991, p. 395.
Bodei, R., Géométrie des passions, trad. M. Raiola, Paris, 1997, pp. 329 sq. - 3 ↑ Kelsen, H., Théorie pure du droit, adaptée de l'allemand par H. Thevenaz, Neuchâtel, 1953, pp. 71 sq.
- 4 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, trad. A. Philonenko, Paris, 1971, p. 93.
- 5 ↑ Fichte, J. G., Fondement du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science, trad. A. Renaut, Paris, 1984, p. 26.
- 6 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, v, 2, 1129a26, trad. J. Tricot, Paris, 1959, p. 216.
- 7 ↑ Locke, J., Essai sur la tolérance, trad. J. Le Clerc, Paris, 1992, pp. 105 sq.
Bayle, P., Pensées diverses sur la comète, § 172, Paris, 1994, pp. 102 sq. - 8 ↑ Austin, J., The Province of Jurisprudence Determined (1832), Cambridge, 1995.
- 9 ↑ Kelsen, H., Justice et droit naturel, trad. E. Mazingue in Annales de philosophie politique, vol. iii, Paris, 1959.
- 10 ↑ Weber, M., Économie et société, t. i, trad. J. Freund et alii, Paris, 1971, p. 350.
- 11 ↑ Perelman, C., Éthique et droit, Bruxelles, 1990, p. 519.
Hegel, F., Principes de la philosophie du droit, § 214, § 223, trad. R. Derathé, Paris, 1975. - 12 ↑ Kelsen, H., Théorie pure du droit, trad. de la 2e éd. de la Reine Rechtslehre par C. Eisenmann, Paris, 1962, p. 56.
- 13 ↑ Weil, E., « Du droit naturel », in Essais et conférences I, Paris, 1970, pp. 179 sq.
- 14 ↑ Strauss, L., Droit naturel et histoire, trad. M. Nathan, Paris, 1954.
Villey, M., Philosophie du droit, t. I, Paris, 1978.
Mac Intyre, A., Après la vertu, trad. L. Bury, Paris, 1997.
Renaut, A., et Sosoe, L., Philosophie du droit, Paris, 1991. - 15 ↑ Kant, E., Sur le lieu commun il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut point, trad. L. Ferry, Paris, 1986, p. 279.
- 16 ↑ Kant, E., Vers la paix perpétuelle, trad. J.-L. Poirier et F. Proust, Paris, 1991, pp. 112 sq.
- 17 ↑ Rawls, J., Théorie de la justice, trad. C. Audard, § 4, Paris, 1987, pp. 44 sq.
- 18 ↑ Habermas, J., Droit et démocratie, trad. C. Bouchindhomme, Paris, 1997, pp. 123 sq.
Habermas, J., Droit et morale, trad. C. Bouchindhomme, Paris, 1997, pp. 45 sq. - 19 ↑ Weil, E., Philosophie politique, § 12, Paris, 1956, p. 36.
- 20 ↑ Mac Intyre, A., Quelle justice ? Quelle rationalité ?, trad. M. Vignaux d'Hollande, Paris, 1993, p. 370.
- 21 ↑ Ricœur, P., « Le juste entre le légal et le bon », in Lectures 1, Paris, 1991, pp. 193 sq.
- 22 ↑ Kant, E., le Conflit des facultés, trad. J. Rivelaygue, Paris, 1986, p. 904.
- 23 ↑ Balibar, E., Droit de cité, La Tour d'Aigues, 1998, pp. 28-29.
Que sont les droits de l'homme ?
La théorie moderne du droit naturel rompt avec le droit tel qu'il fut pensé par Aristote et pratiqué dans la Rome antique(1). Désormais, le droit désigne une qualité inhérente à un sujet. Le droit de l'individu n'est plus dérivé des différentes formes d'égalité immanentes à la communauté, mais il devient originaire. Comprendre ce que peuvent être des « droits de l'homme » suppose l'examen du sens de cette transformation.
Pour Aristote, le droit ne saurait se réduire à la justice légale, à l'ensemble des lois. La signification du concept de droit s'élabore à travers l'étude de la justice particulière(2). Une première espèce de la justice particulière est « celle qui intervient dans la distribution des honneurs ou des richesses ou des autres avantages qui se répartissent entre les membres de la communauté politique »(3). Le droit consiste dans un juste partage des biens, il suppose la découverte d'une forme d'égalité(4). C'est un secteur de la réalité, une juste proportion visée par le juge chaque fois que des biens doivent faire l'objet d'un partage(5). Dans un sens dérivé, il devient possible de se référer à un droit de l'individu, entendu comme la part dévolue à chacun, une fois la juste proportion déterminée.
