Mai 68, trente ans après

Vraie-fausse révolution, Mai 68 a trente ans, quelques rides, mais toujours une force évocatrice et symbolique hors du commun. La commémoration de ce qui fut une révolte festive, insolente et pacifique d'une génération – celle du baby-boom – en rupture avec une société opulente, mais trop autoritaire et centralisatrice, a donné lieu, cette année, à une large médiatisation. Livres, couvertures de magazines, reportages télévisés, les événements de Mai ont été analysés, disséqués et commentés. Et leurs acteurs – aujourd'hui quinquagénaires apaisés se retrouvant pour beaucoup dans l'action politique ou médiatique – se sont laissé prendre au jeu du souvenir pour tenter d'expliquer ce que leur mouvement avait apporté à la société française.

Certes, Mai 68, ses barricades, ses pavés et ses slogans (« Changez la vie », « Élections, pièges à cons ») ont définitivement guéri une partie de la gauche de ses velléités du grand soir. Il n'empêche, ce joli mois de mai qui a, un temps, ébranlé le gaullisme triomphant, a profondément modifié – révolutionné ? – l'école, la famille, les mœurs... Sans doute, ses effets sont difficilement quantifiables et relèvent plus de la symbolique. Mais, en politique, les symboles valent parfois tous les programmes.

Trente ans après les événements, l'impact de mai 68 reste très présent dans la mémoire des Français. À en croire les sondages, ce « printemps, chaud-chaud-chaud ! » comme le scandaient les dizaines de milliers de jeunes qui avaient investi la rue, serait l'un des faits les plus marquants de l'après-guerre.

Révolution sans programme, « fête d'une génération qui a jeté ses premiers pavés en costume-cravate et cheveux courts avant d'inventer, en un mois, le retour à la nature, les cheveux longs, les concerts rock, la défense des parias et la libération des mœurs » (Bernard Guetta, le Nouvel Observateur), cette révolte étudiante a brutalement donné un grand bol d'oxygène et de liberté à un pays qui, comme l'écrivait avec prémonition Hubert Beuve-Méry dans le Monde, « s'ennuyait ». Atypique, Mai 68 mélange les genres. D'un côté, il prolonge les mouvements révolutionnaires et lourdement idéologiques du xixe siècle. Les drapeaux rouge et noir flottent sur la Sorbonne. L'Internationale résonne dans ses couloirs et sur les barricades. La société doit être détruite. Il faut en finir avec le capitalisme. De l'autre, il est libertaire, démocratique et romantique. Il prône, selon le sociologue et philosophe Gilles Lipovetsky, un nouveau « libéralisme culturel ». Slogans et graffitis l'attestent : « Prenez vos désirs pour la réalité », « Soyez réalistes, demandez l'impossible », « Vivez sans temps morts »... En réalité, l'originalité de Mai 68 est de tout contester sans rien proposer.

Les grandes dates

– 3 mai : évacuation de la Sorbonne par la police. Première soirée d'émeute au Quartier latin.

– 8 mai : Alain Peyrefitte, ministre de l'Éducation, refuse la réouverture de la Sorbonne.

– 10 mai : nuit des barricades. Affrontements violents avec la police.

– 13 mai : 800 000 manifestants dans les rues de Paris.

– 18 mai : 2 millions de grévistes paralysent le pays.

– 22 mai : affrontements après l'interdiction de séjour prise contre Daniel Cohn-Bendit.

– 29 mai : le général de Gaulle a disparu. Pendant quelques heures, personne ne saura où il est.

– 30 mai : retour du général de Gaulle de Baden-Baden. Dissolution de l'Assemblée nationale. Un million de personnes manifestent en sa faveur sur les Champs-Élysées.

L'internationale « jeunes »

À l'inverse de la Commune de Paris, Mai 68 n'est pas un événement franco-français. La « fête » est internationale. De San Francisco à Prague, de Mexico à Tokyo, de Rome à Varsovie, la contestation est générale, cette année-là. Elle émane de la génération d'après-guerre. Celle des Trente Glorieuses.

Une génération qui croyait à la croissance et au progrès parce que, à l'Ouest, ils existaient. Une jeunesse qui ne connaissait ni le chômage ni le sida. Elle rêvait d'utopies. Et refusait, pêle-mêle, l'ordre établi : la main de fer soviétique et l'impérialisme américain. Jeunes Tchèques, Polonais, Allemands et Italiens n'ont pas attendu que Paris se hérisse de barricades et que la France soit paralysée par les grèves pour se mobiliser, les uns contre le communisme, les autres contre le capitalisme. Cette année là, où la guerre du Viêt Nam fait rage, où le Biafra meurt de faim et où les chars de l'Armée rouge entre dans Prague, la jeunesse du monde est en fureur.