anticipation

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin anticipatio, trad. du grec prolêpsis, « saisie préalable ».

Philosophie Générale, Philosophie Antique

1. Chez Épicure, « notion générale emmagasinée » ou « mémoire de ce qui est souvent apparu de l'extérieur »(1). – 2. Chez les stoïciens, forme de notion (ennoia) emmagasinée, qui se distingue par sa formation naturelle et spontanée des notions formées et acquises par l'enseignement(2). – 3. Chez Kant, « connaissance par laquelle je puis connaître et déterminer a priori ce qui appartient à la connaissance empirique »(3).

Épicure, le premier, donne au terme son sens philosophique, en considérant l'anticipation comme l'un des critères. Le terme est repris par les stoïciens, chez qui il est aussi l'un des critères. Cicéron introduit la traduction par anticipatio(4) (Lucrèce ne parle que de notitia, qui traduit le grec ennoia, et Cicéron utilise aussi le terme praenotio, « prénotion »).

Selon Cicéron, l'anticipation désigne chez Épicure « une espèce de représentation d'une chose anticipée par l'esprit, sans laquelle on ne peut ni comprendre quelque chose, ni la rechercher, ni en discuter ». L'anticipation est une notion « emmagasinée » (cheval, bœuf, par exemple), qui permet d'identifier l'objet d'une sensation. Mais elle fournit aussi le point de départ d'une recherche, en réponse à l'aporie du Ménon de Platon (80 e) : ou bien nous ne connaissons pas ce que nous cherchons et nous ne pouvons pas le chercher ; ou bien nous le connaissons, et il est inutile de le chercher.

C'est ainsi que, selon les stoïciens, l'anticipation, naturellement « implantée dans l'âme et préconçue par elle », est « développée » pour constituer une notion plus technique(5). Pour eux, c'est l'agrégation des notions et des anticipations qui constitue la raison(6).

Kant, tout en se référant à la « prolepse » empirique d'Épicure, en transforme le sens, faisant de l'anticipation une forme de connaissance a priori portant sur la perception et dépourvue de contenu. Toute perception étant empirique et a posteriori, il est en effet impossible d'en connaître a priori la qualité (couleur, goût, etc.), et on peut seulement anticiper qu'elle a une « grandeur intensive », c'est-à-dire un degré (toute perception est plus ou moins faible). Cette anticipation de la perception permet à Kant de récuser l'existence du vide (qui serait l'absence totale de réalité du phénomène), principe de l'atomisme épicurien : toute perception est perception d'un certain degré de réalité.

Jean-Baptiste Gourinat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, X, 33.
  • 2 ↑ Pseudo-Plutarque, Opinions des philosophes, IV, 11.
  • 3 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, « Analytique transcendantale », livre II, ch. 2, s. 3, A 166, B 208.
  • 4 ↑ Cicéron, la Nature des dieux, I, 43.
  • 5 ↑ Cicéron, Topiques, vi, 31.
  • 6 ↑ A.A. Long & D.N. Sedley, les Philosophes hellénistiques, Paris, 2001, ch. 53 V, t. II, p. 349.

→ a priori, canon, critère, épicurisme, perception, stoïcisme