Ainsi, le concept de droit présente trois caractères : il est l'objet d'une recherche, parce qu'il existe dans les choses et ne se déduit pas de la volonté du législateur. Il exprime toujours une égalité immanente à un rapport social ; il est, en ce sens, naturel. Il doit être reconnu par une autorité politique afin que des individus puissent revendiquer leurs droits.
À quelles conditions peut-on inférer de la nature humaine un droit originaire ? À condition de récuser la nature politique de l'homme et de l'envisager en dehors de toute société politique comme un individu qui se suffit à lui-même. Il s'agit alors d'émettre l'hypothèse que cet état de nature abandonne les hommes à la jouissance d'une liberté illimitée. La liberté surgit comme un droit subjectif, une qualité inhérente au sujet, en raison de l'absence de toute loi transcendante à l'état de nature(6). Ainsi se manifeste une nouvelle figure du droit naturel qui n'est plus rattachée à l'ordre naturel ou social, mais est conçue comme un libre pouvoir octroyé par la condition naturelle des hommes : « Le droit de nature [...] est la liberté qu'a chacun d'user comme il le veut de son pouvoir propre pour la préservation [...] de sa propre vie.(7) » Le désir qui dérive nécessairement de la crainte d'un péril est assimilé à une volonté libre(8).
Hobbes est pourtant l'un des rares penseurs du contrat social à ne pas étayer sa philosophie politique sur l'existence d'une volonté libre, mais sur la négation du libre arbitre(9). La liberté naturelle traduit simplement ici l'absence d'obstacles légaux qui pourraient contraindre, de l'extérieur, la volonté nécessaire de disposer de tous les moyens pour sauvegarder notre vie(10).
Les droits naturels de l'homme selon Hobbes et Locke
Cette libre volonté qui ne procède que de la dissipation de toute instance légale suffit-elle à ériger un authentique droit naturel de l'homme ? Ce pouvoir illimité de vouloir ne se convertit véritablement en droit que s'il est soumis à l'exigence originaire de conservation de soi.
Selon Hobbes, la crainte de la mort violente est ce foyer primitif de la justice auquel il faut rattacher tout pouvoir naturel pour le transformer en droit subjectif(11). Si cette liberté illimitée s'impose au mépris de toute loi, c'est que la vulnérabilité de la condition naturelle des hommes rend juste ce qui émane de la crainte de la mort(12). Cette justice primitive est l'unique source du droit subjectif, de la jouissance d'une liberté illimitée, affranchie de toute loi. Paradoxalement, un droit à la liberté, construit artificiellement, découle en toute nécessité de la crainte de la mort violente.
Le deuxième droit originaire que l'on peut inférer de la nature de l'homme est la propriété. Lorsque Locke déclare que la « fin essentielle » de l'État(13) est la conservation de la propriété, il ne se réfère pas à la propriété dont il a été question tout au long de son analyse(14), mais à l'exercice du droit de propriété qui dérive de l'invention de la monnaie.
Tout en ayant recours au langage de la loi naturelle(15), Locke va s'en émanciper progressivement. Dieu a créé l'homme et demeure propriétaire de sa vie(16). Comme l'homme ne s'appartient pas, il a des devoirs naturels : le devoir de se conserver en vie ; le devoir de veiller à la conservation de l'humanité lorsqu'il est certain d'avoir assuré la sienne. L'homme a, en conséquence, des droits : le droit d'agir pour se conserver en vie. Le droit de propriété découle logiquement de ce droit fondamental. Si Dieu a fait don du monde à l'humanité entière(17), la loi naturelle donne à chaque homme le droit de s'approprier une part des richesses communes pour ses besoins(18). Si la loi naturelle est la source de la propriété, le travail en est le fondement(19). Comme l'énergie déployée par l'activité laborieuse est indissociable du travailleur, celui-ci possédera de droit les effets de son travail. L'homme dispose donc d'un droit de propriété sur le produit de son industrie, mais ce droit reste limité par l'usage. En effet, l'homme n'ayant aucun droit sur ce qui n'est pas nécessaire à sa survie, il ne peut, sans transgresser la loi divine, laisser se détériorer des choses dont il n'a pas l'usage, car elles continuent, de ce fait, à appartenir à leur créateur. Ce n'est pas tant le souci de l'autre que le scandale moral du gaspillage qui limite la propriété.
