Tommaso di Ser Giovanni, dit Masaccio
Peintre italien (San Giovanni Valdarno 1401-Rome 1428).
Les années de formation
Tommaso di Ser Giovanni fut orphelin de père à l'âge de cinq ans ; sa famille vint s'installer à Florence en 1417, après le remariage de sa mère. On ne sait rien de ses débuts avant 1422, date à laquelle il s'inscrivit à l'« Arte dei medici e speziali » de Florence. Il semble qu'il était un homme incapable d'affronter les aspects pratiques de l'existence. Marqué par la tristesse de son enfance, il restera pauvre et incompris de la plupart de ses contemporains. À sa mort, pourtant, Brunelleschi dira : « Nous avons fait une grande perte. » D'après Vasari, Masaccio était un personnage abstrait, tout dévoué à la cause de l'art, mais négligent et instable. Pendant longtemps, on pensa qu'il était l'élève de Masolino da Panicale (1383-vers 1447), tant les carrières et les œuvres des deux peintres se trouvent imbriquées. Masaccio étant le plus jeune, Vasari en a déduit que Masolino était le maître, théorie qui serait acceptable si Masolino n'était entré à la gilde de l'« Arte » un an après Masaccio, alors qu'à Florence aucun peintre ne pouvait prendre d'élèves avant d'y être inscrit. Il est en tout cas certain qu'ils travaillèrent ensemble à de nombreux ouvrages, tant à Florence qu'à Rome (on manque de documents sur la brève activité finale de Masaccio dans cette ville).
Une des clés de la Renaissance picturale florentine
En 1422, Masaccio est donc un peintre autonome. À Florence, il peint une Annonciation (maintenant disparue) pour l'église San Niccolo sopr'Arno. Le triptyque de l'église de San Giovenale a Cascia, près de Florence, est sa première œuvre presque certaine, datée de cette même année 1422. Il nous montre l'extraordinaire culture de Masaccio dès ce moment. Le jeune artiste se situe déjà aux côtés de Brunelleschi et de Donatello. On sent qu'il a étudié les fresques de Giotto à Santa Croce et qu'il a retrouvé l'essentiel du classicisme giottesque, comme Nanni di Banco a su retrouver celui d'Arnolfo di Cambio dans ses sculptures. En 1424, Masaccio s'inscrit à la compagnie de San Luca, composée exclusivement de peintres.
La critique s'est mise d'accord pour placer après le triptyque de San Giovenale, vers 1424-1425, le retable exécuté en collaboration avec Masolino pour l'église Sant'Ambrogio à Florence, représentant Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant (aux Offices). Malgré des rapports de forme incontestables entre les deux peintres, Masaccio, qui a peint la Vierge et l'Enfant, a un développement chromatique plus avancé que Masolino, une vision plus directe des choses ; il modèle ses visages dans l'ombre et la lumière et atteint ainsi un véritable réalisme. Cette Madone est considérée comme la première tentative de représentation plastique de la figure humaine à travers une construction pyramidale typiquement florentine. Les recherches sur la couleur, l'espace et la lumière s'intensifient dans la Vierge d'humilité de la collection Mellon (National Gallery de Washington), qui est de la même époque.
Dans les premiers mois de 1426, Masaccio peint, pour le cloître de Santa Maria del Carmine de Florence, la célèbre fresque de la Sagra, relatant la cérémonie de consécration de l'église en 1422 ; il ne reste de cette œuvre que des dessins et des copies, mais leur étude permet de s'acheminer vers la seule œuvre qui soit en toute certitude de Masaccio, le polyptyque du Carmine de Pise, daté de 1426, décrit par Vasari et parfaitement documenté. Il fut enlevé de l'église du Carmine au xviiie s. et immédiatement démantelé. La Vierge à l'Enfant est conservée à la National Gallery de Londres, la Crucifixion au musée national de Naples, trois morceaux de la prédelle sont dispersés entre Berlin et Londres, etc. (tous les panneaux n'ont pas été retrouvés). La création de ce polyptyque constitue un des événements les plus importants de l'histoire de la peinture ; il sert à la fois de base et de pivot à la Renaissance. Masaccio arrive ici à une construction idéale. La Crucifixion, placée au-dessus de la monumentale Vierge en majesté que B. Berenson dit être « d'une solidité monolithique », nous apparaît dans une perspective légèrement raccourcie ; le peintre accentue le pathétique de la scène en créant une opposition entre le corps du Christ, qui semble glisser à terre, et la Madeleine hurlante et prostrée. La lumière, élément fondamental dans la représentation de la perspective, accentue la qualité sculpturale des figures et contribue à l'unité de la scène. Dans l'Adoration des Mages de la prédelle, alors qu'un peintre gothique aurait décrit une manifestation mondaine, Masaccio évoque les hommes et s'attache à la réalité objective, exaltant par ce sérieux même le caractère sacré de la scène.
