Le printemps 1996 a vu s'envenimer le conflit de la Femis entre les élèves et la direction de l'école de cinéma dont les dirigeants ont été remplacés : Patrice Beghain devenant délégué général et René Bonnell, président, après avoir été l'ancien « Monsieur Cinéma » de Canal +, d'où est également issu le directeur du Centre national du cinéma, Marc Tessier, entré en fonctions à l'automne 1995. Dans un tout autre registre, la fin de l'été 1996 a vu se développer une polémique autour du nouveau film de Claude Lelouch, Hommes, femmes : mode d'emploi, du fait du rôle principal confié à l'homme d'affaires et politicien déchu Bernard Tapie.
Il faut enfin noter que l'un des principaux objectifs définis par les pouvoirs publics et les professionnels pour le développement du cinéma français, à savoir la reconquête des marchés extérieurs, notamment européens, a donné des résultats eux aussi satisfaisants, avec une hausse de 20 % durant le premier semestre 1996. Au chapitre de la « politique étrangère » figurent également les espoirs suscités par l'arrivée au pouvoir en Italie d'un ministre de la Culture et vice-président du Conseil de centre gauche, Walter Veltroni, qui a fait du relèvement du cinéma transalpin un cheval de bataille, laissant envisager aux Français des retrouvailles bénéfiques avec ceux qui furent leurs principaux partenaires artistiques et économiques jusqu'à l'effondrement du cinéma italien à la fin des années 1970. En revanche, de sombres nuages s'amoncellent dans les relations avec les chaînes de télévision, pour lesquelles le film a cessé d'être le meilleur produit d'appel et qui, engagées dans de gigantesques restructurations industrielles à l'heure de la révolution technologique des images, cherchent à desserrer la réglementation qui fait d'elles l'un des piliers du financement du grand écran.
Économiquement toujours dominant, le cinéma américain n'a pas livré de découvertes importantes. Les formules les mieux établies continuent de donner les résultats les plus convaincants commercialement : en tête des best-sellers, le traditionnel « Disney » de l'année, en l'occurrence Pocahontas, de Mike Gabriel et Eric Goldberg (au 31 août 1996, 5,6 millions d'entrées). À sa suite, on retrouve le thriller (Seven, de David Fincher, 4,7 millions ; le nouveau James Bond, l'un des plus réussis dans le genre : Goldeneye, de David Campbell, 3,4 millions), les films à effets spéciaux pour enfants (Toy Story, de John Lasseter, produit par Disney ; Casper, de Brad Silberling) ou « tout public » (Twister, de Jan De Bont), la science-fiction (l'Armée des douze singes, de Terry Gilliam), les films d'action à grand spectacle (Waterworld, de Kevin Reynolds ; Apollo 13, de Ron Howard ; Rock, de Michael Bay).
Les Anglo-Saxons : stabilité américaine et sursaut britannique
Il y eut peu de découvertes artistiques dans le cinéma d'outre-Atlantique, les auteurs confirmés gardant la main. Clint Eastwood a donné un splendide mélodrame classique, Sur la route de Madison, Woody Allen, une comédie allègre avec Maudite Aphrodite, Martin Scorsese, une fresque métaphorique chez les gangsters de Las Vegas (Casino). On a retrouvé Jim Jarmusch au meilleur de sa forme avec le western allégorique Dead Man, et les frères Coen (Fargo), égaux à eux-mêmes. Déception en revanche avec les nouveaux films de Robert Altman (Kansas City), de Michael Cimino (Sunchaser) ou de Spike Lee (Girl 6), tandis que David Cronenberg cherchait un succès de scandale avec le sulfureux mais assez vain Crash. Les bonnes surprises venues d'Amérique se résument pour l'essentiel à la double chronique poétique Smoke et Brooklyn Boogie, de Wayne Wang et Paul Auster, à un polar glacé, Heat, de Michael Mann, avec Robert De Niro et Al Pacino, et surtout à l'accomplissement auquel parvient un cinéaste aux films toujours passionnants mais jusqu'alors souvent inaboutis, Abel Ferrara. Son Nos funérailles (The Funeral) aura été l'un des grands oubliés du discutable palmarès du Festival de Venise 1996.
Confirmant un rétablissement observé depuis deux ans, le cinéma britannique est à nouveau apparu comme l'un des plus dynamiques. Après Land and Freedom, sorti fin octobre 1995, Ken Loach présentait à Venise sa nouvelle réalisation, Carla's Song, consacrée à la guerre civile au Nicaragua. Stephen Frears, sans véritablement convaincre, donnait un film représentatif de chacune des deux carrières qu'il mène simultanément : Mary Reilly, variation sur le thème de Jekyll et Hyde, témoignait pour la tendance hollywoodienne, tandis que The Van était réalisé à Dublin dans le fil de la chronique sociale qui avait donné The Snapper. La vigueur britannique a été saluée par la palme d'or décernée à Secrets et mensonges de Mike Leigh, qui conte les retrouvailles d'une famille éclatée, et en particulier d'une mère blanche et ouvrière et de sa fille noire de milieu plus aisé, au moyen d'une mise en scène très stylisée. Un Irlandais, Neil Jordan, s'adjugeait quant à lui le lion d'or à Venise, pour Michael Collins, évocation d'un dirigeant historique de l'Armée républicaine irlandaise. Parmi les représentants de la nouvelle génération figure Danny Boyle, dont le film Trainspotting a triomphé dans son pays d'origine et attiré l'attention par sa manière agressive d'évoquer la vie d'une groupe de jeunes drogués. Les cinéphiles les plus attentifs ont remarqué l'irruption d'un nouveau venu, Michael Winterbottom, dont on a pu découvrir trois titres la même année : Butterfly Kiss, traitement très personnel d'une histoire de deux tueuses en cavale, Jade, inspiré de Thomas Hardy, et Go Now, présenté à Venise.
Un monde ensommeillé
Le reste du monde est loin de faire preuve d'une semblable fécondité. L'Italie aura du moins attiré l'attention, de manière contrastée. D'abord avec le retour derrière la caméra, après dix ans d'interruption due à une grave maladie, de Michelangelo Antonioni. Secondé par Wim Wenders, il donne dans Par-delà les nuages – présenté à Venise en 1995 et sorti en janvier 1996 –, une méditation sensuelle et splendide sur le regard et sa mise en scène, en quatre épisodes qui sont autant d'hommages aux femmes. Dans un tout autre registre, le Facteur (production italienne réalisée par le Britannique Michael Radford avec Philippe Noiret et Massimo Troisi) représente un nouveau modèle de coproduction européenne, consacré par un succès international et un oscar. On retiendra encore la découverte du remarquable premier film de Mimmo Calopresti, la Seconda Volta, produit et interprété par Nanni Moretti, et consacré aux séquelles des années de terrorisme, mais aussi la déception engendrée par le film de Bernardo Bertolucci Beauté volée.