Mais ce n'est pas cette propriété embryonnaire que l'État a pour fin de protéger. Dans cet état de nature, nul besoin de gouvernement civil, puisque l'impuissance physique de l'homme lui ôte toute possibilité de se procurer plus qu'il ne peut consommer et de prendre à autrui la part nécessaire dont il a besoin. Cette impuissance physique favorise la socialité naturelle de l'homme.
Sous le coup de l'invention de la monnaie, le droit naturel va perdre sa stabilité apparente pour subir une métamorphose radicale : le droit d'acquérir sans limite se substitue au droit de jouir de ce qui est nécessaire à la vie(20). Que recherchent les hommes lorsqu'ils inventent la monnaie ? Pour Locke, l'institution de l'argent a fourni aux hommes l'occasion de conserver et d'accroître leurs possessions(21). L'invention de la monnaie est l'occasion qui rend possible la libération d'un désir, du désir le plus fondamental de l'être humain. L'homme naturel est frustré, il ne peut posséder davantage que le strict nécessaire(22). La monnaie rend l'extension des possessions possible en évitant le gaspillage ; l'argent rend possible le commerce.
Cependant, en quel sens le désir d'enrichissement illimité peut-il devenir un droit ? N'est-il pas condamné par toute la tradition chrétienne avec laquelle Locke refuse de rompre ouvertement ? Locke justifie moralement le droit illimité d'acquérir par sa conséquence essentielle, le bonheur de tous(23). Dans le même temps, les lois naturelles qui nous invitent à rechercher la paix(24) et à nous soucier du bien de l'humanité(25) deviennent des règles de la raison au service d'un droit naturel désormais originaire. Autrement dit, au terme du chapitre V apparaît un désir puissant et tyrannique de bonheur qui exige l'accumulation des fortunes(26) ; pour faire de ce désir un droit, Locke l'intègre dans une théorie classique de la loi naturelle(27). Locke tente d'inscrire dans la forme d'une loi naturelle transcendante un désir radicalement incompatible avec celle-ci. En désignant implicitement ce désir comme attribut constitutif de l'homme, comme une puissance qui n'attend qu'une occasion pour se libérer(28), sans jamais tenter de lui poser des limites, Locke assigne une fin à l'individu comme à l'État. Le droit de propriété, consécutif au désir de bonheur, est désormais constitué comme droit originaire, inaliénable et naturel de l'homme. Il apparaîtra dans toutes les déclarations des droits de l'homme.
Avec Hobbes et Locke, le concept de droit subit une dérive sémantique décisive. Il apporte une caution juridique à l'exercice d'un pouvoir absolu, nécessaire à la satisfaction des intérêts de chacun. Comme l'écrit M. Villey(29), cette théorie du droit reste étrangère au droit romain(30), lequel maintenait une distinction implicite entre droit et pouvoir, notions que la nouvelle théorie du droit subjectif confond. Le citoyen romain ne disposait d'aucun droit absolu sur son domaine, et, si le maître détenait le pouvoir de tuer l'esclave, aucune forme de droit n'aurait su rendre ce forfait légitime. La fonction du droit à Rome n'aurait su qualifier ou légitimer un pouvoir subjectif, mais simplement instaurer une égalité entre les citoyens d'une même communauté(31). Quant au pouvoir sur la chose, il se déterminait selon les mœurs et la morale. De même, saint Thomas d'Aquin a distingué le droit de propriété sur une chose, identique au droit de la gérer, de l'usage de cette chose dont la science juridique ne donne aucune détermination(32). C'est saint Paul, cité par saint Thomas d'Aquin, qui « recommande aux riches de ce monde [...] de donner de bon cœur et de savoir partager », et c'est donc la morale, et non le droit, qui encadrait le pouvoir du propriétaire. L'inclusion du pouvoir de l'individu dans la sphère juridique est un événement majeur qui contribuera à l'émergence de la représentation de l'État moderne, conçu comme instrument de protection des droits de l'homme.
