Cinéma
Du point de vue de la fréquentation comme de celui de la créativité, la saison cinématographique 1995-1996 apparaît, en France, comme un bon cru. Poursuivant le mouvement entamé début 1995, les entrées ont continué de remonter, tandis que les cinéphiles trouvaient nombre de motifs de satisfaction, fournis par des auteurs confirmés ou des débutants plus que prometteurs. Un bilan tout à fait positif ? Non. Si les indicateurs artistiques et économiques sont favorables, l'inquiétude vient du côté politique, où se dessine la remise en cause du dispositif de défense du cinéma français, en particulier en ce qui concerne les chaînes de télévision engagées dans les grandes manœuvres continentales – sinon planétaires – qui accompagnent l'essor des nouvelles techniques de diffusion et de consommation des images à domicile.
Un cinéma français dynamique
Les films présentés au Festival de Cannes ont donné une image significative, quoique partielle, de la vitalité de la production française, en faisant se côtoyer deux idées distinctes du cinéma. L'une, moderne, héritière de la « nouvelle vague », apparaît toujours aussi créative avec des œuvres signées de vétérans encore féconds (Conte d'été, d'Éric Rohmer), des metteurs en scène dans la pleine force de leur art (les Voleurs, d'André Téchiné ; Irma Vep, d'Olivier Assayas, présenté au Festival de Cannes et sorti en novembre 1996), une relève déjà assurée par de plus jeunes (Comment je me suis disputé... [ma vie sexuelle] d'Arnaud Desplechin), voire des débutants (Encore, de Pascal Bonitzer, Y aura-t-il de la neige à Noël ?, de Sandrine Veysset). À ces noms pourraient s'ajouter, parmi les signataires de films présentés cette saison, ceux de Maurice Pialat (le Garçu), Jacques Doillon (Ponette), Benoît Jacquot (la Fille seule), Philippe Garrel (le Cœur fantôme), Danièle Dubroux (Journal du séducteur), Claire Denis (Nénette et Boni), Jean-Claude Biette (le Complexe de Toulon). Et, parmi les plus jeunes, Claire Simon (Coûte que coûte)...
Mais, simultanément, on a vu se muscler un cinéma plus conventionnel, privilégiant la construction scénaristique et le dialogue ciselé, préférant l'artifice et le romanesque au réalisme, souvent en ayant recours à la reconstitution historique et à l'adaptation littéraire. Ainsi, à Cannes. Un héros très discret, de Jacques Audiard ou Ridicule, de Patrice Leconte. Mais aussi l'un des grands succès de la saison, Nelly et M. Arnaud, de Claude Sautet, et l'un des plus cuisants échecs, Mon homme, de Bertrand Blier, la confirmation de Cédric Klapisch (Chacun cherche son chat), la consécration du savoir-faire d'Édouard Molinaro (Beaumarchais), ou l'irruption de nouveaux venus tels Didier Lepêcheur (Des nouvelles du bon Dieu), Diane Bertrand (Un samedi sur la terre) ou Laurent Bénégui (Au Petit Marguery).
Bien que non représentées dans les grands festivals, où ce n'est guère leur place, les comédies « populaires » tels les Anges gardiens de Jean-Marie Poiré (5,7 millions de spectateurs), Le bonheur est dans le pré, d'Étienne Chatilliez (4,7 millions), les Trois Frères, de Didier Bourdon et Bernard Campan (6,7 millions), Pédale douce, de Gabriel Aghion (3,9 millions) ont démontré la puissance d'impact renouvelée du cinéma commercial. Ensemble, ces trois types de film dessinent un espace suffisamment vaste et varié pour assurer en principe la pérennité d'une cinématographie – même si la saison a été endeuillée fin 1995 par la mort de l'un des cinéastes qui ont le plus marqué les esprits depuis trente-cinq ans, Louis Malle, suivie en 1996 de celle de l'inoubliable Marcel Carné.
Le cinéma à la croisée de l'économie et de la politique
La bonne santé du cinéma français s'est traduite dans les chiffres. Avec pratiquement 130 millions de spectateurs, 1995 a enregistré le meilleur score de fréquentation depuis 1987, exception faite du « pic » exceptionnel de 1993. Et les neuf premiers mois de 1996 ont connu une hausse supérieure à 10 % par rapport à la période correspondante de l'année précédente. Générale, cette amélioration concerne davantage la province que Paris. Elle est d'autant plus conséquente qu'elle s'accompagne d'une remontée de l'audience des films français face aux géants américains. Deux phénomènes expliquent cette évolution. D'une part, la confirmation du retour en grâce de la comédie grand public – même si on a vu des spécialistes du genre, comme Gérard Oury avec Fantômes avec chauffeur, Patrice Leconte avec les Grands Ducs ou Didier Kaminka avec Ma femme me quitte... subir de graves échecs. Le grand spectacle historico-littéraire n'est pas non plus une garantie, comme en ont témoigné notamment les résultats décevants du Hussard sur le toit, de Jean-Paul Rappeneau. Le second facteur de la hausse de la fréquentation des salles tient à l'évolution de l'exploitation avec le développement des multiplexes (15 établissements de ce type, totalisant 190 écrans, avaient ouvert leurs portes au 30 juin 1996). Cet essor a donné lieu à des batailles homériques entre professionnels, les distributeurs indépendants s'inquiétant d'en faire les frais, avant que les politiques ne s'emparent du dossier avec pour résultat une réglementation kafkaïenne, inspirée de celle sur l'implantation des supermarchés.