impératif

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin imperato, « commander ».


Distinction kantienne permettant de séparer la morale de la prudence. Attaquée sur plusieurs fronts, elle conserve cependant une valeur opératoire.

Morale

Commandement (imperium) qui énonce une règle contraignante. En ce sens il ne s'adresse qu'aux hommes, c'est-à-dire à des êtres dont les inclinations sensibles sont susceptibles de s'opposer à la règle, et qui par conséquent reçoivent celle-ci comme une contrainte. Les impératifs hypothétiques prescrivent un action qui est bonne en tant que moyen pour atteindre une fin quelconque. L'impératif catégorique, exprimant une loi a priori de la raison pratique, prescrit à l'homme une action bonne en soi, sans relation à une fin contingente : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature. »(1)

Les impératifs hypothétiques comprennent 1) les impératifs de l'habileté, qui s'appliquent à des fins seulement possibles ; 2) les impératifs de la prudence, qui concernent la fin que visent réellement tous les hommes, à savoir le bonheur. L'impératif catégorique, nommé « impératif de la moralité », est indépendant de la recherche du bonheur. Il ne présuppose aucun intérêt particulier mais s'applique nécessairement à l'homme en tant qu'être rationnel. Son contenu n'est autre que la simple forme d'une loi en général, c'est-à-dire l'universalité. L'agent moral doit chaque fois évaluer s'il peut vouloir que la maxime de son action soit en même temps une loi universelle de la nature.

L'impératif catégorique consacre « l'autonomie de la volonté », c'est-à-dire le pouvoir qu'a la volonté humaine d'obéir à sa propre loi (celle de la raison) sans se laisser déterminer par ses inclinations et ses intérêts. Il fournit le critère négatif de l'action morale, en ce qu'il permet de rejeter toute maxime qui ne peut devenir une loi universelle de la nature. Par exemple, la maxime qui nous prescrit de garder un dépôt, si son propriétaire est décédé et si personne ne peut prouver qu'il nous a été confié, est dépourvue de valeur morale, car elle ne peut valoir sans contradiction comme loi pratique universelle : universalisée, elle aurait pour résultat de supprimer tout dépôt, car plus personne ne ferait confiance au dépositaire potentiel.

L'approche critique

Dans son essai sur le Fondement de la morale, Schopenhauer montre que l'impératif kantien, contrairement à ce qu'il prétend, coïncide très précisément avec l'intérêt individuel. En effet le passage à l'universel nous permet de concevoir ce qui nous attendrait, comme patients et non plus comme auteurs de l'action, si telle ou telle maxime était universalisée. Si je ne peux vouloir ériger mon désir de voler autrui en loi universelle, c'est d'abord parce que je n'ai aucun intérêt, comme patient, à ce que le vol soit universalisé : j'en serais alors à mon tour victime.

Hegel souligne d'une part que le critère moral fourni par l'impératif, purement négatif, ne permet pas de construire les conditions sociales et juridiques d'une éthique concrète. D'autre part ce critère, servant à vérifier si la maxime de mon action contredit ou non la forme de l'universalité, n'est pas un critère décisif. Dans l'exemple du dépôt, si « je change mon point de vue » en considérant que le dépôt n'est plus un dépôt, une fois son propriétaire mort, il n'y a plus de contradiction. Je peux très bien ériger en loi universelle de garder un bien qui n'appartient plus à personne(2). Bergson critique également « la prétention de fonder la morale sur le respect de la logique », qui est étrangère au bien et au mal. Il élargit le champ de la moralité en distinguant la morale kantienne de l'obligation, dont la portée est simplement sociale (morale close), de celle de l'amour (morale ouverte)(3).

Nietzsche dénonce dans l'impératif catégorique une fausse liberté. L'obéissance à une loi générale impersonnelle révèle « que tu ne t'es pas encore découvert toi-même. » La règle que le sujet kantien prend pour sienne n'est justement pas la sienne. L'affirmation de la singularité, qui passe par la création d'un idéal propre, est alors sacrifiée à l'universalité de la loi(4).

L'approche contemporaine

La distinction kantienne des impératifs a servi l'entreprise de Rawls, visant à fonder la justice sur des principes universels, et non plus relatifs à telle ou telle culture donnée. L'impératif catégorique définit en effet un principe tel qu'aucune contingence (culturelle, religieuse etc.) « n'apparaît comme prémisse dans sa déduction », de telle sorte qu'il peut servir de modèle pour penser des principes rationnels « s'appliquant à nous tous, quels que soient nos objectifs particuliers »(5). On retrouve chez Apel et Habermas l'idée que l'impératif catégorique prévient les déformations de perspective introduites par les intérêts particuliers. Cet impératif, exprimant le caractère impersonnel et universel des commandements moraux valides, est au principe leur « éthique de la discussion » : une norme n'est valide que si toutes les personnes qu'elle concerne s'accordent, au terme d'une discussion, sur la validité de cette norme(6).

Christophe Bouriau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Fondements de la métaphysique des mœurs, éd. de l'Académie, t. IV, p. 421.
  • 2 ↑ Hegel, G. W. F., Phaenomenologie des Geistes, éd. Hoffmeister, p. 308.
  • 3 ↑ Bergson, H., Les deux sources de la morale et de la religion, PUF, Paris, 1961, p. 87.
  • 4 ↑ Nietzsche, F., Le gai savoir, §§ 21 et 355, trad. 1997 P. Wotling, Flammarion, Paris.
  • 5 ↑ Rawls, J., Théorie de la justice, Seuil, Paris, 1987, p. 290.
  • 6 ↑ Habermas, J., Morale et communication, Cerf, Paris, 1986, pp. 63-130.
  • Voir aussi : Nancy, J.-L., L'impératif catégorique, Flammarion, Paris, 1983.

→ commandement, devoir, loi, moralité, prudence, règne des fins, volonté

→  « règne des fins »