Le transfert de pouvoir du citoyen à l'état : le contrat
Mais peut-on véritablement assurer la déduction des droits de l'homme à partir du droit subjectif naturel ? N'est-ce pas tenter de limiter la souveraineté en s'appuyant sur ce qui la constitue ?
Hobbes comme Locke empruntent à l'école du droit naturel la thèse de l'origine contractuelle de la souveraineté. La source de la souveraineté réside dans le pouvoir que chacun possède par droit de nature de se gouverner soi-même(33), tandis que son fondement se trouve dans la convention par laquelle les individus consentent à transférer une partie de ce droit naturel pour garantir leurs droits inaliénables à la sécurité et à la propriété.
Si « personne ne peut conférer à un autre plus de pouvoir qu'il n'a en lui-même »(34), il faut donc distinguer la partie du droit naturel dont on se dépouille pour instituer la souveraineté de celle qui, précisément parce qu'elle ne saurait être l'objet d'un transfert, assigne au pouvoir souverain sa fin légitime. Les individus se démettent du droit que leur confère l'état de nature de se gouverner eux-mêmes afin de protéger leur liberté et leur propriété inaliénables. Les « droits de l'homme » coïncident avec la partie inaliénable du droit naturel.
L'état absolutiste hobbésien
Selon Hobbes, le droit que les hommes retiennent dans la société politique doit être d'abord inféré de la nature de l'acte contractuel par lequel les individus édifient la puissance souveraine : « C'est dans l'acte où nous faisons notre soumission que résident à la fois nos obligations et notre liberté.(35) » Afin de mettre un terme à la logique de guerre qui règne dans l'état de nature, des individus s'engagent les uns envers les autres à renoncer à leur « droit sur toutes choses »(36), et à autoriser toutes les actions que le bénéficiaire de ce transfert de libertés pourra accomplir pour assurer leur conservation(37).
Quelle est la nature de cet acte d'institution ? Il ne s'agit pas seulement de renoncer à l'exercice de notre droit illimité sur toutes choses, mais également de transférer à un représentant le droit d'agir en mon nom, d'effectuer, pour assurer ma conservation, des actions dont je ne cesse pas d'être l'auteur(38). Chacun des individus s'engage réciproquement à être l'auteur de toutes les actions exécutées par le souverain(39).
Dès lors que chaque individu autorise, par un mandat illimité(40), son représentant à recourir à toutes les mesures utiles pour préserver la sécurité du peuple(41), la puissance souveraine érigée par cet acte contractuel dispose d'un droit illimité, absolu(42).
Étant donné que les sujets se sont simplement engagés les uns envers les autres à autoriser toutes les actions du souverain, la puissance souveraine n'est liée par aucune convention, elle n'est limitée par aucune obligation contractuelle(43). Alors que le pacte est le fondement de la souveraineté, le pouvoir souverain n'est tenu par aucun engagement.
Cependant, la nature absolue de la souveraineté ne dépend pas seulement de la spécificité de l'acte contractuel, mais aussi de la fin de l'institution politique(44) : la sûreté des sujets. Selon Hobbes, la fin recherchée par la société civile n'est pas un principe de limitation de la souveraineté, mais la justification ultime de son absoluité. Seul un pouvoir absolu parviendra à réduire les dissensions entre citoyens, à les soumettre, comme le requiert la paix civile, à une seule volonté souveraine(45).
Dans ces conditions, les lois civiles posées par la volonté du législateur deviennent l'unique source du droit ; elles seules statuent sur le juste et l'injuste(46). Les lois civiles définissent des obligations dont le respect est garanti par la force publique, mais auxquelles le législateur ne saurait être assujetti(47). En renonçant à leur droit naturel sur toutes choses, les individus ont donc transféré au souverain l'usage d'un droit naturel absolu(48). La conception contractualiste des droits de l'homme se heurte donc à un paradoxe : l'État ne peut remplir sa mission de protection des droits inaliénables qu'à condition de disposer d'une souveraineté absolue.
Comment concilier l'orientation absolutiste(49) de ce positivisme juridique avec l'inéluctable persistance d'une partie du droit naturel(50) dans la société civile ?
