Police : les biologistes à la rescousse
Depuis une dizaine d'années, la police dispose d'indices précieux pour l'identification des criminels : les empreintes génétiques. Extraites de l'ADN, ces empreintes sont strictement personnelles. Un outil qui prend de plus en plus d'ampleur dans les procédures judiciaires...
Paris, jeudi 26 mars 1998 : les enquêteurs de la Brigade criminelle arrêtent Guy Georges, l'auteur présumé de plusieurs viols et meurtres commis entre 1991 et 1997 dans différents arrondissements de l'est de la capitale. Sur le lieu de certains de ses crimes, le suspect a laissé une trace incontestable de son identité : son ADN (acide désoxyribonucléique). En effet, de cette molécule, support de l'information génétique, les biologistes savent aujourd'hui extraire une carte d'identité biologique propre à chacun de nous, les empreintes génétiques. Depuis huit ans maintenant, les affaires résolues grâce à ce nouvel outil se succèdent à vive allure. En France, la technique d'identification par empreintes génétiques est devenue pratique courante dans les affaires criminelles comme dans les recherches en paternité. Mise en œuvre par cinq laboratoires de police scientifique et plusieurs laboratoires hospitalo-universitaires, elle a permis en 1997 de résoudre près de 3 500 affaires pénales et civiles.
Dans certains cas, les empreintes génétiques sont le seul moyen de classer une affaire judiciaire. Ainsi, le 6 novembre 1997, la cour d'appel de Paris a, en dernier recours, ordonné l'exhumation du corps d'Yves Montand, mort six ans plus tôt, afin de comparer son ADN à celui d'Aurore Drossart qui prétendait être sa fille. Mais, sept mois plus tard, les résultats sont là : la jeune femme n'est pas la fille de l'acteur. Cette procédure de recherche en paternité post mortem, pratiquée pour la deuxième fois en France, a suscité une réelle émotion. Cependant, la vérité n'aurait jamais pu éclater sans l'aide des techniques génétiques.
L'ADN du noyau, une preuve irréfutable
Le principe de la technique, née en 1985 des travaux d'Alec Jeffreys à l'université de Leicester (Grande-Bretagne), repose sur la diversité génétique qui confère son unicité à chaque être vivant. Si la grande majorité des gènes, ces séquences impliquées dans la synthèse de protéines, se retrouve chez tous les hommes, ils sont sépares par des zones hypervariables, très différentes d'une personne à l'autre, et dont la fonction n'est pas clairement définie. Parmi ces zones (et parfois même à l'intérieur des gènes), les scientifiques étudient généralement les « microsatellites », des répétitions de mini-séquences d'ADN qui diffèrent par leur taille. Grâce à cette technique, un simple mégot de cigarette, une tache de sang, de salive, de sperme ou même un cheveu garni de ses cellules basales peuvent trahir un criminel, car l'ADN est présent dans toutes les cellules de notre corps. Cependant, la quantité de matériel génétique récupérée à partir de telles sources est en général insuffisante pour en extraire une empreinte génétique. Aussi, l'apparition, toujours en 1985, de la « Polymerase Chain Reaction » (PCR), une technique d'amplification de l'ADN, a-t-elle joué un rôle déterminant dans le succès de cet outil.
Mais, plus que la profusion d'indices qu'elle révèle, c'est sa fiabilité, longtemps contestée, qui fait aujourd'hui le succès de l'identification par empreinte génétique auprès des services de police. La probabilité que deux personnes possèdent la même empreinte génétique est en effet extrêmement faible. Et, plus les microsatellites analysés sont nombreux, plus le risque d'erreur est réduit. Pour Jean-Paul Moisan, professeur de génétique moléculaire à Nantes, « le risque d'erreur ne repose pas tant sur le principe de la méthode que sur la qualité du matériel dont disposent les laboratoires et le savoir-faire des manipulateurs ».
