Hittites
Peuple ancien de l'Anatolie centrale, attesté du xixe au xiie s. avant J.-C.
Le terme « hittite » vient de Hatti, nom que portait, au IIIe millénaire, le bassin de l'Halys, son peuple et la langue qu'il parlait.
1. Les origines
La population hittite s'est formée par la fusion des indigènes (qui lui ont donné leur nom, Hatti) et de nouveaux venus à langue indo-européenne, dont l'origine et la date d'arrivée en Anatolie centrale restent inconnues et qui adoptent la civilisation de leurs hôtes. Le nouveau peuple, les Hittites, ou Hatti, est attesté pour la première fois dans les « tablettes de Cappadoce », archives des marchands assyriens installés en Anatolie centrale depuis la fin du xxe s. avant J.-C. Il est alors divisé en cités-États, dont les rois se disputeront longtemps la prédominance.
Pour en savoir plus, voir l'article hittite [langue].
2. L'Ancien Royaume (xviiie-xve siècles avant J.-C.)
Les modernes désignent ainsi la période, encore très pauvre en documents indigènes, où les Hittites, qui forment maintenant un État unique, commencent à fédérer, sous la direction de leurs souverains, les royaumes anatoliens voisins et réalisent hors de l'Anatolie des conquêtes de courte durée. La dynastie qui l'a emporté et a détruit ses rivales en Hatti s'est finalement installée à Hattousa (ou Hattousha [aujourd'hui Boğazköy]), un site fortifié au nord du pays. Ses rois n'hésitent pas à franchir le Taurus, attirés par la richesse et le haut niveau de civilisation des royaumes amorrites de la Syrie septentrionale, à qui ils empruntent l'écriture cunéiforme pour écrire en akkadien et en nésite (langue indo-européenne du Hatti, que les spécialistes nomment hittite). Hattousili Ier lutte contre le plus puissant de ces États syriens, le Yamhad (dont la capitale est à Alep), qui est détruit par son successeur, Moursili Ier (vers 1600 avant J.-C.) ; ce dernier, également vainqueur des Hourrites qui occupent les confins de l'Anatolie et de la Mésopotamie, va même, dans un raid sans lendemain, surprendre Babylone, où il met fin à la dynastie amorrite (1595 avant J.-C.).
Mais Moursili Ier est assassiné peu après, et ce drame est le premier d'une série de crimes commis par des ambitieux, princes ou époux de princesses, au détriment de rois, qui sont souvent déconsidérés par leurs défaites. Devant la poussée hourrite, les Hittites évacuent la Syrie septentrionale et la Cilicie ; d'autre part, au nord-est du Hatti, ils ne parviennent pas à arrêter les incursions du peuple barbare des Kaska (ou Gasga), qui continueront jusqu'à la fin de l'État hittite. Le déclin est momentanément enrayé durant le règne de Télibinou (fin du xvie s. avant J.-C.) ; ce souverain a laissé un long rescrit qui formule ou rappelle les règles de la succession héréditaire au trône et les procédures concernant les crimes commis par des personnes de la famille royale.
3. Le Nouveau Royaume (vers 1450-1380 avant J.-C.)
Au xve s. avant J.-C., le Hatti est complètement éclipsé par l'empire du Mitanni, qui exerce son influence, par l'intermédiaire de groupes indo-aryens et hourrites, sur un espace qui va du Zagros à la vallée de l'Oronte. Après 1450 avant J.-C., le trône de Hattousa passe à une nouvelle dynastie, qui semble originaire du Kizzouwatna (Kizouvatna), un royaume qui correspond à la Cilicie orientale et à la Cataonie, et dont la population, de parler louvite (langue indo-européenne répandue dans tout le sud de l'Anatolie), a été profondément influencée par les Hourrites. Les personnes de la nouvelle lignée royale de Hattousa portent des noms hourrites, et c'est à leur avènement que les rois prennent un nom hittite traditionnel. Ils ne sont pas plus heureux d'abord que leurs prédécesseurs de la fin de l'Ancien Royaume, et, sous Toudhaliya III, le Hatti, trahi par les petits États fédérés, de toutes parts envahi par ses voisins anatoliens, semble sur le point de succomber.