Il n'y a, semble-t-il, aucune conciliation possible ; l'acte d'autorisation illimité ne restreint aucunement le droit naturel de sauvegarder sa vie : « En lui permettant de me tuer, je ne suis pas tenu pour autant à me tuer moi-même s'il me l'ordonne.(51) » Nous assistons donc à la collision de deux légitimités antagonistes, car les sujets n'ont pas abdiqué tout droit de résistance. Notre liberté s'étend à tout ce qu'il est impossible de transférer par convention(52). Ce que Hobbes limite, ce n'est pas la souveraineté, mais la puissance du consentement ; il existe des droits qu'aucun homme ne peut transmettre, quand bien même il le désirerait ardemment(53). Ces droits inaliénables vont se trouver au principe d'une législation naturelle dont le pouvoir politique ne peut s'affranchir.
Même si Hobbes ne renonce pas à l'affirmation traditionnelle selon laquelle les lois naturelles ont été révélées par Dieu(54), il adopte le parti radicalement novateur, qui consiste à déduire le contenu de ces lois du seul droit naturel. Une loi naturelle n'est rien d'autre qu'une règle de la raison qui oblige les hommes à s'enquérir des meilleurs moyens pour sauvegarder leur vie(55).
Les limites du pouvoir de l'état
Si le souverain est tenu, par une loi naturelle, de respecter la fin de l'institution, la « sûreté du peuple »(56), cela ne signifie pas qu'il est lié par un engagement contractuel à des lois constitutionnelles(57), mais qu'il doit s'efforcer de prévenir la dissolution de la République. Aussi absolue soit-elle, la souveraineté cesse d'exister lorsqu'elle ne se place plus au service de cette fin : « Les obligations et la liberté du sujet doivent être déduites » non seulement « de l'acte de soumission », mais également « de la fin poursuivie dans l'institution de la souveraineté »(58). L'obligation d'obéir au souverain s'impose aux sujets aussi longtemps qu'il parvient à garantir leur protection(59). Les sujets ne détiennent le droit naturel de s'opposer individuellement au souverain qu'à partir du moment où il viole les lois naturelles et suspend la fin de l'institution. Il est illusoire de penser qu'un droit de l'homme pourrait limiter la souveraineté, il parvient simplement à l'instituer ou à la destituer.
On pourrait opposer à l'État absolutiste hobbésien l'État modéré voulu par Locke.
Cette opposition dans ce qu'elle a d'incontestable dissimule le fait que, chez Hobbes comme chez Locke, le pacte social est un contrat de sujétion(60). Au terme d'un accord par lequel les individus s'engagent les uns envers les autres, chacun consent à accepter la décision de la majorité. Sans transférer à l'autorité politique les droits inaliénables à la propriété et à la liberté, l'individu cède simplement le pouvoir de fixer les conditions d'exercice de ceux-ci(61). Le contrat social confère donc au pouvoir politique toute latitude dans le choix des mesures aptes à garantir la fin instituée, à protéger les droits inaliénables.
Quelle est la forme que revêt le droit de résistance dans la pensée de Locke ? L'homme peut légitimement résister à un pouvoir lorsque ce dernier vise des fins autres que celles qui justifient son institution. Le peuple conserve la liberté de recouvrer le droit de se gouverner dont il a délibérément consenti le transfert. Le droit de résistance appartient ainsi à la société et octroie au peuple le droit de disposer de nouveau de son autorité législative ou de destituer l'exécutif(62). Le droit de résistance est, chez Locke, un droit de révolution, dévolu au peuple. Dans l'œuvre de Locke comme dans celle de Hobbes, le souverain est lié par une obligation naturelle au respect de la fin qui a présidé à son institution. Mais, alors que chez Hobbes la violation par l'autorité politique des lois naturelles rend légitime un droit individuel de résistance, qui ne peut être revendiqué que dans une situation de dissolution de l'État, pour Locke le droit de résistance est collectif, il suppose simplement une situation de guerre entre le souverain et la majorité, et non une décomposition de la société politique(63). Ce droit de résistance collectif doit être distingué de la rébellion illégitime des particuliers(64). Ce qui laisse présager qu'une tyrannie de la majorité(65) des propriétaires pourra s'exercer sur des indigents isolés auxquels on ne reconnaît qu'une capacité à se rebeller(66).
