Marie-Thérèse
(Vienne 1717-Vienne 1780), archiduchesse d'Autriche (1740-1780), reine de Hongrie (1741-1780), de Bohême (1743-1780).
Introduction
« Jamais je ne négligerai les devoirs que je dois remplir en qualité de souveraine chrétienne envers mes sujets » : cette phrase qu'écrivait Marie-Thérèse au prince stathouder de Hollande en 1744 la dépeint tout entière. Sens de ses devoirs, fermeté d'âme quand elle est aux prises avec les périls extérieurs et les difficultés intérieures ou familiales, volonté opiniâtre d'assurer le bonheur de ses sujets et de préserver l'héritage des Habsbourg, tels sont les traits que l'on s'accorde à reconnaître à la reine de Hongrie (1741) et de Bohême (1743), impératrice germanique, mère de seize enfants, qui partage après 1765 le pouvoir avec son fils Joseph, en qualité de corégent. Des travaux récents modifient cette image traditionnelle : c'est à Marie-Thérèse que revient, en grande partie également, le mérite de la transformation de l'Empire en État moderne, sinon dans le domaine culturel, où l'emporte son esprit religieux, tout au moins dans le domaine économique, où l'Autriche s'ouvre aux premières réalisations de la révolution industrielle.
Naissance et éducation
Au moment de la mort de son père, l'empereur Charles VI, le 20 octobre 1740, Marie-Thérèse, jusque-là tenue à l'écart des affaires, attend son quatrième enfant. Née le 13 mai 1717, elle a épousé en 1736 François de Lorraine, fils du duc Léopold, qui vit depuis quinze ans à la cour de Vienne et qui, au traité de Vienne mettant fin à la guerre de la Succession de Pologne (1738), a reçu la Toscane dont il avait pris possession dès 1737, en échange de la Lorraine. Jeune et manquant d'expérience politique, la nouvelle souveraine est confrontée immédiatement avec les problèmes les plus graves : ceux-là mêmes de l'existence de la monarchie et de son droit à recueillir la succession paternelle.
L'héritage autrichien : diversité et contestation
Faire reconnaître par les puissances l'ordre de succession établi par la pragmatique sanction, qui modifie les dispositions arrêtées en 1703 par l'empereur Léopold Ier en faveur de ses filles, telle a été la préoccupation constante de Charles VI lors des dernières négociations de paix. Rédigée en 1713, la pragmatique sanction substitue, à défaut d'héritiers mâles, la descendance féminine de l'empereur régnant (en l'occurrence Marie-Thérèse) à celle de son frère. Loi de l'État et non plus seulement convention familiale, élément de droit international, le texte de Charles VI apparaît comme le fondement du droit public qui doit assurer l'indivisibilité des États de Habsbourg.
Ces États dont hérite Marie-Thérèse forment un ensemble étendu, hétérogène, dispersé. Du Rhin au Danube, de la mer du Nord à l'Adriatique, ce sont : un tiers de l'Italie, reçu en 1714 au titre de l'héritage espagnol, avec Milan, Naples, les ports de Toscane ; la Sardaigne, qui sera échangée contre la Sicile (1718) ; au nord, les Pays-Bas, avec Ostende ; au centre, les trois Autriches, supérieure, inférieure et intérieure ; à l'est, les pays de la couronne de Bohême, ceux de la couronne de Saint-Étienne (la Hongrie) et la Valachie occidentale. Ces différents territoires n'ont ni la même culture, ni les mêmes institutions, ni les mêmes traditions ; tous, à des moments divers, ont reconnu la loi de succession des Habsbourg, qui, depuis des siècles, reçoivent, par élection, la couronne impériale, donnée par les Électeurs réunis à Francfort en vertu de la Bulle d'or (1356).
Source de force par les possibilités diverses d'intervention pour une grande politique européenne, mais également source de faiblesse par leur dispersion même, les domaines des Habsbourg ont connu sous l'impulsion du Prince Eugène les effets d'une grande politique : celle de la lutte contre les Turcs et de la communion dans la victoire. Le Prince Eugène disparu (1736), restent à la mort de l'empereur Charles VI une administration centrale corrompue et routinière, un Conseil intime où se retrouvent six vieillards sages et fatigués, une armée dispersée, des finances ruinées, une insouciance généralisée des classes dirigeantes, face aux intrigues d'une maison de Bavière prétendant faire valoir ses droits à la succession qui vient de s'ouvrir et face aux ambitions déguisées d'un jeune souverain aux dents longues et à l'esprit prompt, monté également sur le trône en 1740 et que l'Europe ne connaît pas encore, Frédéric II, roi de Prusse.
