Cette évolution a contribué à remettre en cause les acquis de Mai 68. Les impératifs de performance les ont considérés comme des handicaps. Un frein à la nouvelle logique de la mondialisation.
Un bilan mitigé
Sans doute la France de 1998 ne peut-elle que se reporter avec envie à cette époque déjà lointaine où les problèmes de survie économique n'existaient pas vraiment et où un vent de liberté pouvait balayer tout un pays. Aujourd'hui, l'emploi est rare.
Trop précaire pour se lancer dans de vastes mouvements de contestation. La grève « par procuration » est devenue la règle : on ne maudit pas les grévistes de la SNCF qui, pourtant, provoquent la gêne pour des millions de salariés. Leur mouvement, selon les sondages, est populaire. Ils sont les porte-drapeaux d'une contestation que, crise oblige, personne n'ose plus exprimer. SDF, sans-papiers, exclusion, ces questions-là ne se posaient guère alors. Depuis 1968, ils sont devenues lancinantes. Certes les événements de « Mai » ont formidablement préservé et renforcé les valeurs démocratiques et de liberté. Pourtant, trente ans après, alors que la génération de 1968 est aux affaires, le bilan reste difficile à dresser.
Ces soixante-huitards qui déambulent aujourd'hui dans les palais de la République et font l'opinion par médias interposés ont-ils encore l'envie d'imposer leur idéal ? Ou se contentent-ils de profiter d'un modèle que, hier, ils combattaient ? « On pourra regretter que l'exaltation de la brèche historique ouverte en Mai retombe dans un tel prosaïsme démocratique et petit-bourgeois... », constate Laurent Joffrin. Avant de conclure : « Mais on devra aussi prendre en compte que, si la vraie raison de tout cela était un saut brutal mais salutaire vers plus de démocratie, le combat valait bien, aussi, la peine d'être livré. »
Trente ans après – une génération – Mai 68 n'est pas encore devenu totalement un objet d'études pour les historiens. Les acteurs sont toujours en place. L'évocation de ces événements ne fait pas encore passer leurs « conteurs » pour des anciens combattants. À l'époque de la liberté sur Internet, l'actualité de ce fameux printemps reste forte. Son esprit demeure au sein de mouvements sociaux, associations, syndicats et partis de gauche. Pour eux, le combat continue. Sur de nouveaux terrains : le chômage, les sans-papiers, l'exclusion... En 1998, frustrations et désenchantements sont là. Et, avec eux, une expression menaçante qui n'existait pas il y a trente ans : celle du national-populisme. L'« esprit » de Mai 68 peut être une réponse à cette menace. N'était-il pas caractérisé, tout le monde s'accorde aujourd'hui à la reconnaître, par une immense explosion démocratique ?
Le retour de « Dany le Rouge »
Coucou, le revoilà ! Trente ans après les événements, Daniel Cohn-Bendit fait à nouveau une entrée fracassante dans la vie politique française. « Repeint en vert », l'ancien leader de la révolte étudiante, ennemi numéro 1 du pouvoir de l'époque, mène la liste des écologistes de Dominique Voynet aux élections européennes du mois de juin 1999. Sa tignasse rouquine a un peu blanchi, sa silhouette s'est épaissi, mais l'œil reste tout aussi pétillant et insolent. Et son art de la provocation, intact. Il agace. L'« interdit de séjour de 1968 », devenu militant écologiste en Allemagne puis maire adjoint de Francfort et député européen, n'a rien perdu de sa superbe. Et de sa fascination pour micros et caméras. En quelques semaines, le héros de Mai 68 a retrouvé naturellement la scène politico-médiatique. Pour s'y imposer. Bousculant tout sur son passage. Même le subtil équilibre de la majorité plurielle.
L'enthousiasme de la jeunesse est toujours là. Le discours toujours rafraîchissant et décapant. Et, déjà, Dany a gagné une première victoire : celle d'être le candidat des médias. Comme il l'était en 1968. Au grand dam de ses partenaires.
Bibliographie
Mai 68 en librairie
La commémoration du 30e anniversaire de Mai 68 a donné lieu à une abondante littérature. Outre les magazines et la presse quotidienne, qui ont consacré des numéros spéciaux à l'événement qu'il s'agisse du Nouvel Observateur, de Courrier international ou du Monde. Les éditeurs n'ont pas été en reste. Rééditions et nouveaux livres ont fleuri dans les rayons des librairies.
Jean-Pierre Le Goff, l'Héritage impossible, La Découverte.
Daniel Cohn-Bendit, Une envie politique, La Découverte.
Laurent Joffrin. Mai 68. Une histoire du mouvement, Le Seuil.
Henri Weber, Que reste-t-il de Mai 68 ?, Le Seuil.
Dityvon, Impressions de Mai, Le Seuil.
Jean Sur, 68 forever, Alinéa.
Luc Ferry et Alain Renaut, la Pensée 68, Gallimard.
Jacques Foccart, le Général en mai, Fayard.
Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération (en deux volumes), Le Seuil.
Bernard Mazières