S'inscrivant dans le sillage d'une philosophie morale aux allures contrastées – ce genre désigne aussi bien le Traité des petites vertus, d'André Comte-Sponville, que la collection « Morales », lancée par les éditions Autrement –, dont le succès ne se dément pas, la littérature consacrée à la spiritualité et à la religion trouve un écho auprès de lecteurs qui y voient une réponse appropriée à une « demande de sens », qui concerne tout un chacun quand les idéologies sont mortes et les grandes visions du monde, déliquescentes.
Le dernier ouvrage de Luc Ferry, dont les chiffres de vente laissent les observateurs pantois – l'Homme-dieu ou le Sens de la vie, Grasset, 1996 –, est, plus que tout autre, le miroir d'une époque où recherche de sens et souci moral peuvent déboucher sur des interrogations religieuses. Dans le cas de L. Ferry, la demande de sens revient moins à réactualiser la religion qu'à s'interroger sur les substituts possibles de celle-ci dans une société démocratique où la Loi n'est plus externe, hétéronome. Après avoir observé l'évolution et les métamorphoses de la modernité démocratique que traduit, selon lui, un double phénomène – une divinisation de l'humain qui s'accompagne simultanément d'une humanisation du divin –, il propose une « morale laïque et humaniste » influencée par Kant et proche d'Alain. Mettant en avant les valeurs de fidélité et de générosité, elle a pour ambition de dépasser le clivage qui « passe au sein de l'humanisme entre son interprétation spiritualiste et son versant matérialiste. Si le divin n'est pas d'ordre matériel, si son “existence” n'est pas de l'espace et du temps, c'est bien dans le cœur des hommes qu'il faut désormais le situer et dans ces transcendances dont ils perçoivent, en eux-mêmes, qu'elles leur appartiennent et leur échappent à jamais. »
Mais d'autres auteurs répondent à cette même demande de sens en invoquant moins une morale laïque réactualisant les vertus de la religion qu'une spiritualité inspirée par la sagesse, celle des Grecs ou des Orientaux. L'écho rencontré par l'ouvrage de Pierre Hadot (Qu'est-ce que la philosophie antique ?, Folio Essais) consacré à la sagesse philosophique des Grecs (voir aussi le dossier du Magazine littéraire sur « Le souci, éthique de l'individualisme ») manifeste cette volonté de trouver des réponses en dehors des cadres d'une morale laïque ou des traditions religieuses. Mais P. Hadot rappelle prudemment qu'il ne faut pas confondre « souci de soi » et « sens de la vie » : « Je ne suis pas sûr qu'une esthétique de l'existence puisse vraiment donner un sens à la vie : elle risque, je le crains, de ne pas aller plus loin que les morales de la “self-realisation” développées en milieu anglo-saxon au début du xxe siècle. » D'où une insistance, à la fois antique et kantienne, destinée à « ouvrir le moi à une universalité éthique ».
Tout cette vague d'ouvrages recourt à un langage éthique et moral – celui-ci n'est pas sans lien avec le discours humanitaire, qui subit pour sa part les feux de la critique (voir l'article de Rony Brauman dans le Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, PUF, 1996) – et non à un langage religieux. Mais cette demande de sens diffuse peut prendre une dimension franchement religieuse et s'inscrire dans le sillage des traditions révélées (ou non). Il est incontestable que la passion spirituelle des contemporains renvoie pêle-mêle à des morales laïques comme à des traditions religieuses, au demeurant fort hétérogènes. Qu'on en juge par la diversité des titres qui composent les collections de spiritualité chez Albin Michel, Desclée, au Seuil... où l'intérêt pour le bouddhisme avoisine la publication des grands mystiques chrétiens ou musulmans. Ou bien encore par la collection récemment créée par Bayard Éditions qui consacre des ouvrages aussi bien à Épictète, à Eckart, à Jean de la Croix ou aux maîtres zen.
Faut-il alors s'en étonner ? Cette demande de sens, qui se manifeste explicitement dans la production éditoriale, peut néanmoins déboucher sur des pratiques discutables qui suscitent des polémiques. Alors que le débat sur les sectes n'avait pas atteint directement le monde catholique, un ouvrage portant sur des communautés charismatiques – Thierry Baffoy, Antoine Delestre, Jean-Paul Sauzet, les Naufragés de l'esprit, Seuil, 1996 – a mis le feu aux poudres en décrivant les pratiques autoritaires de certains animateurs de ces groupes. D'où l'esquisse d'un débat portant sur la menace de dérives sectaires au sein du catholicisme.