nominalisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du terme latin nominalis, de nomen, « nom ».
Courant philosophique médiéval qui s'affirme aux xiie-xive s., et qui influencera en particulier la philosophie anglo-saxone, depuis T. Hobbes jusqu'au « nominalisme constructif » de W.O. Quine.
Le latin nominalistae n'est attesté qu'à partir du xve s., pour désigner probablement les sectateurs de Guillaume d'Occam et de Jean Buridan. En 1670, Leibniz englobe sous cette appellation tous « ceux qui croient qu'en dehors des réalités singulières, il n'existe que les simples noms, et qui donc éliminent la réalité des choses abstraites et universelles », position qu'il retrouve chez des auteurs aussi divers et chronologiquement distants que Roscelin de Compiègne (xiie s.) et T. Hobbes. En réalité, il faut distinguer entre une approche antiréaliste (xiie-xiiie s.) et l'évolution du nominalisme dans l'occamisme (xve s.).
Philosophie Médiévale, Logique, Ontologie
Nom sous lequel on regroupe des doctrines qui refusent aux idées générales toute réalité, que ce soit dans l'esprit ou hors de lui.
Le problème des universaux
Porphyre, dans son Isagogé, posait, sans y répondre, trois questions sur la nature des termes universaux de genre et d'espèce : les universaux sont-ils des entités existantes ou des concepts de l'esprit ? Sont-ils corporels ou incorporels ? Sont-ils séparés ou subsistent-ils dans les êtres sensibles ? Les réponses furent multiples, intégrant et repensant des éléments tirés de traditions différentes, platonicienne, aristotélicienne ou stoïcienne. Le problème fut particulièrement débattu au xiie s., où s'affrontent deux positions majeures, les reales (« réaux ») et les nominales (« nominaux »). Pour les premiers, les universaux existent réellement, constituant une structure ontologique au-delà des êtres sensibles ; pour les seconds, les universaux sont des termes conventionnels, des « noms ». Dans ce sens, les « nominaux » sont essentiellement antiréalistes, mais leurs positions sont différentes : si, pour Roscelin de Compiègne, l'universel n'est que le mouvement d'air que l'on émet en le prononçant, flatus vocis, pour Abélard, l'universel est ce que l'on peut prédiquer d'une multiplicité, et sa nature est conceptuelle. Les choses n'existent qu'individuellement, si bien que nulle chose ne peut être universelle ; elles se rencontrent donc par ce qu'elles sont, par un certain « état » (status) qui n'est pas une chose, mais ce qui permet la prédicabilité d'un terme universel. L'universel comme prédicable et la revendication du caractère individuel des étants sont deux caractères majeurs de la réflexion d'Occam, « prince des nominaux », qui imprime une direction nouvelle à la réflexion sur le rapport entre les mots, les concepts et les choses.
Occam et son influence
Occam critique la conception « réaliste », voire « platonicienne » de l'universel, selon laquelle l'individu serait à la fois composé de singulier et d'universel ; l'universel ne peut pas exister en dehors de l'âme. Occam distingue nettement l'universel de l'individuel, faisant du premier un signe, un concept ou même une intention de l'esprit (mens), du second une réalité individuelle, saisie par une intellection intuitive. Seuls les étants singuliers existent, par conséquent l'universel est une chose singulière qui n'est universelle que par « signification », parce qu'elle est le signe de plusieurs choses. L'originalité d'Occam est donc de considérer l'universel en tant que tel comme une procédure de signification, ce qui est étroitement lié à son approche sémantique de la connaissance, axée sur l'étude des propriétés référentielles des termes et sur les différentes modalités propositionnelles par lesquelles on peut renvoyer du sujet au prédicat, garantissant la possibilité, pour les termes, de dénoter réellement quelque chose. Ainsi, les genres et les espèces signifient-ils des concepts de l'esprit, de même que les catégories traduisent des dispositifs de signification, selon les propriétés des noms. Occam envisage donc un langage mental qui ne coïncide pas avec la langue naturelle.
