Le triomphe de la droite chiraquienne
Une droite chiraquienne triomphante, une gauche décapitée, des extrêmes renvoyés dans leurs chapelles, et une abstention massive, les législatives des 9 et 16 juin n'ont pas été une session de rattrapage pour l'ex-majorité plurielle de l'équipe Jospin.
Lassés par la longue séquence électorale, quatre tours de scrutin en moins de deux mois, estimant que, après la réélection de Jacques Chirac à l'Élysée le 5 mai, l'essentiel est fait et qu'il vaut mieux donner, activement ou passivement, sa chance à la droite, les Français disent « non » à toute nouvelle forme de cohabitation.
Certes, après l'avertissement du 21 avril, ils ne font pas preuve d'un grand civisme. Le « sursaut républicain » du second tour de la présidentielle a fait long feu. Une nouvelle fois, des records d'abstention sont battus (35,58 % le 9 juin et 39,23 % le 16). Sans doute, aussi, les politiques n'y mettent pas du leur : 8 446 candidats en lice pour 577 circonscriptions ! Il n'empêche, sans surprise, comme toujours sous la Ve République, les électeurs donnent à l'homme qu'ils viennent d'élire à l'Élysée, un mois plus tôt, la majorité qu'il réclamait. Et quelle majorité ! La droite obtient 399 députés sur 577 dans la nouvelle Assemblée, dont 370 pour le seul parti du président, et 29 pour les centristes de François Bayrou. Du jamais vu.
L'Assemblée qui a surgi des urnes le 16 juin est, bien sûr, légitime. Mais elle est aussi trompeuse. Légitime, car les Français, c'est certain, ont voulu que cela change. Ils ne veulent plus de la cohabitation. Et après cinq ans de gauche, ils donnent sa chance à la droite. À elle de les séduire.
Trompeuse, car les taux d'abstention lors du premier et du second tour ont atteint des seuils inégalés sous la Ve République. Déjà, parce que les deux champions des deux partis dominants dans l'hémicycle, Jacques Chirac pour l'UMP et Lionel Jospin pour le PS, n'ont intéressé ou séduit à eux deux qu'un petit tiers des électeurs inscrits. De quoi rendre prudente, ou tout au moins modeste, la classe politique. Le fossé qui existe entre elle et la population n'est pas prêt d'être comblé.
Chirac superstar
Jacques Chirac, si longtemps bousculé, malmené et parfois méprisé jusque dans son propre camp, démontre une fois de plus qu'en politique rien n'est acquis. Personne ou presque ne lui accordait de crédit avant la présidentielle. Il est élu pour cinq ans à l'Élysée, quitte à passer pour un « miraculé ». Et, par le biais de l'Union pour la majorité présidentielle (UMP), le grand parti de droite qu'il a imposé à ses partenaires (à l'exception d'un petit carré de centristes menés par Bayrou), le voilà, lui le néo-gaulliste, qui dote le pays d'une grande formation de centre droit comme l'Europe en connaît de Londres à Berlin, de Madrid à Rome. Cinq ans après l'épisode catastrophique pour son camp de la dissolution ratée de 1997, c'est une résurrection. Sans doute, au soir des résultats, la « chiraquie » affiche-t-elle un triomphe modeste. C'est dans l'air du temps. Nommé au lendemain de la présidentielle à Matignon, Jean-Pierre Raffarin ne se veut-il pas le champion de la « France d'en bas » ? Mais cette modestie affichée n'est là que pour mieux savourer une victoire sans appel : la droite chiraquienne détient désormais tous les leviers de commande de l'État, à l'Élysée, au Sénat et à l'Assemblée nationale. Elle a bénéficié du net recul du Front national, du tassement du PC et de l'extrême gauche et des contradictions d'un PS qui était prêt à cohabiter demain après avoir si longtemps pourfendu ce système.
