Médecine : la course aux gènes du cancer
Plus guère de semaine ne se passe sans que des chercheurs isolent des gènes sur la longue molécule d'ADN qui compose notre génome. Cette année a été particulièrement fructueuse pour la course aux gènes prédisposant à certains cancers. En l'espace de 8 mois, les gènes MHS2 et MLH1, impliqués dans certains cancers du côlon, ont été identifiés. Mais surtout, en septembre, s'est achevé l'isolement du BRCA1, gène de prédisposition au cancer du sein chez les femmes. Dans la foulée, un second gène de prédisposition au cancer du sein, BRCA2, a été localisé.
Les vainqueurs de la compétition
Ce sont des chercheurs américains dirigés par Mark Skolnick, de l'université de l'Utah. L'issue de cette course, qui avait commencé en 1990 lorsque BRCA1 (Breast Carcinoma 1) fut localisé sur le chromosome 17, était attendue par de nombreux cancérologues. BRCA1 est le principal gène de prédisposition au cancer du sein : des formes mutées du gène sont impliquées dans pratiquement toutes les familles où l'on trouve à la fois des cancers du sein et des cancers de l'ovaire et dans près de la moitié de celles ayant plusieurs cas de cancers du sein à développement précoce. On estime qu'une personne sur 500 est porteuse d'une mutation sur ce gène et que, parmi elles, 80 % développeront un cancer. Quant au BRCA2, qui vient d'être localisé sur le bras long du chromosome 13 par un consortium international ayant des chercheurs britanniques à sa tête, il est impliqué dans 40 % des autres formes héréditaires de cancer du sein. Au total, ces deux gènes majeurs de prédisposition seraient responsables de la plupart des cancers du sein héréditaires. Cependant, les études épidémiologiques montrent que seuls 5 % des cancers du sein ont une origine génétique.
De l'isolement au dépistage
Depuis que l'on a commencé à identifier les gènes qui prédisposent à certaines maladies comme les cancers héréditaires, des compagnies commerciales se sont lancées dans la mise au point de tests de dépistage. Pourtant, de nombreuses questions restent en suspens. Est-il moral de proposer un test de dépistage quand, bien souvent, il n'y a pas de traitement ? Quelles seront les conséquences, notamment psychologiques, pour des personnes en parfaite santé, de la révélation de leur destinée ? Lorsque la réponse est négative, les avantages ne font aucun doute. Mais dans le cas inverse ? Pour le cancer du sein, par exemple, on a montré que la mammographie, en détectant précocement les tumeurs, peut sauver des vies chez les femmes de 50 ans et plus. Le problème est qu'on ne sait pas si des femmes à haut risque génétique ne seront pas hypersensibles aux faibles doses de radiation délivrées lors d'un tel examen. Certaines choisiront d'endurer une mastectomie préventive dont rien ne prouve d'ailleurs qu'elle leur évitera un cancer. Autre question : comment des personnes saines mais porteuses d'un gène de prédisposition seront-elles protégées des discriminations de leurs employeurs ou des compagnies d'assurances ? Pour le moment, ces questions demeurent sans réponse. Les bénéfices des tests génétiques n'apparaissent pas clairement, alors que les risques qu'ils représentent sont substantiels. Les plus prudents parmi les cancérologues estiment qu'il est, de toute façon, beaucoup trop tôt pour pratiquer à large échelle le dépistage des cancers, comme certains le souhaiteraient. Ils préfèrent les voir réservés aux centres spécialisés, où se retrouvent cancérologues, généticiens et psychologues.
Les problèmes de brevet
En attendant que l'on trouve des réponses à toutes ces questions, les chercheurs se préoccupent de brevets. Mark Skolnick, codécouvreur du BRCA1, a pris les devants. Il a fondé, en 1991, avec le prix Nobel Walter Gilbert, une petite compagnie de biotechnologie, Myriad Genetics, qui a financé une partie des recherches sur BRCA1. Dès que celui-ci a été trouvé, Myriad Genetics a, bien évidemment, déposé une demande de brevet avec la ferme intention de mettre au point, au plus vite, des tests de diagnostic. Tout cela n'est pas du goût de certains scientifiques, qui trouvent scandaleux que des gènes de maladies deviennent la propriété de compagnies commerciales en attente de profits. Leurs opposants rétorquent que le profit est le nerf de la guerre et que, sans lui, il n'y aura jamais de tests de haute qualité et bon marché. Espérons que cette course au profit ne retombera pas sur les femmes en les amenant, un jour ou l'autre, à utiliser massivement des tests génétiques sans être complètement informées et sans les conseils indispensables.
Régime crétois
Bien manger ne nuit pas à la santé, surtout si l'on suit un régime dit « crétois ». C'est en tout cas l'avis de Serge Renaud, un chercheur de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale. Pour lui, le régime idéal, copié sur celui des habitants de la petite île grecque, se compose de beaucoup de pain, plus de poisson que de viande, de l'huile d'olive comme matière grasse et, bien sûr, des légumes et des fruits en abondance. Le chercheur français a récemment montré que des patients victimes d'un premier infarctus et soumis plusieurs mois à ce régime alimentaire se remettent mieux que ceux qui se contentent de suivre les instructions habituelles de leur cardiologue.
La chirurgie en musique
Cinquante chirurgiens, amateurs de musique, se sont prêtés à une expérience originale dans le laboratoire de psychologie de l'université de Buffalo aux États-Unis. Ils ont été soumis à des épreuves de stress standards consistant en opérations de calcul mental d'abord sans musique, puis avec accompagnement musical selon leur goût mais aussi avec un morceau imposé. Les cobayes se sont montrés bien plus efficaces en travaillant avec la musique de leur choix qu'avec celle imposée par le protocole, et l'épreuve sans musique s'est soldée par les performances les plus basses. Peut-on envisager d'améliorer par la musique le déroulement des interventions chirurgicales ?
Bioéthique
Après bien des commissions parlementaires, plusieurs rapports perdus dans les tiroirs des ministères et surtout de longues années de réflexion, la France s'est enfin dotée d'un arsenal juridique encadrant la bioéthique. Trois lois réglementent dorénavant le prélèvement et le don d'organes, les procréations médicalement assistées et, finalement, les données nominatives des fichiers de la recherche en santé.
Vers l'éradication de la poliomyélite
C'est officiel depuis septembre, le continent américain dans son intégralité est débarrassé du virus sauvage de la poliomyélite, responsable de graves paralysies, surtout chez les enfants. Le dernier cas, un enfant péruvien, remonte à 3 ans et, depuis, malgré une surveillance des plus rigoureuses, rien n'a été signalé. Des résultats encourageants qui montrent que, même dans des régions sous-développées, il est possible de mener à bien avec efficacité l'éradication d'un tel virus. À l'heure actuelle, les trois quarts des pays du monde ne connaissent plus de cas de poliomyélite. Il reste cependant des poches d'endémie, principalement dans le sous-continent indien, et des pays où se déclarent encore des flambées. Néanmoins, l'Organisation mondiale de la santé souhaite parvenir à l'éradication totale de la maladie en l'an 2000. Sa stratégie consiste, en particulier, à organiser des journées nationales de vaccination pour tous les enfants de moins de 5 ans et à faire assurer une surveillance épidémiologique.
Gérard Budou, le Corps défendu, la science et le vivant, Éd. J.-C. Lattes, 1994.
Jean-Pierre Changeux, Raison et plaisir, Éd. Odile Jacob, 1994.
Alexandre Minkowski, le Vieil homme et l'amour, Éd. Robert Latfont, 1994.