indéfini

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec apeiron auquel Anaximandre donne aussi le sens « d'illimité », « sans fin ».


Dans la philosophie grecque, le terme a plutôt une valeur négative, il s'oppose à ce qui est déterminé, circonscrit, finalisé. Le terme indéfini se distingue ensuite des termes de fini et d'infini.

Philosophie Générale, Philosophie Cognitive

Ce qui, étant rationnellement fini, peut cependant être conçu comme plus grand que toute quantité donnée.

L'indéfini est l'objet d'une représentation de l'imagination et qualifie un processus où il s'agit de répéter une opération sur une grandeur finie, répétition par essence inépuisable (par exemple ajouter 1 au nombre entier qu'on fixe comme le plus grand, ce qui conduit à concevoir la suite des nombres entiers comme indéfinie). La distinction entre l'infini et l'indéfini recoupe la distinction établie par Aristote entre l'infini en acte et l'infini en puissance.

La distinction entre l'infini et l'indéfini est élaborée par Descartes(1) dans un contexte qui lui donne un sens tout à fait original. Descartes réserve l'infini à la considération de l'ordre pur, détaché de toute considération mesurable, domaine exclusif et privilégié de la métaphysique : Dieu seul est infini. La distinction cartésienne entre infini et indéfini recouvre des enjeux métaphysiques et théologiques mais aussi physiques et épistémologiques. C'est parce que l'étendue du géomètre est conçue comme indéfinie et toujours imaginable que la matière hérite de ses propriétés : l'attribut principal de la matière – l'étendue – donne à connaître l'extension et la divisibilité indéfinies de la matière et son homogénéité parfaite. Sur le plan métaphysique, la nature indéfinie de l'étendue est l'indice que les ouvrages de Dieu ne sont pas Dieu lui-même ; le créationnisme est maintenu intégralement : la rupture entre Dieu et le monde s'exprime par la distinction qui sépare l'infini de l'indéfini. Enfin la distinction entre infini et indéfini exerce une fonction limitative quant au connaissable et à l'inconnaissable : le terme indéfini rappelle les hommes à l'ordre, à l'ordre de ce qui est humainement connaissable. L'indéfini est donc le concept cartésien qui marque la rupture entre l'infini et les choses créées parmi lesquelles l'Homme a un statut à part en raison de sa volonté (seule chose en dehors de Dieu qui peut aussi être dite infinie, la volonté étant la marque de Dieu en l'Homme). Ontologiquement, l'infini est premier et pleinement positif, le fini est la limitation de l'infini et vient en second, enfin l'indéfini désigne l'ensemble des choses dont l'entendement humain, à cause de sa finitude, ne peut assigner les bornes. C'est, pour Descartes, un concept négatif à la différence de l'infini qui est pleinement positif.

Mais, avec la conceptualisation progressive de l'infini mathématique, la distinction entre indéfini et infini tend à perdre son sens. D'Alembert, nourri de l'analyse lockienne de l'idée d'infini et instruit de la découverte par Leibniz du calcul infinitésimal explique que la seule notion claire que l'on puisse avoir de l'infini, c'est celle de la géométrie et du calcul infinitésimal qui font de l'infini la limite du fini(2). Il reprend ainsi l'analyse lockienne selon laquelle la notion de l'infini, inspirée par la considération des grandeurs extensives ordinaires, est l'expression d'une opération négative sur une notion positive finie (l'idée d'une durée infinie est, par exemple, le résultat du retranchement des bornes d'une période de temps donnée ou encore, selon Locke, la négation d'un commencement(3)). L'idée d'infini se forme à partir de la répétition d'une même opération sur une quantité finie (addition, multiplication pour l'infiniment grand, ou division pour l'infiniment petit), opération dont on ne peut évidemment pas se représenter le terme. Le concept d'infini change ainsi de statut, il n'est plus réservé à Dieu, il ne désigne plus l'inconnaissable, mais devient de plus en plus connaissable. Non seulement il recouvre le sens du concept cartésien d'indéfini, mais il est relégué au même statut de concept opératoire.

Véronique Le Ru

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, R., Œuvres, publiées par Adam et Tannery en 11 tomes, Paris, 1897-1909, rééd. en 11 tomes par Vrin-CNRS, 1964-1974.
  • 2 ↑ D'Alembert, « Éclaircissement XV », in Essai sur les Éléments de philosophie (1759), suivi des « Éclaircissements sur différents endroits des Éléments de philosophie » (1767), reprise de la 3e éd. de 1773 par Fayard, Paris, 1986.
  • 3 ↑ Locke, J., An Essay Concerning Human Understanding (1690), trad. de la 4e édition anglaise par Pierre Coste (« Essai philosophique concernant l'entendement humain »), Amsterdam, Henri Schelte, 1700, repris par Vrin, Paris, 1983, livre IV, ch. X.

→ étendue, infini, limite, métaphysique, monde