Les fresques de la chapelle Brancacci
Les fresques de la chapelle Brancacci à Santa Maria del Carmine de Florence, commandées par Felice di Michele Brancacci, riche commerçant et diplomate, ont été commencées dès 1424 par Masolino, avant son départ pour la Hongrie, et il se peut qu'il ait demandé à Masaccio d'y collaborer. La chronologie de ce cycle de fresques a fait l'objet de nombreuses controverses. Trois maîtres y participèrent, Masaccio, Masolino, et plus tard Filippino Lippi ; s'il est facile de déterminer la part de ce dernier, il n'en est pas de même pour le travail respectif de Masaccio et de Masolino. En comparant ces fresques au retable de Pise, qui est un exemple authentique du style naturaliste de Masaccio, l'ensemble de la critique s'accorde à attribuer à ce dernier le Paiement du tribut, Adam et Eve chassés du paradis terrestre, l'Intronisation de saint Pierre, l'Ombre de saint Pierre guérissant les malades, Saint Pierre faisant l'aumône ainsi qu'une partie de la Résurrection du fils de Théophile, le préfet d'Antioche. Par la conception de sa perspective et de sa composition, le Tribut est la fresque la plus célèbre, mais celle d'Adam et Eve étonne par sa puissance dramatique. Les deux corps nus sont vigoureusement sculptés sous un éclairage violent ; jamais la peinture n'avait atteint ce réalisme et cette stylisation : le tragique parvient ici à des accents universels. Dans la fresque de saint Pierre guérissant les malades, la majestueuse silhouette du saint semble habitée d'une force surnaturelle ; l'allure lente du cortège est soulignée par la ligne de fuite de la rue ; toute vulgarité est absente du visage des malades : en soulignant leur humanité, Masaccio leur fait partager la spiritualité de l'apôtre. Le cycle du Carmine permet à son tour d'attribuer à Masaccio la fresque de la Trinité de Santa Maria Novella à Florence. Ici, le peintre se rapproche davantage encore de Brunelleschi. Il réussit la synthèse et l'interpénétration des éléments d'architecture, de sculpture et de peinture, passe du réel au figuré avec une aisance sans défaut. L'application scientifique de la perspective linéaire et aérienne à la figure humaine aide à l'instauration d'un climat de calme profond, d'une dimension contemplative qui exprime le divin.
L'apport de Masaccio
L'influence de Masaccio est flagrante dans l'œuvre de Masolino, surtout à la chapelle Brancacci. Élève de Gherardo Starnina (connu d'environ 1345 à 1413), Masolino demeure lié au gothique international ; il s'attache aux silhouettes élégantes, à la grâce, aux coloris rutilants, mais il va plus loin, car il marque un intérêt pour la lumière et rythme son espace en utilisant la perspective. Au cours de ses séjours en province, il a contribué à diffuser les nouveautés de Masaccio, dont lui-même a tiré profit, sans, cependant, en adopter la rigueur. Dans les fresques de la collégiale de Castiglione d'Olona, sur un ton plaisant, il réalise un équilibre entre la couleur et l'espace qui annonce Domenico Veneziano et Piero della Francesca.
Massaccio, lui, recherche dans sa peinture un prolongement du monde visible, soumis aux mêmes lois de la perspective : il mène à sa conclusion logique ce rapprochement avec le réel qu'avait amorcé Giotto. Avec Brunelleschi et Donatello (ce dernier mieux compris que lui dans l'immédiat, grâce à son irrésistible tension émotionnelle), il est le fondateur d'un style héroïque, fondé sur la recherche scientifique de la perspective, qui se répandit à Florence parallèlement au gothique international. Son influence, sensible chez de nombreux artistes du xve s., s'exerça surtout à partir des fresques de la chapelle Brancacci, véritable testament du maître. La peinture, dorénavant, adoptera cet ordonnancement des figures dans l'espace, proportionnées selon l'éloignement, et surtout ce modelé par l'ombre et la lumière qui donne une grande liberté d'expression. Masaccio y ajoute le sens plastique. Dans des architectures réduites à l'essentiel évoluent des personnages campés avec vigueur, d'une noblesse qui répudie l'élégance. Le peintre leur fait exprimer la gamme la plus variée des passions humaines, par une sorte de génie dramatique qui se trouve aussi dans la sculpture de Donatello. De même qu'il fut le premier à parfaitement comprendre l'art de Giotto, Michel-Ange, qui dessina d'après ces fresques, fut le premier à pénétrer leur signification.