Le bilan du reste du cinéma européen est hélas vite bouclé. Au Portugal, c'est toujours le vieux maître Manoel de Oliveira qui reste le plus surprenant (Party, avec Michel Piccoli et Irène Papas). Le Festival de Cannes a permis la découverte de deux beaux films venus de Scandinavie : Au loin s'en vont les nuages, du Finlandais Aki Kaurismäki, poursuit avec éclat dans la comédie sociale noire et distanciée chère à cet auteur ; Breaking the Waves est un remarquable mélodrame sentimental et mystique, servi par la réalisation audacieuse du Danois Lars von Trier et par l'interprétation exceptionnelle d'une jeune actrice, Emily Watson. Cette région s'est également distinguée à Berlin, avec la récompense attribuée à la Beauté des sens du vétéran suédois Bo Widerberg. Le cinéaste belge Jaco Van Dormael remporte avec le Huitième Jour un important succès public ; découvert grâce à Toto le héros, il organise sur un mode comico-fantastique la rencontre de Daniel Auteuil et du trisomique Pascal Duquenne pour une fable pleine de bons sentiments. D'Europe de l'Est n'émerge guère que le Géorgien Otar Iosseliani, distingué à Venise pour Brigands, et le jeune Lituanien Sharunas Bartas, auteur austère et exigeant de Trois Jours, de Corridor et de Few of Us.
Les « cinématographies émergentes » auxquelles le dynamisme du grand écran devait beaucoup depuis le début de la décennie piétinent. Ainsi de l'Iran : le Ballon blanc, de Jafar Panahi, a connu un joli succès, et Mohsen Makhmalbaf a conquis son statut de grand réalisateur aux côtés de son compatriote Abbas Kiarostami grâce à la sortie du Temps de l'amour et de Gabbeh, puis à la présentation d'Un instant d'innocence au Festival de Locarno. Mais le raidissement des autorités islamiques à Téhéran a infligé un coup de frein à cette cinématographie sur laquelle pèsent les plus grandes inquiétudes. Le cinéma africain a été pratiquement absent des écrans cette année, et en Amérique latine, le Mexicain Arturo Ripstein semble bien être le seul à poursuivre une carrière ambitieuse et singulière, marquée par la projection de Carmin profond à Venise. Quant au monde chinois, il aura lui aussi paru peu fertile. Certes, le maître taïwanais Hou Hsiao-hsien a présenté une nouvelle œuvre aux partis pris artistiques et narratifs radicaux, Goodbye South, Goodbye, mais le bilan global est plutôt sombre : le nouveau film de Chen Kaige, la Jeune Maîtresse, a déçu, comme celui de la Néo-Zélandaise Jane Campion. Présenté à Venise, son Portrait of a Lady, adapté de Henry James, est loin de retrouver la force des précédentes réalisations de la cinéaste.
Jean-Michel Frodon
Les 20 plus gros succès de l'année (milliers d'entrées en France)
Les Trois Frères (Fr) 6 883
Independence Day (É-U) 5 534
Le bonheur est dans le pré (Fr) 4 933
Seven (É-U) 4 911
Pédale douce (Fr) 4 141
Mission impossible (É-U) 3 826
Le Huitième Jour (Fr/Belg) 3 555
Goldeneye (É-U) 3 488
Toy Story (É-U) 2 729
Twister (É-U) 2 508
Le Jaguar (Fr) 2 276
L'Armée des 12 singes (É-U) 2 201
Le Professeur Foldingue (É-U) 2 054
Jumanji (É-U) 2 023
Beaumarchais (Fr) 1 929
Rock (É-U) 1 875
Casino (É-U) 1 640
Ridicule (Fr) 1 596
L'Effaceur (É-U) 1 467
Babe (É-U) 1 462
Ferrara (Abel), cinéaste américain (New York 1952). Depuis ses premiers films (Driller Killer, 1979 ; Angel of Vengeance / MS 45, 1981 ; Fear City, 1984 ; China Girl, 1987), ce cinéaste indépendant poursuit une recherche très personnelle dans les registres du film noir, du fantastique et de l'horreur. Dans un milieu urbain contemporain aux sombres et violentes tonalités, voisines parfois de l'expressionnisme, Ferrara pousse jusqu'au paroxysme les codes du cinéma de série, sans respect exagéré du bon goût, pour servir sa réflexion sur les rapports de force et la place de l'homme dans la société. Une démarche qui connaît un premier aboutissement avec King of New York (1989), grâce également à la prestation de son acteur de prédilection, Christopher Walken.
Dès lors reconnu par une partie de la critique, il systématise sa démarche avec la descente aux enfers volontaire de Harvey Keitel dans Bad Lieutenant (1992), puis avec la fable horrifique Snake Eyes (1994) et le détournement du film de vampires (The Addiction, 1995). Il aura entre-temps tenté un détour peu convaincant par un cinéma plus conventionnel avec le remake d'un classique du fantastique, Body Snatchers (1993). Présenté au Festival de Venise 1996, Nos funérailles (The Funeral) y a fait événement par la rigueur et la puissance de ce film situé dans l'ambiance des films noirs de l'après-guerre, et centré sur les conflits et connivences entre trois frères d'une famille mafieuse.