La défense du patrimoine : l'œuvre extérieure de la souveraine
Introduction
Paradoxalement, cette princesse amoureuse de paix va devoir s'atteler à la défense de son héritage, voire à son extension, mission qui dicte ses alliances, commande sa politique, dans un rythme syncopé de guerres et de paix, tout le long d'un règne qu'elle voudrait sans histoire, dans le respect de la loi divine.
Le rapt initial : la prise de la Silésie par Frédéric II
Dès la mort de l'empereur, prévoyant que les puissances profiteraient de l'occasion pour contester les droits de Marie-Thérèse, prévenant la protestation de la Bavière, Frédéric II envahit la Silésie (décembre 1740). La France décide de dissocier succession autrichienne et succession impériale, et conclut une alliance avec la Prusse. Le 24 janvier 1742, Charles-Albert, Électeur de Bavière, qui a pris à Prague la couronne de Bohême, est élu empereur sous le nom de Charles-Albert VII ; en février, il est couronné à Francfort. La situation est dramatique pour la jeune souveraine, qui puise les éléments favorables à un redressement de la situation dans l'appel aux États de Hongrie, dans l'alliance d'une Angleterre craignant pour le Hanovre et dans l'appui de son peuple. Marie-Thérèse fait la part du feu : après la victoire de Frédéric II à Chotusitz (aujourd'hui Chotusice, en République tchèque), elle cède au roi de Prusse, par les préliminaires de Breslau, confirmés par le traité de Berlin (28 juillet 1742), la Silésie, moins quelques districts. À la mort de l'empereur Charles VII, le nouvel Électeur de Bavière, Maximilien III Joseph (1727-1777), signe avec elle la paix de Füssen (22 avril 1745) : la Bavière disparaît de la scène politique. La guerre se transporte aux Pays-Bas, où Maurice de Saxe remporte pour la France la victoire de Fontenoy, pendant que Frédéric II, rentré en scène, commence la seconde guerre de Silésie ; François de Lorraine, élu empereur le 15 septembre, est couronné à Francfort. Le traité de Dresde (25 décembre 1745) confirme les stipulations du traité de Berlin. Le traité d'Aix-la-Chapelle – où Louis XV traite en roi et non en marchand – rend la paix à l'Europe (1748), mais un fait fondamental demeure : l'animosité de Marie-Thérèse à l'égard de Frédéric II et son vif désir de reprendre la Silésie.
L'œuvre de reconstruction et le renversement des alliances
L'exemple prussien est décisif : la réorganisation du vieil édifice habsbourgeois s'impose. Deux hommes ont toute la confiance de la souveraine : Haugwitz et Kaunitz. Friedrich Wilhelm Haugwitz (1702-1765), converti silésien, est chargé de l'œuvre intérieure : administrative et financière d'abord, par l'installation, à la tête des anciens organismes, d'un directorium in publicis et cameralibus (1749) ; judiciaire ensuite, par la création d'un service judiciaire suprême. Les ressources trouvées, l'armée est reconstituée : l'académie militaire Marie-Thérèse est installée en 1752 à Wiener Neustadt. Le comte Kaunitz (Wenzel Anton von Kaunitz-Rietberg [1711-1794]), placé à la tête de la chancellerie aulique et d'État, prône l'alliance avec la France et la réalise, malgré les traditions et les résistances tant à Versailles qu'à Vienne : faisant suite au traité de Versailles (mai 1756), le mariage de Marie-Antoinette et du futur Louis XVI (1770) symbolise ce nouveau système politique qui va durer jusqu'à la Révolution.
La guerre de Sept Ans (1756-1763)
Cette guerre qui voit se nouer contre Frédéric II, allié de l'Angleterre, une coalition où se retrouvent, aux côtés de l'Autriche, la France, la Russie et la plupart des États de l'Empire, est un conflit typique de l'ancien régime politique et militaire de l'Europe moderne par les multiples rebondissements, la paralysie générale du commandement, les charges énormes imposées aux populations, la diplomatie extrêmement active jusqu'en 1763, date à laquelle s'impose l'idée de la paix. En février 1763, la France signe avec l'Angleterre victorieuse le traité de Paris, tandis qu'à Hubertsbourg Marie-Thérèse abandonne toutes ses prétentions sur les territoires du roi de Prusse, comté de Glatz (aujourd'hui Klodzko) y compris ; Frédéric évacue sans indemnité les territoires saxons ; il accorde sa voix au futur Joseph II pour l'élection du roi des Romains (27 mars 1764). Les résultats les plus nets de ces conflits sont un nouvel affaiblissement du Saint Empire, l'élévation de la Prusse au rang de grande puissance et l'apparition, aux côtés de Marie-Thérèse, de son fils, âgé de vingt-trois ans – jaloux et admirateur de Frédéric II, dont la légende se forme –, le futur Joseph II, qui succède à son père dans la dignité impériale à la mort de ce dernier (18 août 1765).