4. L'Empire hittite (vers 1380-1191 avant J.-C.)
Le royaume est alors sauvé par un prince qui succède bientôt à son père sous le nom de Souppilouliouma Ier (vers 1380-vers 1345 avant J.-C.). Celui-ci consacre de longues années à lutter contre les Kaska, à établir ou à rétablir la souveraineté de la monarchie hittite sur les petits États anatoliens voisins et à tenter de soumettre le grand royaume louvite de l'Arzawa (vers le sud-ouest de l'Anatolie). Mais, dans ces régions, le conquérant hittite n'obtient que des succès temporaires, car sa préoccupation essentielle reste de mettre la main sur une partie de la Syrie ; il espère ainsi participer aux échanges économiques et culturels qui font du couloir syrien le pays le plus actif et le plus riche du temps, entrer en rapports réguliers avec toutes les puissances et se faire reconnaître une place parmi les grands souverains de l'Orient. Étant parvenu à vaincre le roi de Mitanni, Toushratta, Souppilouliouma Ier commence la conquête du domaine syrien de son adversaire (au nord-est d'une diagonale qui irait d'Ougarit à Qadesh), qu'il achève après l'assassinat du souverain mitannien (vers 1360 avant J.-C.). Le Hittite installe ses fils cadets à Kargamish (Karkemish) et à Alep comme rois fédérés, avec mission de contrôler les souverains indigènes des autres États syriens qu'il a soumis et qui entrent dans le système fédéral du Hatti, ainsi que l'héritier de Toushratta, Mattiwaza ; ce dernier a dû se contenter de la partie occidentale de la haute Mésopotamie, mais, en dépit de la protection hittite, ce débris du Mitanni finira par être totalement absorbé par l'Assyrie au xiiie s. avant J.-C.
Dans son élan conquérant, Souppilouliouma Ier avait empiété sur le domaine syrien des pharaons, alors que la crise atonienne affaiblissait l'Égypte. C'est à cette époque que la reine d'Égypte, veuve de Toutankhamon, ne voulant pas épouser un de ses « serviteurs » égyptiens, demande au souverain de Hattousa de lui envoyer un de ses fils pour mari (vers 1352 avant J.-C.) ; mais le prince hittite est assassiné avant d'atteindre son but, et les heurts entre l'Égypte et le Hatti dégénèrent en une série de guerres qui vont s'étaler sur trois quarts de siècle.
Après la mort de Souppilouliouma Ier, le fondateur de l'Empire hittite, c'est la révolte générale des États qu'il y avait incorporés ; mais son fils Moursili II (vers 1344-vers 1310 avant J.-C.) parvient à rétablir la situation et fait même entrer l'Arzawa dans la fédération qu'il domine. Mouwatalli (vers 1310-vers 1292 avant J.-C.), fils aîné de Moursili II, se consacre essentiellement à la lutte contre les Égyptiens, dont la force militaire se manifeste de nouveau à partir de l'avènement de la XIXe dynastie (vers 1320 avant J.-C.) ; et, en 1299 avant J.-C., les Hittites et leurs alliés surprennent l'armée de Ramsès II près de Qadesh : c'est un échec que le grand pharaon ne parviendra pas à réparer complètement. Mouwatalli a pour successeur un « fils de second rang », Ourhi-Teshoub, qui prend le nom de Moursili III. Mais, au bout de sept ans, le jeune souverain est détrôné et exilé par son oncle, l'ambitieux Hattousili III (vers 1285-vers 1265 avant J.-C.), qui avait déjà été le bras droit de Mouwatalli. Le nouveau roi, inquiet de l'expansion des Assyriens, qui atteignent maintenant l'Euphrate, conclut avec Ramsès II un traité (vers 1283 avant J.-C.) sur la base du statu quo, c'est-à-dire laissant au Hittite un domaine syrien légèrement plus étendu que celui de Souppilouliouma Ier.
Cette paix sera durable, et le fils de Hattousili, Toudhaliya IV (vers 1265-vers 1235 avant J.-C.), se préoccupera seulement des mauvais procédés de l'Assyrie et du pays d'Ahhiyawa. Ce dernier, qui est mentionné par les Hittites depuis le règne de Moursili II, doit être un royaume des Achéens de l'Iliade, et dans son roi Attarsiya, qui, dans la seconde moitié du xiiie s. avant J.-C., provoque des soulèvements dans la partie occidentale de l'Empire hittite, on est tenté de voir Atrée, roi de Mycènes et père d'Agamemnon. Dans la même perspective, le pays de Wilousa, allié soumis du Hatti depuis le xive s. avant J.-C. serait celui de Troie, et la campagne menée par Toudhaliya IV en Assouwa (peut-être l'Asie, qui fut d'abord une région au nord-ouest de l'Anatolie) serait en relation avec les reliefs hittites sculptés sur les rochers du Karabel et du Sipyle dans la région d'Izmir. Toudhaliya IV, qui porte l'Empire à son maximum d'extension, soumet également le royaume d'Alashiya (Alasia), qui doit être Chypre ou une partie de cette île.
