Transports : la concurrence d'abord
Le rail
Événement
Le 6 mai, le « chantier du siècle » est inauguré. La reine Elisabeth II et le président François Mitterrand empruntent solennellement, une demi-heure durant, les 37 km du tunnel sous la Manche. Pour réaliser cette prouesse technique, il a fallu 7 années d'efforts pour 10 000 ouvriers, dont 9 trouveront la mort au cours du chantier.
Pour mener à bien ce que l'on appelle aussi le « lien fixe transmanche », des efforts financiers immenses ont également été nécessaires. Le tunnel a coûté 100 milliards de francs. La facture est ainsi deux fois plus lourde que celle prévue au début des travaux. En effet, les Britanniques ont exigé de nombreuses modifications techniques touchant à la sécurité (séisme, attentat, incendie). Des retards s'en sont suivis, provoquant un long conflit entre Eurotunnel, le concessionnaire, et les différents constructeurs réunis dans TML, qui, un temps, avaient menacé d'arrêter les travaux s'ils n'étaient pas payés dans les délais prévus initialement.
Les investisseurs ont aussi quelques raisons d'exprimer leur mécontentement malgré l'ouverture du tunnel. La dette est en effet énorme, avec 80 milliards de francs empruntés auprès de 220 banques du monde entier. Et la rentabilité du projet est repoussée à l'an 2000. Le cours de l'action Eurotunnel a ainsi connu bien des déboires (voir l'article « Bourse »). Le succès financier dépend de la réussite commerciale. Tout reste à faire. Les camions chargés de marchandises ont emprunté le tunnel au début de l'été, tandis que les voitures et leurs occupants ont dû attendre l'automne. Pour encourager le trafic, Eurotunnel s'est résolu à revoir ses prix à la baisse. Annoncés en octobre, les premiers tarifs voyageurs proposent ainsi une gamme de prix s'étendant de 790 à 1 620 francs pour un aller et retour Paris-Londres. Enfin, passé le temps de la curiosité, il semble que les transporteurs routiers lui préfèrent encore le ferry.
La mise en marche sera donc lente, progressive, et longtemps déficitaire puisque les opérateurs tablent sur des pertes durant les 10 premières années d'exploitation. En outre, la ligne TGV qui doit relier Folkestone – sur la côte – et Londres ne sera pas terminée avant 2002.
Riposte
Pour contrer les navettes d'Eurotunnel (une toutes les 3 minutes en période de pointe), les compagnies de ferries ont renforcé leur offre sur Calais-Douvres avec une cinquantaine de rotations quotidiennes. De nouveaux navires ont ainsi été mis en ligne : d'une plus grande capacité et plus confortables, avec de meilleurs services rendus (appréciés par les routiers). Mieux, les ferries ont sévèrement réduit leurs prix. Mais, malgré toute la confiance qu'elles affichent, les compagnies ont anticipé dans leur budget un impact négatif du tunnel, qui compromet, selon elles, un quart de leur chiffre d'affaires. Elles estiment avoir 2 à 3 années difficiles à passer, semblables à celles connues par Air Inter, au début des années 80, lors de l'ouverture des lignes TGV.
Crise
Avec un endettement de 137 milliards au 1er septembre 1994, la SNCF traverse la plus grande crise de son histoire. Le président affirme que l'existence même de son entreprise est « menacée ». Entre 1984 et 1993, alors que la société nationale a investi près de 150 milliards de francs sur son réseau principal, dont près de la moitié pour le TGV, le trafic voyageurs a reculé de 7 % et celui des marchandises de 20 %. La refonte des tarifs grandes lignes annoncée en janvier n'a pas permis de ramener les Français dans les trains. Face à cette situation catastrophique, Bruxelles veut jeter la SNCF dans un système concurrentiel. De son côté, ne pouvant s'en remettre une fois de plus à l'État, le nouveau président de l'entreprise, Jean Bergougnoux, entend remobiliser son personnel autour de « l'obsession » du client. Il faut reconquérir des parts de marché. Jean Bergougnoux veut accroître de 25 % le chiffre d'affaires en 3 ans et transformer cet accroissement en marges. Maîtrise des coûts, meilleure qualité de service au client, décentralisation des décisions et responsabilisation des cheminots sont les nouvelles priorités de la SNCF, qui, par ailleurs, n'envisage pas de réforme tarifaire de grande ampleur.