L'œuvre intérieure : reconstruction et mise en valeur
Pendant longtemps, le côté spectaculaire de la politique extérieure a éclipsé l'œuvre intérieure, dont tout le mérite était attribué à son fils, qu'elle avait associé à son gouvernement, en qualité de corégent, après la mort de son cher époux, l'empereur François. Le contraste est éclatant, dans l'action, entre ces deux personnages séparés par le caractère, les idées, les méthodes. L'une se plie aux circonstances, l'autre veut imposer ses vues et dicter ses principes. « Despote éclairée sans avoir elle-même l'esprit des lumières » (F. Bluche), Marie-Thérèse met en action et poursuit dans différents domaines l'œuvre commencée entre les deux guerres et compromise par le dernier conflit. La volonté d'unification des différents États est affirmée par la réunion de la chancellerie de Bohême et de celle d'Autriche – véritable « coup d'État centralisateur » – ainsi que par la création d'une « députation » nommée par Vienne à la place de la lieutenance de Prague. La réorganisation des finances est continuée après 1761 par l'institution, à la place du Directoire, de trois corps distincts : la Chambre de cour, la Caisse générale, la Cour des comptes. Le crédit de l'État est rétabli grâce à la réorganisation du système des impôts et au développement de la Banque de Vienne. Les réformes de l'administration centrale provinciale, ainsi que de la justice créent une ossature solide qui permettra à l'État autrichien de durer jusqu'aux secousses de 1848.
Dévote, Marie-Thérèse n'en connaît pas moins les maux dont souffrent l'Église et les institutions dont elle assume la charge, l'enseignement et l'assistance. Aussi s'emploie-t-elle à de nombreuses réformes : publication, en 1768, de la Constitutio criminalis Theresiana, réduction du nombre des tribunaux et délimitation stricte de leur compétence, restriction du droit d'asile des maisons religieuses, nombreuses dans les États des Habsbourg, diminution du nombre des jours fériés, encouragement des études et réformes de l'enseignement grâce à l'action d'hommes éclairés tels que Gerard Van Swieten (1700-1772), Paul Joseph von Riegger (1705-1775), Karl Martini (1726-1800), Josef von Sonnenfels (1732-1817), Johann Ignaz von Felbiger (1724-1788) et suppression de l'ordre des Jésuites (1773), après que la souveraine eut approuvé leur éviction des différentes commissions, où ils manifestaient leur esprit rétrograde. Sans doute, l'influence de l'archiduc Joseph et celle de Kaunitz sont-elles déterminantes, mais ces décisions émanent de la souveraine, de même que toutes celles qui prévoient la réorganisation de l'université de Vienne et de la bibliothèque – compte tenu de la censure rigoriste qui persiste à tous les échelons –, la mise en place d'un embryon d'enseignement technique et de différentes institutions scientifiques.
L'attention a été attirée sur l'œuvre économique. Mercantiliste, Marie-Thérèse joue dans ce domaine un rôle considérable. Elle établit en vue du développement économique de ses États un Staatsrat (1761) qui regroupe ses conseillers caméralistes, dont elle veut appliquer les théories qui doivent procurer la richesse à ses États. Aidé par François Ier de Habsbourg-Lorraine, qui, en tant que financier, s'intéresse à ces problèmes, elle suit avec attention les réalisations étrangères dans le domaine des manufactures. Les trois points essentiels d'application des théories caméralistes sont l'accroissement de la population des territoires, la création de nouveaux secteurs productifs et la prévision des subsistances à assurer à tous.
C'est dans ce domaine économique que se reflètent le mieux les préoccupations du siècle. Il faut peupler, recenser, coloniser. Une nouvelle organisation des régions frontières ou récemment reconquises est envisagée : sans doute, la densité reste encore faible, mais l'œuvre est immense. Il faut aussi développer les sources de production, d'abord par l'augmentation de la quantité et par l'amélioration de la qualité des produits de l'artisanat au sein de ce grand domaine rural qu'est alors l'empire des Habsbourg, ensuite par la création de manufactures favorisées par une politique douanière tempérée.
