À l'opposé de l'échiquier politique, l'extrême gauche ne fait pas meilleure figure. Eux aussi victimes du vote utile, crédités de 10,44 % des voix lors du premier tour de la présidentielle, les amis d'Arlette Laguiller (Lutte ouvrière) et d'Olivier Besancenot (Ligue communiste révolutionnaire) sont marginalisés. Ils ne recueillent que 2,76 % des suffrages. Les électeurs qui se sont déplacés ne se défoulent plus. Et ils les renvoient à leurs études.
Les défis de Raffarin
C'était la carte secrète de Jacques Chirac au lendemain de sa réélection, le 5 mai. Nommé Premier ministre dans la foulée de la présidentielle alors que tout le monde attendait Nicolas Sarkozy, reconduit dans ses fonctions le 17 juin, l'inconnu Jean-Pierre Raffarin, sénateur de la Vienne et président de la Région Poitou-Charentes, fait pendant la campagne un sans-faute. Un « simple directeur de cabinet de Jacques Chirac », comme le qualifient ses détracteurs ? Peut-être. Mais il ne faut pas se fier à son apparence de président de comices agricoles. L'homme est habile, formé à l'école de Valéry Giscard d'Estaing. Issu de la France profonde, ce libéral à la rondeur pompidolienne et à l'affichage discret atteint son objectif : avec son gouvernement ouvert à la société civile, son sens de la communication et des formules (jeune, il s'est occupé du marketing des cafés Jacques Vabre), il rassure la « France d'en bas ». À la veille du premier tour des législatives, sa cote de popularité atteint 60 % d'opinions positives. Avec la détermination de Jacques Chirac et la complicité active d'Alain Juppé, il impose (à l'exception de quelques irréductibles centristes fidèles à François Bayrou) le label unique d'Union pour la majorité présidentielle à toutes les autres formations de droite. À l'automne, le RPR de Michèle Alliot-Marie et Démocratie libérale d'Alain Madelin se sabordent pour se fondre dans le grand parti chiraquien.
Problème : Raffarin aura-t-il les moyens (et les épaules) pour répondre aux attentes des Français, exprimées le 21 avril ? Sans doute, dès sa nomination à Matignon, des efforts significatifs et visibles sont réalisés dans la lutte contre l'insécurité, l'une des premières préoccupations des électeurs, grâce au zèle de son ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy. Les effectifs dans la police et la justice sont renforcés. Sans doute aussi la baisse de 5 % par an de l'impôt sur le revenu pendant cinq ans est-elle effective dès 2002 ainsi que l'assouplissement des 35 heures. Mais, à l'horizon, se profilent des dossiers sensibles : les retraites, la diminution des effectifs dans la fonction publique, les revalorisations salariales... Autant de sujets qui mobilisent des syndicats en embuscade.
Comment réformer le pays sans provoquer une explosion sociale ? Comment tenir les promesses du candidat Chirac alors que la conjoncture économique est plus maussade que prévue ? C'est l'équation que doit résoudre le Premier ministre. Elle comporte un double risque : réformer à la hussarde comme l'avait fait Alain Juppé en son temps, et c'est le spectre des grandes grèves de 1995 qui surgit ; prendre son temps, différer les décisions, et c'est l'accusation d'immobilisme qui le guette. Raffarin est en première ligne. « Être Premier ministre vous fait mener une vie de chien », confie-t-il. Mais il sait qu'il doit la mener pour ne pas décevoir des électeurs de plus en plus exigeants et qui n'en font qu'à leur tête, rejetant sans préavis ce qu'ils ont porté au pouvoir hier.
Bernard Mazières
Un hémicycle chiraquien
Jacques Chirac l'avait rêvé on 1997, il le réalise en 2002 : obtenir pour son parti, l'Union pour la majorité présidentielle (UMP) qui pourrait s'appeler la « Maison bleue », et dont il a confié les clés à Alain Juppé, une majorité écrasante à l'Assemblée nationale. Sans doute, dans le passé, sous la Ve République, y a-t-il eu une droite ultra dominante dans l'hémicycle. Mais, jamais, un seul et même parti n'a disposé d'un tel nombre d'élus (370 sur 577) pour une législature, sans avoir à partager le pouvoir avec une autre formation de droite.