La gauche orpheline
Les socialistes, encore (et pour longtemps) traumatisés par le coup de tonnerre du 21 avril, orphelins de Lionel Jospin, sans boussole et désarmés face à la bonhomie du nouveau chef de gouvernement, Jean-Pierre Raffarin, qui ne donne pas de prises, perdent bien sûr des ténors. La plus symbolique étant Martine Aubry, maire de Lille, piégée par « ses » 35 heures, mesure phare du précédent gouvernement, mais ressenties (et souvent à juste titre) par les salariés les plus défavorisés comme une perte de pouvoir d'achat. Aubry est détrônée dans le Nord par un jeune clerc de notaire inconnu, Sébastien Huyghe (32 ans). Autres victimes de la bataille électorale, Raymond Forni, le président sortant de l'Assemblée nationale, Pierre Moscovici, ministre des Affaires européennes, battu de justesse dans le Doubs, et une bonne partie de la « génération Jospin », celle qui l'avait porté à Matignon en 1997. Mais le PS qui, il y a encore deux mois, se voyait au pouvoir et se distribuait déjà les postes, sauve quand même les meubles. Certes, tout un pan de l'électorat populaire (et notamment ouvrier) lui tourne toujours le dos, ne comprenant ni ses priorités ni son discours. Il n'empêche : les socialistes réalisent un score (25,64 %) pratiquement identique à celui de 1997 et décrochent avec le petit parti des radicaux de gauche 147 élus. Le scénario catastrophe de 1993 (une cinquantaine d'entre eux seulement reconduits) est évité. Mais tout est à reconstruire. Un programme, d'abord, le leur, celui que portait Lionel Jospin et qui a été rejeté en bloc par les Français, il y a un mois et demi. La gauche plurielle, ensuite. Un souvenir. Elle a volé en éclats. Avec 21 députés, le Parti communiste conserve de justesse un groupe, mais Robert Hue, son président, est battu. Les Verts, avec trois élus, divisent par deux leur performance de 1997, et Dominique Voynet, leur leader, est évincée. Quant à l'inclassable Jean-Pierre Chevènement, il paie son aventure élyséenne : il est balayé dans son fief historique de Belfort – là encore son tombeur est un jeune inconnu. Et tous ceux qui se réclamaient de lui et de son Pôle républicain sont éconduits. Face à ce désastre électoral, PC, Verts et même chevènementistes ne veulent plus entendre parler, pour l'heure, d'un grand parti de gauche, à l'image de ce qui se passe à droite. L'argument est simple : plus question de tomber sous la coupe d'un PS trop hégémonique. Résultat : chacun joue perso. Et tant pis si, avec cette attitude, tous se mitonnent une longue cure d'opposition.
Le Pen rate son pari
En 1997, lors des législatives, le Front national avait provoqué 76 triangulaires, offrant ainsi à la gauche une quarantaine de députés et... la majorité absolue dans l'hémicycle. Cette fois, fort de son succès du 21 avril et plus matamore que jamais, Jean-Marie Le Pen, lui-même non candidat, assure que son parti sera en mesure de se maintenir « dans probablement 350 circonscriptions ». Certes, il sait que ce scrutin majoritaire uninominal à deux tours, la multiplication des candidats et le risque d'une forte abstention ne lui sont pas favorables. Mais il veut toujours tabler sur l'exaspération des Français à l'égard de leur classe politique traditionnelle. Raté ! Avec 11,5 % des voix au soir du premier tour, le FN, – dont les 577 candidats sont tous ou presque de parfaits inconnus – est loin de confirmer le score de son leader (17,19 %) au premier tour de la présidentielle. Mieux : il est en recul par rapport aux législatives de 1997 de plus de quatre points et ne peut se maintenir que dans 37 circonscriptions de gauche comme de droite. Et Jacques Chirac étant intervenu deux fois dans la campagne pour mettre en garde les candidats se réclamant de lui contre toute tentative de « flirt » avec l'extrême droite, la discipline républicaine prévaut. Aucun lepéniste n'est élu. Pour le vieux leader du Front national, la gifle est sévère. Seule consolation pour lui : la mise en orbite de sa fille Marine, trente-quatre ans. Elle fait un bon score dans le Pas-de-Calais, et apparaît de plus en plus comme une héritière crédible pour prendre la succession de son père à la tête de la formation d'extrême droite.