Aux urnes citoyens..., et la République reconnaîtra les siens ! Exacerbant les passions républicaines et libérant les espérances européennes, la campagne pour les européennes du 13 juin a pris les allures d'une guerre civique qui ravive les vieilles rivalités françaises entre jacobins, attachés au centralisme de l'État-nation, et girondins, adeptes d'un régionalisme désormais aux couleurs de l'Europe. Car si depuis quelques années tout le monde se veut « citoyen », la République dont se réclame cette citoyenneté est loin de faire l'unanimité et divise plus qu'elle ne rassemble à mesure que se précisent les contours d'une Europe supranationale annoncée pour le siècle prochain. Ressentie d'un bout à l'autre du prisme politique hexagonal, cette crispation républicaine dépasse les clivages partisans traditionnels, alors que surgissent les premiers éléments tangibles d'une Europe en chantier, perçue comme une menace à l'intégrité et à la grandeur de la République. Début janvier, au moment même de l'entrée en vigueur de l'euro et de la ratification du traité d'Amsterdam, les souverainistes de tous bords sonnent le tocsin pour la défense de la nation en péril, battant le rappel de leurs troupes : à droite, c'est Charles Pasqua, en rupture de RPR, qui en appelle au respect de la tradition gaulliste pour annoncer la constitution d'une liste « souverainiste » ; à gauche, le retour en fanfare de Jean-Pierre Chevènement marque le coup d'envoi de violentes polémiques avec ses partenaires de la majorité plurielle, les Verts surtout et leur tête de liste Daniel Cohn-Bendit. Il reste qu'à la bourse des valeurs politiques françaises, le républicanisme n'est pas vraiment la mieux cotée.
Une valeur à la cote contestée
Dans la forme, comme dans le fond de leur discours, les souverainistes des deux rives donnent l'impression de ramer à contre-courant, récoltant à chacune de leurs interventions une volée de bois vert, et pas seulement des écologistes. Que ce soit sur la guerre du Kosovo, sur l'affaire de la paillote incendiée en Corse, qui illustre les errements d'un État jacobin risquant de rallumer la flamme du nationalisme insulaire, ou encore sur la réforme du parquet ou la reconnaissance des langues régionales, soupçonnées de porter le germe d'une « balkanisation » de la nation, les nationaux-républicains de gauche comme de droite s'affichent sur la même longueur d'ondes. Dix ans après les fastueuses célébrations du bicentenaire de la Révolution française, point d'orgue de l'ère mitterrandienne, la République aurait-elle le cœur plus à droite, comme voudraient le faire croire Cohn-Bendit et les autres prophètes d'une « troisième gauche » réclamant toujours plus d'Europe, de démocratie, de décentralisation, de fédéralisme ? Rien n'est moins sûr : alors qu'à Londres, la Banque centrale met aux enchères une grande partie des réserves en or du royaume, la gauche française résiste aux tentations libérales de Tony Blair et refuse de brader les « ors » de la République !
G. U.
La République et le Kosovo
Illustration parfaite d'une cohabitation consensuelle, l'intervention de la France, au Kosovo, aux côtés de l'OTAN, ouvre un nouveau front pour les gardiens de la République, mobilisés à gauche comme à droite contre une Amérique jouant au gendarme du monde. Cette fois, pas de coup d'éclat de la part de M. Chevènement, comme lors de la guerre du Golfe : il laisse parler ses amis, qui utilisent par exemple la tribune de la fondation Marc-Bloch pour dénoncer cette « logique américaine » contre laquelle l'Europe, abusée par le mirage d'un « droit de l'hommisme » triomphant, se montre désarmée. Mais le silence du ministre de l'Intérieur est d'autant plus pesant qu'il ne le rompra que pour s'inquiéter du seul sort de la minorité serbe, une fois la K-FOR déployée au Kosovo. Cette guerre aura ainsi contribué à ressouder les rangs des nationaux-républicains derrière Régis Debray, pour ne citer que lui, alors que Cohn-Bendit, révolutionnaire et pacifiste repenti, soutient l'OTAN ; des alliances contre nature voient le jour, comme en témoigne le ralliement de Didier Motchane et Max Gallo à la liste souverainiste de Charles Pasqua et de Marie-France Garraud.
La gauche voit vert
Devançant le PC aux européennes, la liste conduite par Daniel Cohn-Bendit bouscule l'équilibre d'une majorité plurielle où les Verts exigent désormais d'être mieux représentés. Si un remaniement ministériel conforme à leurs exigences n'est pas à l'ordre du jour, le gouvernement doit pourtant prendre en compte cette promotion des écologistes dans le paysage politique, où elle signalerait l'émergence d'une « troisième gauche ». Mais encore faut-il que les Verts eux-mêmes s'entendent sur la stratégie à appliquer pour s'ancrer durablement sur la scène politique.