Le « paradoxe » des droits de l'homme
Les théoriciens du droit naturel moderne ont promu une conception de la souveraineté qui se démarque de la thèse de l'origine divine du pouvoir(67), comme de toute référence au droit naturel classique. Si le pouvoir est limité par sa fin, il reste absolu dans le cadre de cette fin. Il n'existe plus aucune source originaire du droit extérieure aux décisions promulguées par l'État, qui permettrait de juger de la légitimité de la loi politique, de maintenir un écart entre la loi positive et le droit ou la justice. Dans le cadre de ses fins légitimes, le souverain établit la différence entre le juste et l'injuste. C'est la définition du positivisme juridique. Tout le paradoxe de la contribution de la théorie du droit naturel moderne à la pensée et à la pratique politique tient au fait que la reconnaissance de la primauté des exigences individuelles, désormais sanctifiées comme droits naturels, institue une souveraineté absolue. Dans le cadre de la pensée moderne, il devient impossible de conserver le moindre droit de résistance lorsqu'un État investit sa puissance absolue au service de la sauvegarde des droits inaliénables. Les droits de l'homme ne permettent pas de penser la persistance d'un droit de résistance dans un régime légitime(68).
Ce paradoxe se manifeste dans les différentes déclarations des droits de l'homme. La visée des rédacteurs est de protéger l'individu de l'oppression politique(69) en assignant au pouvoir une fin(70), mais le souverain reste seul maître des conditions de réalisation de celle-ci. Si « la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société »(71), la loi seule détermine ce qui est nuisible. L'homme disparaît derrière le citoyen pour lequel les devoirs civils sont des émanations de la volonté souveraine(72).
La Déclaration américaine semble échapper à ce positivisme en situant l'origine du droit du peuple à disposer librement de lui-même dans « les lois de la nature et du Dieu de la nature »(73). La souveraineté appartiendrait alors à Dieu, et le rôle du pouvoir humain serait simplement d'appliquer des lois qui s'imposeraient à lui. Il gouvernerait alors au nom d'une délégation naturelle ou divine, non pas humaine. La soumission à un ordre divin renverrait l'homme autant à ses devoirs qu'à ses droits naturels. Pourtant, la Déclaration insiste sur les droits naturels de l'homme et reste silencieuse sur ses devoirs naturels(74). On peut alors légitimement se demander si la loi divine n'a pas été vidée de son contenu(75).
Alors que les droits naturels se sont forgés en s'émancipant de la tutelle de la loi naturelle et morale, il est surprenant de constater que c'est davantage comme idéal moral que comme instrument juridique que les droits de l'homme limitent la positivité du pouvoir. S'il est impossible de s'opposer à une loi sur le plan juridique(76), il reste toujours possible de le faire au nom de la notion plus ou moins confuse de dignité humaine. Cette primauté de la morale révèle le caractère contradictoire du projet des droits de l'homme.
Ainsi, l'instauration d'une Cour européenne des droits de l'homme est la preuve que l'individu ne dispose d'aucun recours face à la souveraineté de l'État-nation, étant donné l'absoluité du pouvoir souverain ; seule une instance supranationale est en mesure de le limiter de l'extérieur. Il apparaît donc contradictoire de considérer que la fonction primordiale de l'État est de protéger les droits individuels.
La pensée des droits de l'homme n'a pas seulement légitimé l'institution d'une souveraineté absolue, elle exerce d'une manière insidieuse une véritable tyrannie des fins. En effet, les théoriciens du droit naturel ont réduit les virtualités de la nature humaine à une somme de besoins et imposent à chaque citoyen une définition du bonheur. Ainsi se manifeste la nature démiurgique de l'État moderne, qui institue la nature de l'homme à laquelle il reconnaît une existence juridique. La véritable dignité de l'homme dont il faut assurer la reconnaissance juridique trouve sa source dans une conception du bonheur qui pas n'est réductible à la satisfaction des besoins.
Laurent Gryn et Nicolas Israël
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Villey, M., le Droit et les droits de l'homme, PUF, Paris, 1983.
- 2 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 4, 5, 6, 7. Cf. M. Villey, op. cit.
- 3 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque V, 5.
- 4 ↑ La langue grecque (to dikaion), contrairement au latin (jus/justus), ne distingue pas les deux termes.
- 5 ↑ La justice corrective, seconde espèce de la justice particulière, vise à restaurer une égalité qui a été rompue.
- 6 ↑ Hobbes, T., Léviathan, VI, p. 48 ; XIII, p. 126, trad. F. Tricaud, Sirey, 1971.
- 7 ↑ Hobbes, T., op. cit., XIV, p. 128.
- 8 ↑ Hobbes, T., op. cit., XXI, p. 222.
- 9 ↑ Hobbes, T., op. cit., XXI, p. 222.
