néoconservatisme
Courant de pensée politique constitué aux États-Unis dans les années 1970 et qui se fixe pour but d’influencer les choix sociétaux et les orientations de politique étrangère des dirigeants américains.
Animé par un groupe d’intellectuels américains virulemment anticommunistes, le néoconservatisme se constitue autour de la volonté d’en découdre tant avec le relativisme culturel qui leur semble prévaloir sur la scène intérieure qu’avec la realpolitik incarnée par Henry Kissinger dans le domaine des relations internationales.
Issus pour nombre d’entre eux des rangs démocrates voire de l’extrême gauche, à l’instar d’Irving Kristol, auteur en 1979 d’un article intitulé « The Confessions of a True, Self-Confessed Neoconservative », ces intellectuels ont en commun de dénoncer l’évolution des idéaux américains, émoussés à leurs yeux par le progressisme des années 1960 et la recherche d’un modus vivendi avec l’U.R.S.S. qu’ils assimilent à un renoncement dommageable de la mission civilisatrice du pays. Se réclamant du philosophe Leo Strauss et de son disciple Allan Bloom, ainsi que de leur combat pour les valeurs, ils se prononcent pour un sursaut du géant américain, appelé, dans une version renouvelée de sa soi-disant « destinée manifeste », à étendre, y compris par l’emploi des armes, le règne de la démocratie dans le monde, et à prévenir, par tous les moyens dont il dispose, l’essor de toute nation susceptible de lui faire de l’ombre. Adeptes d’une diplomatie transformationnelle rejetant le traditionnel jeu des équilibres et portant nettement l’accent sur l’outil militaire et le réarmement, ils exhortent à la promotion ouverte de la démocratie et à l’affichage sans complexe d’une volonté de puissance qu’ils disent être bienveillante.
Comme Norman Podhoretz, Richard Perle ou encore Jeane Kirkpatrick, ils se rallient à Ronald Reagan et se font de plus en plus influents dans un parti républicain en voie de réalignement sur des positions clairement néolibérales et, au moins verbalement, martiales. Détenant davantage de postes d’influence au sein de l’exécutif, ils soutiennent la révolution conservatrice que le président engage, de même que le rafraîchissement très marqué des rapports entre les deux grands qui accompagne son premier mandat (dénonciation de l’« Empire du Mal » en 1983, programme de réarmement, lancement de l’Initiative de défense stratégique [I.D.S.] ou « guerre des étoiles »). Si leur poids dans la détermination des orientations stratégiques du pays semble décliner à partir du milieu des années 1980, la chute de l’empire soviétique au tournant des années 1990 paraît confirmer leurs analyses et surtout confère aux États-Unis un rôle de garant d’un « nouvel ordre mondial » qui leur apparaît comme l’occasion de mettre en application leurs théories (coïncidence des intérêts de l’unique superpuissance avec de ceux du reste de la planète, légitimation de facto de l’unilatéralisme, rejet du multilatéralisme perçu comme source d’inertie, de compromissions et d’inefficacité, propension à l’utilisation de la force, focalisation sur les questions du Proche-Orient (→ Orient arabe) et liens étroits avec le Likoud israélien).
Quelque peu écartés des cercles de décision au profit des réalistes sous les mandats de George H. W. Bush et de Bill Clinton, ils n’en continuent pas moins à diffuser leurs vues parmi les responsables du Grand Old Party et dans les milieux proches du pouvoir à travers les vecteurs dont ils se sont dotés, en particulier les organes de presse comme les journaux (Commentary, The Weekly Standard), ou encore les productions des think tanks qu’ils ont investis (l’American Enterprise Institute, l’Heritage Foundation), ou même créés (ainsi du Project for the New American Century mis sur pied en 1997 par William Kristol et Robert Kagan comme lieu d’échanges entre intellectuels et poids lourds du parti républicain autour de l’objectif du renforcement inconditionnel du leadership des États-Unis dans le monde).
À l’accession de George W. Bush à la présidence, nombre d’entre eux (comme, entre autres, Paul Wolfowitz, Richard Perle ou Elliot Abrams) retrouvent des postes de responsabilité et/ou agissent en sous-main auprès notamment du vice-président Dick Cheney ou du ministre de la Défense Donald Rumsfeld.
Les attentats du 11 septembre 2001 semblent accréditer leur vision manichéenne du monde et conforter la thèse qu’ils défendent et selon laquelle il appartient aux États-Unis, en tant que guerriers du Bien, de changer la donne et d’imposer la démocratie aux États-voyous. À cet égard, ils portent une large responsabilité dans l’invasion en 2003 de l’Iraq, dont ils escomptent faire un État-modèle censé reconfigurer à terme la carte politique du Moyen-Orient. L’enlisement de l’opération et les rebondissements de la politique intérieure nationale (revirement de l’opinion peu après la réélection de George W. Bush et scrutin des midterms de 2006 défavorable aux républicains) conduisent au discrédit de leurs options et au retour au premier plan des tenants du réalisme politique. Certains, comme Francis Fukuyama, vont jusqu’à faire leur mea culpa et à répudier le wilsonisme ou idéalisme casqué et botté qui les animait, tandis que le Project for the New American Century est suspendu après moins de dix ans d’existence. Aussi les néoconservateurs perdent-ils de leur superbe pour ne plus former à Washington qu’un courant d’opinion et de pensée parmi d’autres.