Pour ces causes, ayant avec l'avis des princes de notre sang, autres princes et officiers de la Couronne et autres grands et notables personnages de notre Conseil d'État étant près de nous, bien et diligemment pesé et considéré toute cette affaire, avons, par cet édit perpétuel et irrévocable, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons : [...]

Extrait de M. Rocard, J. Garrisson, l'Art de la paix, l'édit de Nantes, Paris, Atlantica, 1998.

De l'actualisation de l'édit de Nantes

La commémoration de l'édit de Nantes a naturellement été l'occasion de proposer une actualisation des significations de cet édit. Il revenait au président de la République le soin d'insister sur le nécessaire rassemblement de la nation autour de l'État légitime. « La France est forte quand elle est rassemblée, faible quand elle est divisée et que se dilue l'idée nationale » a déclaré Jacques Chirac, tout en rappelant que l'œuvre de « pacification » d'Henri IV a réussi parce que le souverain a imposé aux parlements locaux l'enregistrement de l'édit. Autrement dit, « les règles ne sont pas les mêmes pour toutes les régions de France, mais c'est l'État qui les fixe et qui engage sa responsabilité [...], principe qui conserve toute son actualité ». Mais l'État doit générer une « bonne gouvernance » qui se fonde sur « le dialogue plus le pragmatisme » et « l'intelligence politique plus le courage et l'audace ». La vision du président est celle d'un édit qui marque « un premier pas vers le respect de l'autre » et donne ainsi une indication pour la solution de problèmes français actuels : « Entre l'uniformité qui étouffe et le communautarisme qui sépare, le pluralisme est notre héritage le plus précieux ».

Beaucoup, effectivement, retiennent de l'édit de Nantes la tentative de faire coexister les Français à la fois dans l'unité et la pluralité. Ce qui paraît créateur de modernité, c'est l'apprentissage qu'une unité nationale n'empêche pas la diversité de convictions, les unes majoritaires, les autres minoritaires. Le maire de Nantes Jean-Marc Ayrault, l'a rappelé à propos, notamment, de l'islam, affirmant qu'il faut faire en sorte que « la présence de l'islam comme deuxième religion de France nous enrichisse plutôt que de nous faire peur ». Ancien ministre de l'Intérieur chargé des cultes et lui-même protestant, Pierre Joxe a aussi centré sa réflexion sur « la question de la grande minorité musulmane » : « Il faut que nous considérions sans culpabilité ni appréhension la cohabitation que nous allons inventer, le compromis. » Et l'ancien ministre d'ajouter : « Une vraie laïcité n'est pas une neutralité aseptisée, une indifférence à l'égard du phénomène religieux. » Après les protestants et les juifs qui ont conquis leur intégration « laborieusement et douloureusement », c'est au tour de l'islam et des musulmans de sortir d'une « situation d'inégalité » sur les plans social, culturel et religieux. C'est ce que Jean Delumeau appelle « un nouvel édit de Nantes avec l'islam ».

Cependant, la commémoration a été également l'occasion, pour la minorité protestante, de réfléchir à sa « vocation » dans cette France plurielle. « Il faut rester toujours attentifs à d'autres minorités de foi et d'expression », a déclaré le président de la Fédération protestante de France, Jean Tartier, avant d'affirmer que l'édit et sa révocation avaient fait des protestants « les sentinelles de la liberté de conscience et d'une France ouverte, généreuse, jamais repliée sur ses seuls intérêts, inventive dans ses relations et ses solidarités ». L'adresse vaut d'ailleurs pour tout citoyen conscient et vigilant et la réflexion sur la tolérance s'est élargie dans la perception d'un « vrai défi » d'aujourd'hui : « Le dialogue des convictions entre personnes qui sentent, pensent, réagissent et croient d'une manière différente » (J.-P. Guetny).

Mais un tel dialogue ne peut réussir sans la pacification sociale dont le politique est garant : l'édit de Nantes nous ramène sans cesse à cette noblesse du politique à une époque où il se trouve dénigré de plusieurs manières. Pour Michel Rocard – autre homme politique protestant –, l'édit est le rappel permanent que le politique doit être « l'art de la paix », art qu'il décline en quatre étapes : « vouloir la paix » ; « briser le tabou majeur » (« un fait dominant, un élément symbolique a priori non partageable » autour duquel le conflit s'est organisé) ; « négocier » et enfin « équilibrer » (que l'architecture d'ensemble respecte à la fois les « références majeures » de chacune des parties et le « rapport de force sur la base duquel on a négocié ») ; pour l'édit, cet équilibre est le rétablissement partout de la religion catholique et la liberté de conscience sans restriction des protestants). Cette lecture de l'édit permet d'en proposer l'exemple à bien des conflits en cours. Nulle lecture n'est peut-être plus actuelle.

Jean Baubérot

Bibliographie
O. Christin, les Paix de religion, Paris, Le Seuil, 1997.
B. Cottret. 1598, l'édit de Nantes, Paris, Perrin, 1997.
M. Grandjean et B. Roussel (éds.), Coexister dans l'intolérance, Genève, Labor et Fides, 1997.
Pierre Joxe (avec la collaboration de T. Wanegfellen), l'Édit de Nantes, Paris, Hachette Littérature, 1998.
M. Rocard, J. Garrisson, l'Art de la paix, l'édit de Nantes, Paris, Atlantica, 1998.