5. La civilisation hittite à l'époque impériale
Si elle continue celle de l'Ancien Royaume, la civilisation des xive et xiiie s. avant J.-C. paraît, cependant, davantage marquée par le caractère du cadre politique : un empire fédératif qui réunit des États appartenant à des unités culturelles et linguistiques variées. C'est une civilisation composite, comme peut l'être celle d'un peuple guerrier qui domine des voisins souvent plus évolués que lui et copie les institutions des pays qui sont arrivés avant lui au stade de l'empire (Égypte, Mitanni, Babylonie).
En dehors des sources étrangères, textes provenant de l'Égypte, d'Ougarit, d'Assour ou de la Babylonie, nous connaissons la civilisation hittite essentiellement par les fouilles de la capitale, qui ont livré, entre autres trouvailles, les seules archives connues pour le Hatti. Les dizaines de milliers de tablettes de Hattousa, écrites en cunéiformes, contiennent des annales (les moins conventionnelles de tout l'Orient), des traités et des serments d'alliance, des lettres d'officiers au roi, des lois et des minutes de procès, des cadastres, des rituels. Ces derniers sont rédigés en sept langues (hatti du IIIe millénaire avant J.-C., nésite, louvite, palaïte, hourrite, akkadien, sumérien), vivantes ou mortes, qui sont celles des peuples dont les dieux sont honorés à Hattousa. Les textes officiels sur tablettes n'emploient que le nésite ou l'akkadien ; mais, à partir du xve s. avant J.-C., les rois hittites utilisent pour leurs inscriptions monumentales et pour leurs sceaux les hiéroglyphes hittites, une écriture syllabique faite de signes figuratifs, qui est apparue au xvie s. avant J.-C. au Kizzouwatna et qui transcrit un dialecte louvite ; aussi les spécialistes en viennent-ils à se demander si le nésite n'était pas dès le xive s. avant J.-C. une langue morte remplacée dans l'usage courant par le louvite des « hiéroglyphes ».
Qu'il s'agisse de cette dernière écriture, ou même des tablettes cunéiformes de Hattousa, où le nésite est constellé d'idéogrammes énigmatiques, la compréhension de ces textes est loin d'être parfaite, et l'on a encore beaucoup de mal à définir l'originalité des éléments de la civilisation hittite. C'est le cas, en particulier, pour la société, surtout connue à travers les deux codes retrouvés et pour l'étude de laquelle on ne possède aucun document privé. La répartition des terres paraît s'effectuer essentiellement d'après le principe du « domaine de fonction » : c'est par ce moyen que le roi rémunère les services des guerriers (charriers et fantassins) et des gens du palais, qui constituent une aristocratie hiérarchisée ; ces personnages et aussi les communautés villageoises concèdent à leur tour aux cultivateurs des terres sur lesquelles pèse l'obligation des corvées et des redevances. La société comprend d'autre part des citadins, dont les villes sont administrées par des conseils d'Anciens, et de nombreux esclaves, qui ont la personnalité juridique, mais dépendent d'un maître qui a sur eux le droit de vie et de mort. Enfin, au moins à l'époque impériale (que l'on connaît mieux), toute la population est soumise à l'autorité absolue, encore assez humaine, du roi, qui, à l'exemple du pharaon, se fait appeler « Mon Soleil » depuis le xve s. avant J.-C. et reçoit après sa mort les honneurs divins.
Il vaut donc mieux ne pas employer le vocabulaire de la féodalité du Moyen Âge européen pour décrire cette société et l'organisation de cet Empire, qui, elle aussi, s'apparente aux institutions traditionnelles du monde mésopotamien. Le Grand Roi du Hatti domine une foule d'autres rois, au domaine d'importance variée, qui lui sont liés par les termes d'un traité juré par les deux parties : en échange de sa protection, ces rois dépendants renoncent à toute diplomatie personnelle, fournissent un contingent à l'armée du Hatti et viennent chaque année, à Hattousa, porter le tribut et renouveler les serments qui les engagent à l'égard de leur souverain. La domination hittite s'étendait sur une aire disproportionnée à l'étendue et à la population du Hatti, dont les rois avaient dû recourir au système fédéral, qui, seul, leur permettait de maintenir leur autorité aussi loin.
