infini

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin infinitum, « sans fin », « sans limites » ; du grec apeiron.


La réflexion sur l'infini commence avec Anaximandre(1), qui le premier y voit autre chose qu'un synonyme du néant : l'apeiron, qui est indéfini plus qu'infini, est l'être originel en tant que, n'ayant pas encore reçu de détermination, il est soustrait au devenir. La notion se construit au cours de l'histoire autour de trois axes, métaphysique, mathématique et cosmologique : le premier identifie l'apeiron avec l'être suprême du christianisme pour faire de l'infini un incommensurable de perfections, le second construit un concept où les notions de limite et de grandeur remplacent celle de détermination, et le troisième en fait un attribut de l'univers.

Philosophie Générale

Ce qui excède tout fini selon toute proportion déterminée ou déterminable, ou encore ce qui est au-delà de tout fini, si grand soit-il.

Il apparaît, à l'époque médiévale surtout, que l'infini véritable est nécessairement actuel, puisque l'infini successif ou potentiel n'est rien de plus qu'une grandeur indéfinie. Étant actuel, l'infini quantitatif est un tout, qui cependant s'accroît continûment. Par ailleurs, la caractérisation, par Damascène (viie s.), de Dieu comme un « océan infini d'essence » conduit à l'idée d'un infini intensif, ou infini de perfection, dont la définition classique sera donnée par Duns Scot. Un être infini en entité ou perfection est tel que ne lui fait défaut aucune entité ou perfection dont il est possible qu'elle soit représentée chez un seul autre être. De cette façon, on peut concevoir qu'un être infini soit un tout sans être pour autant le Tout. On démontre ensuite que, si un tel être infini existe en acte, il ne peut être qu'unique.

Les termes de cette discussion seront repris par les mathématiciens du xixe s. Comme l'observera Bolzano (1851), une grandeur susceptible de devenir plus grande que toute grandeur finie donnée « peut malgré tout rester constamment finie ». Des grandeurs véritablement infinies seront, par conséquent, plus grandes qu'un nombre quelconque d'unités, ou si petites que tout multiple d'elles-mêmes reste inférieur à l'unité. Cette conception de l'infini quantitatif reçut un renfort décisif lorsque Cantor (1879) démontra l'existence d'ensembles – par exemple, l'ensemble des nombres réels – dont les éléments ne peuvent être dénombrés ou énumérés. Par opposition à l'infini potentiel, de tels ensembles représentent l'infini actuel, comme lorsque nous regardons les points d'un intervalle comme une « totalité de choses qui existent toutes en même temps » (Hilbert).

Gérard Sondag

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Physique, III, 4. Trad. H. Carteron, Les Belles Lettres, Paris, 1931.
  • Voir aussi : Aristote, Physique, III, 4-8. Trad H. Carteron, Les Belles Lettres, Paris, 1931.
  • Duns Scot, J., God and Creatures. The Quodlibetal Questions, Princeton University Press, 1975 (Opera omnia, t. XII, L. Wadding, Lugduni, 1639).
  • Brentano, B., les Paradoxes de l'infini, Seuil, Paris, 1993.
  • Cantor, G., Gesammelte Abhandlungen, Springer Verlag, Berlin, 1932.
  • Hilbert, D., « On the Infinite », in Philosophy of Mathematics, Benacerraf, P., Putnam, H., New York, 1964.

→ acte, catégorie, cosmos, puissance

Histoire des Sciences

L'infini est l'une des grandes affaires du xviie s. en rapport avec la genèse de la science classique. C'est, en effet, au cours de ce siècle que la diversité des questions sur l'infini est apparue dans toute son ampleur en relation avec ses dimensions d'inquiétude et de souci métaphysique.