- 10 ↑ Hobbes, T., op. cit., XIV, p. 128.
- 11 ↑ « Justice ou injustice ne sont en rien des facultés du corps ou de l'esprit » (Léviathan, XIII, p. 126).
- 12 ↑ « Il n'y a donc rien à blâmer ni à reprendre, il ne se fait rien contre l'usage de la droite raison, lorsque par toutes sortes de moyens, on travaille à sa conservation propre, on défend son corps et ses membres de la mort, ou des douleurs qui la précèdent. Or, tous avouent que ce qui n'est pas contre la droite raison est juste, et fait à très bon droit. Car, par le mot de juste et de droit, on ne signifie autre chose que la liberté que chacun a d'user de ses facultés naturelles, conformément à la droite raison. D'où je tire cette conséquence que le premier fondement du droit de la nature est que chacun conserve, autant qu'il peut, ses membres et sa vie » (T. Hobbes, le Citoyen, I, 7, GF, p. 96) ;
« Un certain souverain degré de crainte » (II, 18, p. 109-110) ; cf. L. Strauss, la Philosophie politique de Hobbes, Belin. - 13 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, IX, 124, trad. J.-B. Spitz, PUF, Paris, 1994.
- 14 ↑ Locke, J., op. cit., chap. V (sauf § 50).
- 15 ↑ Il faut donc distinguer trois formes du droit naturel : la doctrine classique du droit naturel objectif ; la doctrine chrétienne d'un droit naturel dérivé de lois naturelles transcendantes, instituées par Dieu ; la pensée moderne du droit naturel subjectif et originaire.
- 16 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, II, 6.
- 17 ↑ Théorie classique du dominium que Locke emprunte à la tradition chrétienne et qu'il présente dans le Second Traité du gouvernement, V, 25.
- 18 ↑ Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, Le Cerf, Paris, 1984, Il a IIae, qu. 66, 1, resp.
- 19 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, V, 27, 35.
- 20 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, V, 50. Le seul chapitre, et en même temps le chapitre essentiel consacré à l'accumulation des richesses.
- 21 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, V, 48.
- 22 ↑ Il n'en a pas le droit et physiquement ne le peut pas. De plus, il n'aurait aucun intérêt à le faire, puisque les biens accumulés se détérioreraient. La loi divine concernant la propriété apparaît donc porteuse d'une obligation négligeable, puisque sa transgression est quasi impossible.
- 23 ↑ « Le roi d'un territoire vaste et productif se nourrit, se loge et s'habille plus mal qu'un travailleur à la journée » (V, 41). Il invente ainsi une des thèses centrales du libéralisme.
- 24 ↑ Le désir de conservation est un désir de paix.
- 25 ↑ Le souci de l'autre, en donnant une orientation à ce désir, le renforce du même coup.
- 26 ↑ Désir inégalement développé chez les hommes. Il produira donc une inégalité des richesses.
- 27 ↑ Le droit naturel se déduit des lois naturelles, il s'accompagne donc de devoirs. Le droit naturel moderne est originaire et produit des lois naturelles comme conditions de sa réalisation.
- 28 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, V, 47.
- 29 ↑ Villey, M., la Formation de la pensée juridique moderne, « Le franciscanisme et le droit », chap. IV et V, Montchrétien, 1976.
- 30 ↑ M. Villey attribue la paternité de l'interprétation subjectiviste et individualiste du droit romain aux romanistes modernes. Chap. IV et V.
- 31 ↑ Il serait donc illusoire de penser qu'il existe une continuité entre le droit de propriété tel qu'il est défini par le Code civil dans l'article 544 et le droit romain. Ce droit de propriété demeure le prototype de tout droit subjectif.
- 32 ↑ Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, II, IIae, qu. 66, a 2.
- 33 ↑ Hobbes, Th., Léviathan, XVII, p. 177.
- 34 ↑ Locke, J., Second Traité, XI, 135, p. 243.
- 35 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXI, p. 229.
- 36 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XIV, p. 129.
- 37 ↑ Hobbes, T., le Citoyen, VI, 20, p. 166.
- 38 ↑ Sur la distinction propriété-autorité, cf. Léviathan, XVI, p. 163.
- 39 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XVII, p. 177.
- 40 ↑ Si le mandat était limité, la véritable puissance souveraine serait celle qui est investie du pouvoir de faire respecter les clauses de l'acte d'autorisation (Léviathan, XXIX, p. 346).
