La succession de Hafez el-Assad
Le 13 juin 2000, après des funérailles officielles à Damas, le cercueil du président syrien Hafez el-Assad est acheminé vers Kardaha, son village natal dans les montagnes alaouites. Trois jours plus tôt, le « lion de Damas » est mort à l'âge de soixante-neuf ans, d'une crise cardiaque et des suites d'un cancer. Le choix de ce lieu a valeur de symbole : signifier à tous que le centre du pouvoir doit rester sur les terres de cette minorité, autrefois considérée comme secte hérétique et qui tient aujourd'hui les rênes.
Avant de se retirer, Assad a préparé sa succession, graduellement, avec pragmatisme, en ménageant l'équilibre des forces internes. Précipitée, l'arrivée au pouvoir de son fils « Bachar » n'est pas une surprise. Formé sur le dossier libanais, Le « Docteur », autrement surnommé « Monsieur Propre », s'est fait respecter en luttant contre la corruption. Marchant sur les traces de son père, il devra apporter une réponse aux incertitudes politiques à l'intérieur et reprendre le dossier israélien.
Une succession orchestrée par le père
Le 13 juin, bon nombre de chefs d'État et de représentants politiques sont venus rendre hommage à celui qui a été tour à tour allié, ami, adversaire. Les trois présidents libanais (Émile Lahoud, Selim Hoss et Nabih) ouvrent la marche, suivis du très remarqué Walid Joumblatt dirigeant de la communauté druze du Liban. Le président français Jacques Chirac, seul chef d'État occidental à s'être déplacé, assiste aux obsèques aux côtés de Madeleine Albright. Yasser Arafat, l'ennemi de toujours, est également présent, tout comme les présidents Khatami (Iran), Bouteflika (Algérie), Sezer (Turquie). Le 10 juin, jour du décès, son fils Bachar (trente-quatre ans) est désigné candidat unique du parti Baas (au pouvoir) à la présidence de la République.
En janvier 1994, Bassel el-Assad, l'aîné des fils du président syrien et son successeur désigné, décède dans un accident de voiture. Rien ne destine a priori son frère Bachar, qui termine à Londres ses études d'ophtalmologie, à entamer une quelconque carrière politique. Néanmoins, rappelé sur-le-champ par son père, il entre à l'académie militaire et devient alors le « dauphin en titre ». Le 6 février 1997, le président Hafez el-Assad fait savoir par l'un de ses proches qu'il léguera la succession à son fils, âgé de trente-deux ans.
Dès lors, la passation graduelle du pouvoir est en marche. En dépit d'une personnalité moins affirmée que celle de son aîné, Bachar est salué par les proches. Dans un journal pro-gouvernemental, l'écrivain Bahjat Suleiman va jusqu'à voir en lui « la meilleure garantie de la poursuite de la politique du président et du maintien de la stabilité en Syrie ».
Il souligne également avec pertinence que cette « dynastie présidentielle » n'est pas sans rappeler la transmission de l'héritage politique, militant et historique de l'Inde de l'après-Nehru. En effet, l'ex-Premier ministre Indira Gandhi avait lui-même reçu de son père Nehru le pouvoir qu'il avait par la suite transmis à son fils Rajiv. Et Hafez el-Assad de conclure que de la même manière : « Bachar, rameau de cet arbre béni, s'est dévoilé en un éclair pour se montrer le digne successeur du raïs. » Des portraits de Bachar font alors leur apparition sur les murs de Damas, aux côtés de ceux de Hafez et de Bassel.
La campagne de presse orchestrée par le raïs commence à porter ses fruits. Dès la fin de l'année 1999, les articles consacrés à Bachar el-Assad figurent sur la partie droite de la première page (depuis trente ans exclusivement réservée aux nouvelles du président) des journaux gouvernementaux.
La légitimation se fait par étapes. Par décret, Hafez met d'abord fin à la fonction de vice-président occupée depuis quatorze ans par son frère Rifaat. Il met ainsi un terme à la longue disgrâce commencée en 1984, lorsque le frère avait voulu se soulever contre le régime. Le 10 juin, jour du décès, le seul obstacle constitutionnel à l'accession au pouvoir de Bachar est levé : l'âge d'éligibilité de quarante ans est ramené à trente-quatre ans, l'âge exact de l'« héritier présomptif ». Le vice-président, Abdel Halim Khaddam, qui signe cet amendement, nomme dans le même temps Bachar el-Assad commandant en chef des forces armées.