Au-delà de l'importante diffusion de l'occamisme aux xive-xvie s. (par Paul de Venise, Nicolas d'Autrecourt, Oresme, etc.), l'approche nominaliste et, plus précisément occamiste, a été reprise et développée dans la philosophie anglo-saxonne moderne (en particulier, par Hobbes, Berkeley et Hume). Le terme de « nominalisme » a été également repris au xxe s. pour désigner le conventionnalisme épistémologique ou la doctrine selon laquelle le langage de la science ne contient que des variables individuelles.
Le nominalisme est essentiellement une attitude anti-idéaliste, s'opposant à la conception selon laquelle des entités universelles existeraient réellement au-delà de leur nature conceptuelle et linguistique. Il s'agit d'une position antisubstantialiste qui inspire, en partie, l'approche contemporaine de la philosophie du langage.
Fosca Mariani Zini
Notes bibliographiques
- Biard J., Logique et théorie du signe au xive s., Vrin, Paris, 1989.
- Bos E.P. et Krop H.A. (éds.), Ockham and Ockhamists, Nimègue, 1987.
- De Libera A., La querelle des universaux, Seuil, Paris, 1996.
- Ockham, G., Summa logicae, éds. Ph. Boehner et S. Brown, St. Bonaventure, 1974 ; éd. et tr. fr. J. Biard, Somme de logique, TER, Mauzevin, 2 vol., 1993-1996.
- Panaccio Cl, Les mots, les concepts et les choses. La sémantique de Guillaume d'Ockham et le nominalisme aujourd'hui, Vrin, Montréal / Paris, 1991.
- Vignaux P., Nominalisme au xive s., Vrin, Montréal / Paris, 1948.
→ dialectique, langage, Occam (rasoir d'), ontologie, réalisme, sémantique, signification, universel
Métaphysique, Ontologie, Philosophie Cognitive
Thèse philosophique selon laquelle il n'existe que des entités particulières. Toute entité générale ou universelle n'est qu'une manière de caractériser les seules choses qui existent réellement.
Le nominalisme devient une doctrine au Moyen Âge, et tout particulièrement dans l'œuvre de Guillaume d'Occam(1) et chez d'autres philosophes scolastiques, poursuivant une tradition qu'on peut faire remonter à Roscelin, voire Abélard, et même au commentaire d'Aristote par Porphyre. On le retrouve chez des philosophes britanniques, comme Hobbes, Berkeley et Hume. Dans la période contemporaine, Goodman(2) a développé un nominalisme extrêmement strict.
Les nominalistes affirment que nos classifications ne correspondent pas à des caractéristiques réelles des choses, mais à la manière dont nous les pensons ou dont nous en parlons. Dès lors, ils contestent l'existence indépendante de la pensée (et / ou du langage) et des significations (ou intensions), mais aussi des entités possibles – généralement des entités abstraites. Ils entretiennent des doutes, parfois même un véritable dégoût intellectuel, pour les entités (prétendues) supposées être tout entières à deux endroits différents en même temps.
En mathématiques, les nominalistes contesteront que les nombres existent. En épistémologie, ils rejetteront l'existence d'idées générales. En esthétique, ils chercheront à reconstruire des phénomènes comme ceux de fiction, d'expression ou d'authenticité sans recourir à d'autres entités qu'individuelles (inscriptionnalisme). En philosophie politique, ils contesteront l'existence d'entité générale comme l'État, et seront plutôt individualistes.
Roger Pouivet
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Guillaume d'Occam, Somme de logique, éd. J. Biard, Mauvezin, Trans Europ-Repress, première partie 1988, deuxième partie 1996.
- 2 ↑ Goodman, N., The Structure of Appearance, Boston et Dordrecht, Reidel, 3e éd., 1977.
- Voir aussi : Armstrong, D., Universals and Scientific Realisme, vol. I : Nominalism and Realism, Cambridge University Press, Cambridge, 1978.
- Panaccio, C., les Mots, les concepts et les choses, Bellarmin et Vrin, Montréal et Paris, 1991.
- Michon, C., Nominalisme, Vrin, Paris, 1995.