L'ADN des mitochondries : des indices précieux
Durant la dernière décennie, la fiabilité et la relative facilité de mise en œuvre de cet outil ont également conquis les magistrats. À tel point qu'il n'est pas rare de voir les scientifiques sommés de fournir un résultat, quelle que soit la qualité des échantillons biologiques disponibles. Aussi, pour répondre à cette exigence, un nouveau type d'empreintes génétiques a vu le jour récemment. Lorsque l'ADN des noyaux cellulaires est dégradé ou absent de l'échantillon, les biologistes peuvent en effet analyser l'ADN contenu dans les mitochondries, les centrales énergétiques des cellules. Mieux protégé que l'ADN nucléaire, on retrouve facilement de l'ADN mitochondrial dans un échantillon de mauvaise qualité. Néanmoins, le champ d'application de ce type d'empreintes génétiques est plus restreint que celui des empreintes génétiques classiques, car son interprétation est plus délicate. Contrairement à l'ADN nucléaire, hérité des deux parents, l'ADN mitochondrial est intégralement et uniquement transmis par la mère. Les frères, les sœurs et les cousins maternels possèdent par conséquent le même ADN mitochondrial. Aussi, si l'étude de ce dernier peut permettre de resserrer une enquête en innocentant un suspect, elle ne peut en aucun cas être l'unique motif d'une condamnation. En outre, du fait de sa transmission maternelle, l'ADN mitochondrial ne peut être utilisé lors des tests de recherche en paternité. Cet outil a permis de résoudre certaines des plus grandes énigmes de l'histoire. Ainsi, en mai dernier, les généticiens de l'université catholique de Louvain (Belgique) et de Nantes (Loire-Atlantique) ont enfin établi que Karl Wilhelm Naundorff, qui prétendait être Charles-Louis, le Fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, était un imposteur. L'analyse des fragments d'ADN mitochondrial extraits d'une mèche de cheveux et de l'humérus droit prélevé sur le squelette de l'ex-prétendant au trône n'a révélé aucun lien de parenté avec celui provenant des cheveux de Marie-Antoinette et de ses deux sœurs, Johanna-Gabriela et Maria-Josepha. C'est également grâce à l'analyse de leur ADN mitochondrial que les ossements retrouvés en 1991 près d'Iekaterinbourg, en Russie, ont pu être identifiés avec certitude : il s'agit bien des restes des Romanov, massacrés à la suite de la révolution russe. Le 17 juillet 1998, 80 ans après leur assassinat, les membres de la famille de Nicolas II ont enfin été inhumés au côté de leurs ancêtres.
Les Romanov, un cas complexe
Le résultat des premières analyses de l'ADN mitochondrial des ossements présumés de la famille Romanov sème le doute : l'ADN supposé de Nicolas II présente une infime différence avec celui de ses parents vivants, notamment le prince Philip, duc d'Edimbourg, petit-neveu de la tsarine par sa mère. Mais, en 1996, l'étude des restes du frère de Nicolas II, le grand-duc Georges, montre que lui aussi présente cette infime différence. Ainsi, leur grand-mère maternelle a-t-elle transmis à ses descendants deux types d'ADN mitochondrial différents. Ce phénomène, appelé « hétéroplasmie », serait beaucoup plus fréquent qu'on ne le pensait jusqu'à présent : jusqu'à 20 % de la population posséderait deux types d'ADN mitochondrial. Aussi, a famille du dernier tsar de toutes les Russies a bien failli ne jamais être identifiée.
La police disposera bientôt de fichiers informatisés d'empreintes génétiques
Actuellement, en France, les empreintes génétiques ne permettent que d'infirmer ou de confirmer les résultats d'une enquête judiciaire. En effet, pour confondre un coupable, il ne suffit pas de retrouver du matériel génétique sur le lieu du crime, encore faut-il pouvoir comparer cette empreinte à celle d'un suspect. Or, s'il existe un « fichier automatisé des empreintes digitales » (FAED), qui centralise des centaines de milliers d'empreintes de personnes déjà interpellées pour des crimes ou délits, la police scientifique française ne dispose pas de fichier recensant les empreintes génétiques. Ainsi, ce n'est qu'après avoir repris un à un les dossiers des délinquants sexuels de la région parisienne que les enquêteurs ont finalement pu confondre Guy Georges. De la même façon, les policiers chargés de l'enquête sur le meurtre de Caroline Dickinson, la jeune Anglaise violée et assassinée à Pleine-Fougères (Ille-et-Vilaine) en juillet 1996, ont dû comparer l'empreinte génétique de tous les hommes de la commune âgés de 15 à 35 ans à celle du violeur. Sans succès.