Galilée (1564-1642) n'écrit-il pas dans ses Discours et Démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles : « Rappelons-nous que nous traitons d'infinis et d'indivisibles, inaccessibles à notre entendement fini, les premiers à cause de leur immensité, les seconds à cause de leur petitesse. Pourtant nous constatons que la raison humaine ne peut s'empêcher de sans cesse y revenir »(1) ? À cela Pascal (1623-1662) fait écho dans les Pensées : « Connaissons donc notre portée. Nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d'être nous dérobe la connaissance des premiers principes qui naissent du néant, et le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini » (fragment 199), tandis que Descartes (1596-1650), en affirmant clairement dans les Principes de la philosophie que le mot d'« infini » doit être réservé à Dieu seul, introduit l'indéfini comme unique domaine à l'intérieur duquel la pensée humaine peut effectivement se développer : « Qu'il ne faut point tâcher de comprendre l'infini, mais seulement penser que tout ce en quoi nous ne trouvons aucune borne est indéfini »(2) (§ 26).

Si l'infini se dessine comme l'un des lieux où se jouent les choix métaphysiques fondamentaux du xviie s., c'est qu'à travers cette notion viennent converger tout à la fois les questionnements de la mathématique, de la nouvelle science du mouvement et de la cosmologie avec, en arrière-plan, l'effondrement du monde traditionnel d'inspiration aristotélicienne.

En effet, l'introduction de l'infini, avec, en particulier, les réflexions de Bruno (1548-1600), ouvre une brèche dans la construction millénaire de l'univers hiérarchisé et bien ordonné du monde aristotélicien et de la scolastique. L'univers est-il infini ou, comme l'affirme Descartes, indéfini ? Quelle sont alors la place de Dieu et celle de l'homme dans ce nouvel ordre du savoir qui se dessine au cours du xviie s. ? Les philosophies de Leibniz, de Spinoza et de bien d'autres témoignent de l'importance de ces problématiques.

En mathématique se met en place, au xviie s., avec les travaux, entre autres, de Kepler (1571-1630), de Cavalieri (1598-1647), de Torricelli (1608-1647) et de Fermat (1601-1665), une réflexion consacrée à la résolution des difficultés relatives à la détermination des tangentes aux courbes et au calcul des aires sous les courbes. Ces problèmes, en impliquant des considérations relatives au statut du continu mathématique ou à l'obtention de sommes infinies, ne peuvent être résolus qu'au prix d'une profonde réflexion mathématique, susceptible de fournir les moyens de dépasser les fameux paradoxes, ou arguments sur le mouvement et la continuité, de Zénon d'Élée : la dichotomie, l'Achille, la flèche et le stade. Cet ensemble de travaux impliquant un approfondissement des procédures géométriques d'inspiration euclido-archimédienne et les apports du nouveau calcul de l'algèbre symbolique déboucheront, dans les dernières décennies du xviie s., sur l'élaboration par Leibniz et Newton des procédures algorithmiques du calcul différentiel et du calcul des fluxions ou, comme l'on disait parfois, du calcul de l'infini. Il n'en reste pas moins que cette sorte de maîtrise calculatoire de l'infini est encore loin, à ce moment, d'avoir produit des fondements bien établis. Un long travail mathématique d'élucidation et de clarification conceptuelle occupera le xviiie s. et une partie du xixe s.

Par ailleurs, l'un des aspects les plus novateurs du développement de la science au début du xviie s. consiste dans la géométrisation du mouvement, étant entendu que, par géométrisation, il faut comprendre une démarche dont l'objet consiste à reconstruire les phénomènes du mouvement à l'intérieur du domaine de l'intelligibilité géométrique, de telle sorte que ces phénomènes se trouvent soumis à l'emprise de la raison géométrique et à une mise en forme déductive sur le mode des Éléments d'Euclide. Cependant, cette entreprise ne va pas sans difficultés. Elle se heurte rapidement à des questions impliquant la considération de l'infini et, bien sûr, là encore, le retour des paradoxes de Zénon. Comment peut-on penser la continuité d'un mouvement, le début et la fin d'un mouvement ? Dans sa chute, le corps passe-t-il par tous les degrés de vitesse ou bien commence-t-il sa chute avec une vitesse finie comme le pense, par exemple, Mariotte ? Comment expliquer la variété des mouvements accélérés, doit-on avoir, comme le suggèrent certains atomistes, recours à un mélange de mouvement et de repos ? Autant de questions qui ne trouveront finalement une réponse mathématique qu'au début du xviiie s., avec l'algorithmisation de la cinématique. Les questions de mouvement sont alors susceptibles d'être réduites à de simples procédures de différentiation et d'intégration, procédures dont il faut encore assurer les fondements.

