La principale tâche de ces différents pôles consiste à mettre à la disposition des grandes entreprises des capitaux facilement mobilisables et des moyens pour qu'elles puissent être protégées des assauts du capitalisme étranger ou pour mener à bien, à travers par exemple des alliances, des opérations de restructuration (fusion, acquisition) ou de développement de l'activité à l'extérieur (création de réseaux de distribution).
Enfin, lors de la première vague de privatisations (1986-1987), chacune d'elles avait pu être justifiée en raison de l'engouement des épargnants pour les actions qui leur étaient proposées. En janvier 1987, par exemple, 3,8 millions de Français avaient acheté des actions de la Compagnie financière de Paribas, de telle sorte que celle-ci devint la firme comptant le plus d'actionnaires individuels. Ce succès, espéré par le gouvernement, provenait du fait que les actionnaires escomptaient, de l'amélioration de la gestion des firmes consécutivement à leur privatisation, des plus-values sûres et rapides. Avec la seconde vague de 1993-1994, les futurs actionnaires n'ont pas manifesté autant d'empressement à souscrire. Même si la perspective d'un profit rapide les attire toujours, il n'en demeure pas moins que le prix de l'action n'est plus aussi attractif, comme le souligne la privatisation de l'UAP. Il en résulte qu'une fraction des épargnants hésite du fait qu'elle n'est pas assurée d'obtenir ultérieurement des plus-values sur les actions achetées.
Noyau dur et noyau stable
Alors que les noyaux durs de la première expérience de privatisations de 1986-1987 étaient caractérisés, à côté du fort émiettement de l'actionnariat, par la présence limitée de quelques grands groupes industriels dans le capital de l'entreprise privatisée, les noyaux stables, ou groupes d'actionnaires stables (GAS), se distinguent des premiers par une grande dispersion des groupes industriels qui participent au capital social. Chacun des groupes participants est d'un poids plus réduit, ce qui limite leur pouvoir réel. Ce changement traduit une rupture avec les pratiques capitalistiques des années 1980 en France, d'inspiration anglo-saxonne. Face à une très forte dispersion du capital social, l'État entendait conserver un pouvoir de contrôle de la firme privatisée. Avec la deuxième vague de privatisations, le gouvernement a exprimé la volonté de former en France de grands ensembles à l'allemande. Ce dernier modèle, appelé rhénan, révèle une orientation vers un certain protectionnisme, qui aboutit à des alliances très fortes en capital entre les groupes d'un même pays.
Actionnaires et privatisations
Le nombre d'actionnaires individuels a augmenté en France de 27 % en deux ans, selon une enquête de la SOFRES en 1994. Sept ans après le krach de 1987, la preuve est apportée que les épargnants français s'intéressent à la Bourse bien que l'indice CAO 40 ait perdu 20 % entre février et octobre 1994. Les nouveaux actionnaires, au nombre de 1,2 million, ont été attirés par les privatisations et ne semblent pas prêts à se retirer, malgré cette chute des cours.
Gilbert Rullière