- 41 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XVII, p. 178 ; XVIII, p. 184.
- 42 ↑ « Nul ne supporte en effet aucune obligation qui n'émane d'un acte qu'il a lui-même posé, puisque par nature tous les hommes sont également libres » (Léviathan, XXI, p. 229). « Nul n'est obligé par une convention dont il n'est pas l'auteur » (Léviathan, XVI, p. 164).
- 43 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XVIII, pp. 181-182.
- 44 ↑ Hobbes, T., le Citoyen, VI, 13, p. 156.
- 45 ↑ Les citoyens perdent ainsi le droit d'agir en conscience, c'est-à-dire selon leur opinion privée (Léviathan, XXIX, p. 345).
- 46 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXVI, p. 282. La justice n'est que le respect des conventions (Léviathan, XV, p. 143 et p. 147).
- 47 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXVI, p. 283.
- 48 ↑ Hobbes, T., le Citoyen, VI, 18, p. 163.
- 49 ↑ La fin de l'activité législative est la restriction du droit naturel de l'homme (Léviathan, XXVI, pp. 285-286). Il est inéluctable que des « incommodités » résultent de l'institution d'un pouvoir souverain (Léviathan, XVIII, p. 191 ; XX, p. 219). Le « nom de tyrannie ne signifie rien de plus, ni rien de moins, que celui de souveraineté » (Léviathan, « Révision et conclusion », p. 717).
- 50 ↑ « Il est nécessaire à la vie humaine de retenir certains droits » de nature (Léviathan, XV, p. 154).
- 51 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXI, p. 230.
- 52 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXI, p. 230.
- 53 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XIV, pp. 131-132 ; XXI, pp. 233-234.
- 54 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XV, p. 160 ; XXI, p. 225 ; XXIX, p. 346 ; XXX, p. 357 ; XXXI, p. 383.
- 55 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XIV, p. 128. À tel point que Hobbes va réduire les lois morales à leur dimension sociale, elles constituent « les moyens d'une vie paisible, sociale, agréable » (Léviathan, XV, p. 160).
- 56 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXX, p. 357 ; XXIX, p. 346. Les sujets tirent donc des droits substantiels du respect par le souverain des lois morales. Par contraste avec les droits protégés par les lois naturelles, la liberté civile des citoyens « ne réside... que dans les choses qu'en réglementant leurs actions le souverain a passées sous silence » (Léviathan, XXI, p. 224 et p. 232 ; XXVI, p. 311).
- 57 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXIX, p. 346.
- 58 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXI, p. 229.
- 59 ↑ Hobbes, T., Léviathan, XXI, p. 233.
- 60 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, VIII, 97.
- 61 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, XI, 138-139.
- 62 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, XIX, 222.
- 63 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, XIX, 227.
- 64 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, XIX, 230-232.
- 65 ↑ La majorité chez Locke n'intègre pas nécessairement l'ensemble des citoyens et peut ne pas être démocratique.
- 66 ↑ Sur la description par Locke de la situation enviée du journalier (Second Traité du gouvernement, V, 41). Cf. la critique marxiste du droit, comme simple légitimation d'un rapport d'exploitation (« La question juive »).
- 67 ↑ Saint Paul, Épître aux Romains, XIII, 1-8.
- 68 ↑ Locke, J., Second Traité du gouvernement, XI, 135.
- 69 ↑ La Déclaration d'indépendance américaine justifie la dissolution des liens politiques avec la monarchie anglaise par l'oppression du pouvoir royal. La Déclaration de 1789 vise à mettre en place des principes politiques qui éradiqueraient l'absolutisme.
- 70 ↑ « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression » (Déclaration de 1789).
- 71 ↑ Déclaration du 26 août 1789, Art. 5.
- 72 ↑ Déclaration du 26 août 1789, Art. 6.
- 73 ↑ Début de la Déclaration d'indépendance.
- 74 ↑ « Ils sont doués par le créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. » Il n'est question de devoir qu'à propos du rejet du pouvoir anglais.
- 75 ↑ Problème identique à celui que nous rencontrons chez Locke. Chez ce dernier comme dans la Déclaration d'indépendance, il n'est jamais question d'obligations morales envers autrui.
- 76 ↑ Excepté le cas où elle est jugée non conforme à la Constitution.