Idées

L'affaire Clovis

Indissociable du voyage du pape Jean-Paul II en France, du 19 au 22 septembre 1996, et de sa visite à Reims afin d'y célébrer le 1 500e anniversaire du baptême de Clovis (le roi franc converti à la religion de sa femme Clotilde), ce qu'il est convenu d'appeler l'« affaire Clovis » a pris un tour inattendu et donné lieu à de nombreuses polémiques.

Si l'on oublie les maladresses du président de la République parlant de la France comme de la « fille aînée de l'Église » et de « baptême de la France », ce qui devait provoquer l'ire du camp laïque, le débat a porté à la fois sur la mémoire de la nation française et sur les ressorts de la laïcité. Mettant en lice des historiens manifestant leur désaccord ou leur doute sur le rôle historiquement « fondateur » de Clovis, la polémique sur la mémoire, qui s'inscrit dans un climat de passion patrimoniale et de recherche des « lieux de mémoire », a porté sur les liens de la nation et de la république (au milieu de livres souvent rédigés à la hâte pour alimenter la polémique, deux ouvrages rédigés par des historiens méritent l'attention : Laurent Theis, Clovis, éd. Complexes, et Michel Rouche, Clovis, Fayard). Alors que certains déclaraient leur refus de décréter historiquement les origines de la nation française, d'autres s'offusquaient que l'on puisse dissocier la genèse de la nation des commencements de la république, c'est-à-dire de la coupure révolutionnaire. « La commémoration de Clovis, ont écrit O. Ihl et Y. Delove dans le Monde (10/09/96), n'est pas une fête républicaine. C'est une cérémonie gouvernementale. Ce n'est pas une fête nationale. C'est une fête-Dieu. » Des années marquées par une production historiographique de qualité n'ont donc pas rendu plus aisées les discussions portant sur la généalogie nationale : « Pourquoi Clovis ? Pourquoi pas Vercingétorix ou Charlemagne, Saint Louis, Jeanne d'Arc, Henri IV ou Napoléon ? Pourquoi pas Bouvines (1214), Marignan (1515), Valmy (1792 et l'An I) ; pourquoi pas le 11 novembre 1918, le 8 mai 1945 ou les nombreux 18 juin de notre histoire ? (Au milieu de livres souvent rédigés à la hâte pour alimenter la polémique, deux ouvrages rédigés par des historiens méritent l'attention : Laurent Theis, Clovis, éd. Complexes, et Michel Rouche, Clovis, Fayard.) » (Philippe Bonnichon, in Bulletin d'informations générales du Centre d'information civique, 3e trimestre 1996).

Quant au deuxième débat, le plus violent, il a été exacerbé par des groupes radicaux, voire extrémistes, de part et d'autre. Il ne fait guère de doute que des intégristes catholiques (des groupes comme Notre-Dame de France et des proches de Philippe de Villiers ont profité de l'occasion pour surenchérir et célébrer la France chrétienne), des groupes laïques (la Libre Pensée avec le réseau Voltaire et le comité « Clovis n'est pas la France ») ont laissé croire à certains qu'on en était revenu au « premier âge de la laïcité », c'est-à-dire à l'époque marquée par la séparation de l'Église et de l'État. Mais comment comprendre que cette polémique que l'épiscopat français, influencé notamment par l'évêque de Reims Mgr Defois, d'un côté, et la Ligue de l'enseignement, le CNAL et les grands partis de gauche, de l'autre, ont su apaiser avec raison ait pu se produire aussi brutalement ?

Il semble évident que le débat sur la laïcité renvoie à une double interrogation. La première, qui porte sur l'érosion des valeurs dans les démocraties modernes, laisse croire aux institutions religieuses qu'elles peuvent pourvoir au sens défaillant. Mais, à l'inverse, l'idéologie laïque est confrontée à l'individualisme, à une grave crise du civisme, qui conduit certains à durcir leur conception de la laïcité au point de pratiquer une laïcité de combat, une laïcité « antireligieuse », dont l'islam fait d'ailleurs plus régulièrement les frais aujourd'hui que le catholicisme.

L'affaire Clovis a peut-être correspondu à l'un de ces psychodrames que met en scène une société « en mal de mémoire », orpheline d'un sens historique susceptible de tirer la république vers l'avant et non vers l'arrière. « Sur le fond, comme l'a écrit Jean-Claude Guillebaud, on croyait pourtant la vérité établie depuis longtemps. Deux mémoires sont bel et bien constitutives de l'identité française : celle de “la France fille aînée de l'Église” et celle de l'épopée révolutionnaire émancipatrice. Comme l'avait magnifiquement exprimé un Marc Bloch, c'est la conjugaison pacifique de ces deux “ mémoires ” qui fonde l'universalisme français. C'est-à-dire la passion égalitaire, le refus du différentialisme païen, la défense des victimes [...] »

Spiritualités nouvelles : entre souci de soi et recherche du sens

Alors que l'« affaire Clovis » est à l'origine d'une guerre au cours de laquelle les éléments les plus radicaux du monde catholique et de la culture laïque se sont affrontés avec rage, un intérêt diffus pour la religion et la spiritualité se confirme. En témoigne concrètement la production éditoriale depuis quelques années.