Afrique : démocratie différée

Marqué par la présence du président sud-africain Nelson Mandela, le trentième sommet de l'OUA, ouvert le 13 juin à Tunis, a été dominé par la tragédie rwandaise et le génocide perpétré contre les Tutsis (voir article Rwanda). Quelques lueurs d'espoir apparaissent sur le front économique pour l'ensemble des pays, mais le mouvement général de démocratisation est à marée basse et l'ONU ne parvient pas à imposer le silence des armes.

Pénuries

D'après les responsables du Programme alimentaire mondial, vingt-deux millions d'Africains auront eu besoin d'une aide alimentaire en 1994 en raison des pénuries résultant des conflits armés ou de la sécheresse.

L'ajustement structurel contesté

Les divers diagnostics sur l'état économique actuel de l'Afrique au sud du Sahara demeurent toujours aussi sombres, alors que la sécheresse sévit encore en Afrique orientale et australe, menaçant près de 8 millions d'individus. Durant la décennie 70, le PIB mesuré par habitant avait stagné, puis il avait régressé dans les années 80, et, au début des années 90, il est revenu au niveau des années 60, soit moins de 520 $ ($ 1987) constants. L'écart avec l'Asie de l'Est, l'Amérique latine et les pays du Pacifique s'est accru et le continent africain, qui serait le seul, d'après les statistiques, à s'être appauvri dans la décennie 80, apparaît comme le laissé-pour-compte des transformations intervenues dans le système-monde depuis trente ans.

Pourtant, des réformes ont été engagées avec les plans d'ajustement structurel imposés par les institutions de Bretton Woods, et, selon la Banque mondiale, quelques résultats notables sont à mettre à l'actif des mesures libérales et monétaristes prises depuis dix ans. Parmi les pays ajustés analysés par la Banque, six connaissent une « nette amélioration » (le Ghana est considéré comme un exemple à suivre), neuf sont en « léger progrès », onze enregistrent une « détérioration » de leurs résultats macro-économiques (inflation, déficit budgétaire, taux de change). Toutefois, les violents contrastes observés et surtout la stagnation, voire l'arrêt, du processus de privatisation traduisent, toujours selon la Banque mondiale, l'insuffisance des réformes, lesquelles se heurtent, pour nombre d'observateurs, à l'inertie des États postcoloniaux et à leur mode de fonctionnement fondé sur le patrimonialisme et la corruption.

Le credo libéral monétariste et les choix macro-économiques imposés sont contestés par la CNUCED, qui préconise, dans son rapport 1994, un renforcement du rôle de l'État dans la stratégie de développement. L'ajustement structurel est aussi remis en question par de nombreux gouvernements africains, qui en supportent difficilement le coût social, et par les ONG, qui en constatent les effets souvent désastreux sur les plus démunis. Cette levée de boucliers explique peut-être les modifications du discours de la Banque mondiale, pour qui les mesures d'ajustement, même menées à bien, paraissent finalement insuffisantes pour retrouver le chemin d'une croissance forte et durable.

Vers l'embellie économique ?

Ce chemin passe-t-il par la manipulation des taux de change ? C'est ce qu'ont pensé le FMI, la Banque mondiale et le gouvernement français, qui ont imposé une dévaluation de 50 % du franc CFA, mesure entérinée lors du sommet des chefs d'État et de gouvernement des 13 pays de la zone franc (Dakar, 10-11 janvier ; les Comores ont parallèlement dévalué leur monnaie de 33 %). Adoptée dans la confusion et l'ambiguïté politique ayant succédé au décès de Félix Houphouët-Boigny, la dévaluation, nécessaire mais mal préparée et mal expliquée, fut un choc, désorientant les populations et enclenchant parfois de violentes manifestations de rue (Sénégal, Gabon). Dix mois après, quel bilan peut-on dresser ?

La dévaluation a révélé les inégalités politiques et économiques antérieures, d'une part entre l'Afrique de l'Ouest, où elle a été assez bien accompagnée par les gouvernements, et l'Afrique centrale, où l'encadrement se révèle plus difficile, d'autre part entre les pays d'une même aire géographique. Les tendances inflationnistes demeurent fortes partout (pour l'ensemble de l'année 1994, la hausse des prix pourrait atteindre en moyenne de 40 à 50 %) et, si la plupart des pays ont signé des accords d'ajustement avec le FMI, condition préalable de l'aide financière française, de nombreuses inquiétudes subsistent, de graves dérapages financiers ayant été dénoncés lors de la réunion annuelle des ministres des Finances (Brazzaville, 15 septembre). Toutefois, des capitaux sont revenus (on aurait enregistré un afflux de liquidités de 400 milliards de francs CFA dans les banques) et les objectifs affichés, 5 % de croissance en moyenne pour le PIB 1995, peuvent être atteints par certains pays. La Côte d'Ivoire, qui dispose d'une solide base productive agricole, tire ainsi parti de la dévaluation compétitive : les prix d'achat du cacao et du café ont été relevés, la consommation d'engrais progresse, l'agriculture vivrière peut concurrencer les produits importés.