Même si le RP était déjà en partie intégré au système politique, puisqu'il avait à sa charge, depuis 1994, la gestion de villes aussi importantes qu'Istanbul et Ankara, son accession au pouvoir brise néanmoins un tabou dans la République kémaliste. Malgré l'engagement du Premier ministre à ne pas remettre en question la laïcité de l'État, son activisme religieux inquiète l'opposition laïque. Sur le plan extérieur, la volonté de rapprochement avec l'Europe est réaffirmée dans le protocole de coalition. Il en est de même des engagements internationaux de la Turquie. Le mandat de l'opération de protection des Kurdes en Irak du Nord, Provide Comfort, est ainsi renouvelé tandis que l'accord de coopération militaire conclu avec Israël sous la précédente coalition est confirmé. Il n'en reste pas moins que N. Erbakan souhaite rééquilibrer les relations de la Turquie à l'égard des pays musulmans et fonder avec 7 d'entre eux (Égypte, Iran, Malaisie, Indonésie, Pakistan, Nigeria, Bangladesh) une structure de concertation et de coopération économique. Ses voyages en Iran (avec la conclusion d'un accord gazier) et surtout en Libye (où le colonel Muammar Al-Kadhafi a vivement critiqué la Turquie) ont été mal perçus en Occident et particulièrement critiqués en Turquie.
Sur la question kurde, la longue crise politique ne fait que consacrer l'option exclusivement militaire, et il est peu probable que M. Erbakan, qui doit donner des gages à l'armée, puisse mettre en place un règlement politique de la question.
En matière économique enfin, les premiers mois du gouvernement Erbakan sont surtout marqués par un certain immobilisme et par des mesures populistes (hausse de 50 % des salaires des fonctionnaires), alors que le déficit budgétaire et celui des dépenses publiques s'accroissent, et que l'inflation est toujours à un niveau très élevé.
Chrono. : 9/01, 1/02, 28/02, 8/03, 6/04, 18/05, 25/05, 8/07, 27/07, 19/09, 6/10.
Afghanistan
La progression des talibans (étudiants en religion, d'ethnie pachtoune) apparus sur la scène de la guerre civile afghane en 1994 a provoqué des recompositions politico-stratégiques étonnantes. Le 24 mai, une alliance contre nature est conclue entre le chef du Hezb-i Islami, Gulbuddin Hekmatyar, et le régime de Kaboul, dirigé par ses ennemis jurés, le président Burhanuddin Rabbani et Ahmed Shah Massoud. Cette alliance ne peut cependant empêcher, le 26 septembre, la chute de Kaboul, contre laquelle les talibans avaient appelé au djihad en avril. Cette victoire des talibans, qui professent un fondamentalisme religieux rigoureux, est également celle de l'ethnie pachtoune, majoritaire en Afghanistan, sur un régime tadjik. Un facteur externe explique cette montée en puissance des talibans : le Pakistan est profondément impliqué dans la création de cette force et dans son soutien logistique. L'installation à Kaboul d'un régime sous sa tutelle lui permettrait d'ouvrir la route pour l'évacuation des hydrocarbures d'Asie centrale (une compagnie pétrolière américaine, associée à une société saoudienne, est impliquée dans un projet de gazoduc à travers l'Afghanistan) et de s'assurer une profondeur stratégique face à l'Inde. Cette stratégie a l'avantage pour les États-Unis de renforcer l'isolement du régime de Téhéran, en favorisant un sunnisme fondamentaliste opposé au chiisme iranien. La prise de Kaboul est également un échec pour la Russie, qui craint de voir se développer une instabilité contagieuse sur son flanc sud.
La coalition gouvernementale chassée de Kaboul s'est réfugiée dans les montagnes du nord-est du pays et organise la contre-offensive en s'alliant avec les forces militaires ouzbeks du général Rashid Dostom.
Chrono. : 4/02, 13/05, 27/09, 8/10, 12/10.
Iran
Les résultats des élections législatives (8 mars et 17 avril) revêtaient une importance particulière dans la perspective de la compétition entre conservateurs et modérés pour les présidentielles de juillet 1997. L'actuel président, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, ne peut en effet, selon la Constitution, briguer un troisième mandat (il y renonce officiellement en octobre), ce qui ouvre la voie au président du Parlement, Ali Akbar Nateg-Nouri, chef de file de la droite conservatrice et fidèle du « guide de la République », l'ayatollah Ali Khamenei. Or, le paysage politique après le scrutin législatif apparaît assez ouvert : si la droite conservatrice l'emporte en nombre de sièges, des tensions existent en son sein. La « gauche islamique », laminée aux élections de 1992, revient au Parlement aux côtés de députés qui, fait nouveau, se sont présentés comme « indépendants » et refusent d'entrer dans le débat gauche-droite. Mais le phénomène le plus remarquable est le score réalisé par les « Serviteurs de la construction », modérés proches du maire de Téhéran et du président Rafsandjani.