mensonge

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du bas latin mentio, « mensonge ».

Esthétique, Morale, Politique

Discours contraire à la vérité, tenu dans l'intention de tromper. Par extension, tout ce qui peut tromper ou produire de l'illusion, particulièrement en art.

Saint Augustin précise que ce qui constitue le mensonge est la volonté de tromper. Ainsi une contre vérité dite par plaisanterie manifeste, lorsque ni le locuteur ni l'auditeur ni les circonstances ne peuvent prêter à confusion, n'est pas un mensonge. De même, quelqu'un qui dit le faux en le tenant sincèrement pour vrai ne ment pas. Alors qu'une vérité énoncée par quelqu'un qui la croyait fausse, pour induire l'auditeur en erreur, est un mensonge. « Ment donc qui a une chose dans l'esprit et en avance une autre, au moyen de mots ou de n'importe quel autre type de signes. »(1). Saint Augustin distingue huit sortes de mensonges et montre que, dans tous les cas possibles, le mensonge doit être rejeté.

La question de la valeur morale du mensonge fait l'objet d'une polémique fameuse entre B. Constant(2), qui soutient que dans certains cas le mensonge peut être légitime (si un ami poursuivi par des assassins est caché chez vous, pouvez-vous leur mentir ? ce type de cas est déjà envisagé et écarté par saint Augustin), et Kant, qui affirme que, dans tous les cas, le mensonge est condamnable. C'est que le mensonge sape les fondements même de la moralité : il est par excellence une action dont je ne peux pas vouloir qu'elle devienne une loi universelle, puisque l'universalisation du mensonge rendrait tout échange interhumain impossible (le langage, les promesses, les contrats, etc.). En manquant au devoir de véracité (croyance subjective à la vérité de ce qu'on dit – ce n'est pas la vérité elle-même qui est un devoir) le menteur commet ainsi une injustice envers l'humanité en général : « Le mensonge, simplement défini comme une déclaration volontairement fausse faite à un autre homme [...] nuit toujours à autrui ; même s'il ne nuit pas à un autre homme, il nuit à l'humanité en général en ce qu'il rend impossible la source du droit. »(3). L'innocuité ou même les résultats positifs d'un mensonge ne retirent rien à son caractère en soi mauvais. Le croire serait confondre morale et prudence : le mensonge traite l'humanité (la sienne comme celle d'autrui) purement comme un moyen : « Le mensonge est le rejet et pour ainsi dire l'anéantissement de la dignité humaine »(4).

La question de la légitimité du mensonge a un tel lien à la philosophie morale qu'à chaque fois qu'elle se trouve déplacée dans d'autres champs, on peut montrer que c'est au sein d'un débat plus vaste sur la place que la morale y doit avoir. Par exemple, dans le champ politique, Machiavel fait l'éloge du prince-renard, qui sait simuler et dissimuler(5). Ou, dans le champ esthétique, Wilde écrit un Éloge du mensonge. Dans les deux cas, il s'agit aussi de lutter contre l'idée d'un quelconque primat de la morale.

Colas Duflo

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Saint Augustin, Le mensonge, III, 3, in Œuvres I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1998, p. 735.
  • 2 ↑ Constant, B., Des réactions politiques, Flammarion, Champs, Paris, 1988.
  • 3 ↑ Kant, E., Sur un prétendu droit de mentir par humanité, in Œuvres philosophiques, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1986, p. 437.
  • 4 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, Doctrine de la venu, § 9, in Œuvres philosophiques, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1986, p. 716.
  • 5 ↑ Machiavel, N., le Prince, chap. XVIII, trad. J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini, PUF, Paris, 2000.

→ impératif, langage, loi, mal, morale, vérité