Des ouvriers spécialisés sont attirés de l'étranger – Angleterre, France, Saxe – quand la religion ne met pas obstacle à leur séjour prolongé. L'aide de l'État, celle de la haute aristocratie sont assurées à l'industrie minière, aux établissements métallurgiques, aux activités textiles : à la laine traditionnellement travaillée en Bohême et en Moravie s'ajoutent le coton en Basse-Autriche et en Bohême, la soie en Tyrol et en Bohême ; mais la perte de la Silésie, puissante économiquement, perte qui n'a pas été qu'affective pour Marie-Thérèse, prive l'Empire de ressources importantes, notamment en lin. Industries du papier, du sucre, de la porcelaine (mis à part celles de la Hongrie, qui garde dans ce domaine une économie semi-coloniale) sont autant d'éléments diversifiés où se succèdent échecs et réussites, en fonction des conditions régionales, des capitaux investis, des hommes, des débouchés.
Faire de l'Autriche une puissance maritime, tel est le rêve, repris de Charles VI (créateur de la Compagnie d'Ostende), que caresse Marie-Thérèse. Le commerce par mer passe par Trieste vers l'Espagne et les Pays-Bas autrichiens ; auparavant, il passait par Francfort et Hambourg. Le commerce vers le Levant progresse : on y trouve encore beaucoup de Grecs, d'Arméniens et de Juifs ; le Danube, reconquis et régularisé, ouvre la voie. Les difficultés financières retardent la création d'une flotte de guerre qui serait nécessaire contre les entreprises barbaresques. Vienne est le centre des routes et du grand commerce de l'Empire, producteur de grains et de bestiaux. La politique agraire, où se retrouvent difficilement les influences de la physiocratie, connaît un moindre essor, sauf sur quelques domaines privilégiés, où s'installent la culture du trèfle, de le pomme de terre, du safran, de l'indigotier. Soucieuse des prix à bon marché, Marie-Thérèse se préoccupe du sort du paysan, par l'assistance, la réduction du nombre des jours de corvée et de la fiscalité seigneuriale, mais, à la différence de son fils, elle n'a pas dans ce domaine une position systématique et refuse de heurter de front, outre les États provinciaux, une noblesse utile à l'État et à l'armée.
Les dernières épreuves et la mort
Tourmentée dans sa conscience par les questions ecclésiastiques, Marie-Thérèse l'est plus encore par les options nouvelles que prétendent lui imposer la politique dite « réaliste » du remuant archiduc Joseph, les intrigues de Frédéric II et les ambitions de Catherine II, impératrice de Russie. Trois questions restent en suspens : le partage de la Pologne ; l'intégrité de l'Empire turc, avec lequel l'impératrice a signé le 6 juillet 1771 un traité d'alliance, « véritable réplique au renversement des alliances de 1756 » (G. Zeller) ; l'héritage bavarois. La question polonaise est réglée par le traité du 25 juillet 1772 malgré les scrupules de la souveraine, inconsolable d'avoir dû s'y associer : Marie-Thérèse reçoit le plus gros morceau, la Galicie, avec deux millions d'habitants, qui deviendra un royaume autonome avec Lemberg (Lviv) comme capitale. Les ambitions russes menacent la Turquie, qui, au traité de Kutchuk-Kaïnardji (21 juillet 1774), doit céder à la tsarine la grande plaine entre le Boug et le Dniepr ; l'année suivante, les Turcs cèdent la Bucovine à l'Autriche.
La question de Bavière est soulevée par la mort de l'Électeur Maximilien III Joseph (décembre 1777) ; l'archiduc Joseph envisage un partage du pays, malgré l'hostilité de sa mère. Le problème est réglé par le traité de Teschen (1779), conclu sous l'égide des puissances médiatrices, France et Russie, réunies sur l'instigation de Frédéric II pour réduire à néant les projets de l'archiduc Joseph. Dans toutes ces affaires, Marie-Thérèse agit à contrecœur : elle n'approuve ni les méthodes brutales de son fils, ni les extensions de territoires « réalisées, dit-elle, au prix de notre honneur, de la gloire de la monarchie, de notre bonne foi et de notre sentiment religieux ». Jusqu'au bout, elle demeure persuadée que Frédéric II, que d'aucuns, dans son entourage, admirent, demeure le mauvais génie de la monarchie des Habsbourg. Cependant, joyeuse, allègre, à Vienne, capitale cosmopolite et musicale, à la Cour, dans les monastères, dans les résidences aristocratiques s'épanouit la civilisation issue du baroque, forme d'art, mais également style de vie, époque de culture empreinte d'une mentalité. Sans doute, Marie-Thérèse n'a-t-elle pas exprimé toutes les contradictions et tous les paradoxes de cette société en mouvement, mais, contre vents et marées, elle en a assuré les valeurs traditionnelles.