Michel Blay

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Galilée, Discours et Démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, publiés à Leyde en 1638, traduction Maurice Clavelin, A. Colin, 1970, PUF, 1995, p. 26.
  • 2 ↑ Descartes, R., Principes de la philosophie, Amsterdam, 1644, traduction française par l'abbé Picot, 1647.
  • Voir aussi : Blay, M., Les raisons de l'infini. Du monde clos à l'univers mathématique, Gallimard, Paris, 1993.
  • Boyer, C.B., The History of the Calculus and his Conceptual Development, Dover, 1949 et 1959.
  • Brunschvicg, L., Les étapes de la philosophie mathématique (1912), Blanchard, Paris, 1972.
  • Caveing, M., Zénon d'Élée, Proligomène aux doctrines du continu. Étude historique et critique des fragments et témoignages, Vrin, Paris, 1982.
  • Couturat, L., De l'infini mathématique (1896), Blanchard, Paris, 1973.
  • Desanti, J.-I., La philosophie silencieuse ou critique des philosophies des sciences, Seuil, Paris, 1975.
  • Houzel, Ch., Philosophie et Calcul de l'infini, en collaboration avec J.-L. Ovaert, P. Raymond et J.-J. Sansuc, Maspero, Paris, 1976.
  • Koyré, A., Du monde clos à l'univers infini, Gallimard, Paris, 1973. Première édition, PUF, 1962 ; première édition en langue anglaise, 1957.
  • Lévy, T., Figures de l'infini, les mathématiques au miroir des cultures, Seuil, Paris, 1987.

→ absolu, agrégat, algorithme, calcul, cinématique, indéfini, mouvement, totalité

Mathématiques

1. Au sens usuel, se dit d'un ensemble qui n'est pas fini, c'est-à-dire qui ne peut être mis en correspondance biunivoque avec aucun ensemble borné d'entiers naturels. – 2. Au sens de Dedekind, se dit d'un ensemble qui peut être mis en correspondance biunivoque avec l'une de ses parties propres ; ainsi, l'ensemble ℕ des entiers naturels est infini en ce sens, puisque l'application n → 2n est une bijection de ℕ sur l'ensemble des nombres pairs.

Inaugurée par Cantor(1) dans les années 1870, la théorie des cardinaux transfinis (lesquels « mesurent » la taille des ensembles infinis à la façon dont les nombres entiers mesurent celle des ensembles finis) admet comme caractéristique une propriété que Galilée(2) avait, en son temps, jugée paradoxale, à savoir que les ensembles infinis ont même « nombre » d'éléments que certaines de leurs parties strictes. Deux ensembles infinis sont considérés comme « équipotents », ou ayant même « puissance », ou même « cardinal », lorsqu'il existe une bijection de l'un sur l'autre. Cette relation d'équipotence généralise la notion habituelle : appliquée aux ensembles finis, elle est satisfaite par ceux qui ont même nombre d'éléments et par eux seuls. On établit, par un argument diagonal assez simple, qu'il y a plusieurs types d'infini : à côté des ensembles « dénombrables », qui ont le même cardinal, noté ℵ (« aleph-zéro »), que l'ensemble des nombres entiers, d'autres ensembles, comme celui des nombres réels, ont la « puissance du continu ». De façon plus générale, la hiérarchie ascendante des cardinaux transfinis se poursuit sans limites, puisque l'ensemble des parties d'un ensemble donné est toujours d'une puissance supérieure à celle de l'ensemble d'origine.

Jacques Dubucs

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cantor, G., « Ein Beitrag zur Mannigfaltigkeitslehre » (1878), in Abhandlungen mathematischen und philosophischen Inhalts (E. Zermelo éd.), pp. 119-133, Leipzig, Hildesheim, Georg Olms Verlag, 1966.
  • 2 ↑ Galilée, G., « Dialogue des sciences nouvelles » (1638), in Dialogues et lettres choisies (P.H. Michel éd.), p. 255 sq, Paris, Éditions Hermann, 1966.

→ diagonal (argument)