Frédéric Perroud
La nécrologie de Frédéric Dard par lui-même
« Naquit-il ? Toute sa vie, cette question l'aura hanté. Bien qu'il portât les couches indélébiles d'un accouchement (parce que artisanal), il douta jusqu'à la fin de son commencement. Il fallut qu'un homme égaré enlevât sa plus jeune fille, en 1983, pour qu'il s'aperçût qu'il mourait. Pareille constatation impliquait donc qu'il eût vécu, mais il ne s'en montra pas plus rassuré pour autant. [...] Au plus fort de cet étrange doute [...] il se composa une personnalité fictive sous le nom assez mystérieux et stupide de San-Antonio. Il comptait en somme sur l'imaginaire pour créer une réalité. Cette puérile invention avait la couleur du Frédéric Dard, le goût du Frédéric Dard, mais c'était du San-Antonio ! [...] Beaucoup de beaux esprits annonçaient qu'il faisait de la littérature. Leur obstination agaçait fort Frédéric Dard, lequel savait pertinemment qu'il ne pouvait faire de la littérature puisqu'il fabriquait du San-Antonio ! [...] Certains, parmi les gens qui l'ont connu, parlent encore de sa convivialité. Convivialité, mon œil ! [...] Il repose dans le petit village de Bonnefontaine, en Basse-Gruyère. Chacun fait son trou où il peut. »
(Ce texte est extrait du Dictionnaire de la littérature française contemporaine de Jérôme Garcin, 1989, éd. Françoise Bourin.)