La structure politique de l'Empire se retrouve dans sa religion, qui honore les dieux des différentes communautés politiques suivant les rites locaux et ignore le syncrétisme. Cependant, les reliefs du sanctuaire rupestre de Yazilikaya, près de la capitale, montrent un panthéon officiel réformé et simplifié sous une influence hourrite à l'époque de Toudhaliya IV : les divinités, sous des aspects anthropomorphiques et parfois accompagnées de leurs animaux symboliques, sont désignées par des noms hourrites ou des idéogrammes. Dans le Hatti, les principaux rites ne peuvent être accomplis que par le roi, qui doit renoncer à diriger son armée au moment des grandes fêtes. Ces cérémonies se déroulent soit dans des sanctuaires de plein air, aux gorges ou aux sources d'aspect remarquable, soit dans des temples, comme les cinq édifices retrouvés à Hattousa, dont le plus important est dédié au dieu de l'Orage de Hatti et à la déesse Soleil d'Arinna (une cité voisine). C'est pour les dieux et pour les souverains que l'art hittite, surtout connu par les trouvailles de Hattousa, a réalisé ses principales œuvres : les temples et les sanctuaires, les palais et les fortifications ainsi que les reliefs qui les ornent. La richesse de l'Anatolie en pierre et particulièrement en roches dures d'origine volcanique contribue à l'originalité de l'architecture, qui les emploie pour les fondations cyclopéennes et pour les orthostates, sans renoncer aux matériaux traditionnels, la brique et le cadre de bois. Outre les orthostates, les salles à colonnes de bois sur base de pierre et les grandes fenêtres partant du sol caractérisent les palais hittites, influencés par l'art de la Syrie septentrionale. Les reliefs, généralement peu marqués et frustes, sont souvent lourds et peu esthétiques, et seul le dieu de l'Orage de la Porte du Roi à Hattousa atteint le grand art. Mais les activités traditionnelles de l'Anatolie centrale (glyptique, bronze, céramique) manifestent plus d'habileté et de goût.
Les artisans de l'Empire hittite devaient, comme leurs prédécesseurs en ces lieux, se consacrer en grand nombre à l'extraction et au travail des minerais, mais les textes citent seulement ceux qui, au Kizzouwatna, fabriquaient, à peu près seuls de leur temps, du fer aciéré, un produit précieux dont on tirait des armes, que les rois hittites du xiiie s. avant J.-C. envoyaient en cadeaux aux autres grands souverains. Le Code mentionne des marchands du Hatti circulant dans les divers pays fédérés, mais leur activité devait être limitée, car on constate que l'Empire hittite n'a pratiquement rien reçu des Mycéniens, dont les comptoirs étaient cependant nombreux sur les côtes de l'Anatolie et dont les vases arrivaient alors par milliers à Chypre et dans le domaine syrien de l'Égypte. Sans doute, l'économie de l'Anatolie centrale est-elle, à l'époque hittite, fondée essentiellement sur l'agriculture pratiquée dans les vallées profondes, à l'abri des vents qui balaient le plateau ; plus que le commerce, ce sont le butin et le tribut qui sont chargés de faire affluer les richesses dans les différentes villes du Hatti.
6. La disparition de l'Empire hittite
Déjà, le fils aîné et successeur de Toudhaliya IV, Arnouwanda III (vers 1235-vers 1210 avant J.-C.), rencontre des difficultés croissantes dans l'ouest de son empire, où ses ennemis se liguent avec Attarsiya et soulèvent l'Arzawa. Déjà, la première vague des Peuples de la mer, ces envahisseurs venus de la zone de l'Égée et comprenant, outre des Achéens, des populations anatoliennes, est venue se briser devant les défenseurs du Nil (vers 1231 avant J.-C.). Le règne de Souppilouliouma II (vers 1210-vers 1191 avant J.-C.), frère cadet du roi précédent, est mal connu ; il vient de reconquérir Alashiya lorsque se produit la catastrophe, qui n'est connue que par une allusion des textes égyptiens et par le niveau de destruction à Hattousa et dans les autres villes hittites. Une seconde vague de Peuples de la mer, comprenant toute une série d'ethnies anatoliennes, jusque-là sujettes ou ennemies contenues de l'Empire hittite, fait brusquement disparaître cet État (vers 1191 avant J.-C.), avant de s'attaquer à la Syrie et à l'Égypte.
De l'œuvre des Hittites, il ne survit que des éléments de culture, que l'on retrouve, parfois jusqu'au viie s. avant J.-C., dans de petits royaumes d'Anatolie centrale, de Syrie septentrionale et de haute Mésopotamie. Les Assyriens ayant attribué à certains d'entre eux le nom de Hatti, les Modernes ont donné à ces héritiers partiels et indirects de la civilisation hittite le nom de Néo-Hittites, qui est, en fait, fort inexact.
On peut donc constater que l'empire de Hattousa est le seul grand État irrémédiablement détruit par l'invasion des Peuples de la mer. Cette fin tragique révèle une faiblesse liée à ses structures fédérales et à son esprit d'expansion illimitée. Le peuple hittite s'est épuisé à vouloir dominer une région trop vaste pour ses propres effectifs et s'est dilué au milieu de ses conquêtes inachevées. Sa construction fédérale n'a pas duré deux siècles ; il n'a pas eu le temps non plus de terminer la synthèse des cultures qui se rencontraient sur le territoire de son empire ; mais les Hittites ont tout de même laissé leur marque dans l'histoire de l'Orient.