Entreprises : les privatisations
Après le succès spectaculaire des privatisations de la BNP, de Rhône-Poulenc en 1993 et d'Elf en février 1994, le gouvernement souhaite accélérer le système des cessions d'entreprises afin de dégager le maximum des recettes et de couvrir en partie un déficit devenu incompressible. En raison de circonstances peu favorables, il rencontre des difficultés tenant au choix du moment et des firmes publiques à privatiser : d'une part, avec la déprime boursière, le gouvernement n'est pas assuré de pouvoir fixer un prix de vente de l'action suffisamment « attractif » pour amener les épargnants à souscrire ; d'autre part, au point de vue politique et social, le gouvernement ne peut pas privatiser n'importe quelle firme. Ces considérations expliquent le choix de l'UAP, la première compagnie française d'assurances (le krach d'octobre 1987 avait arrêté la vague de privatisations, ce qui a empêché la privatisation d'un assureur comme l'AGF, l'UAP ou le GAN), de Bull (choix inattendu) et le retard de la dénationalisation de Renault, décidée en septembre 1994, après de multiples discussions.
La privatisation d'Elf a été incontestablement décidée pour l'argent qu'elle ferait rentrer dans les caisses de l'État. En effet, elle devrait rapporter à celui-ci plus de 35 milliards de francs, contre 28 milliards de francs pour la vente de la BNP ; elle pourrait à elle seule représenter 20 % du programme français de cessions d'entreprises publiques. En même temps, elle marque la fin de l'économie mixte. Le colbertisme, qui a toujours dominé la politique industrielle, a conduit l'État à créer une société nationale puissante, présente du puits jusqu'à la pompe et exploitant les richesses nationales (surtout le gaz de Lacq). Avec le temps, Elf a pris une stature internationale en devenant un grand groupe à l'échelle mondiale. Cette privatisation, qui a donné à Elf son indépendance, illustre avec une force exemplaire le retournement complet des politiques économiques observé au cours des quinze dernières années pratiquement dans le monde entier.
Deux méthodes sont utilisées en matière de privatisation : l'offre publique de vente et le préplacement.
L'offre publique de vente consiste à proposer aux particuliers et aux investisseurs institutionnels la vente de titres, d'ailleurs à des prix différents (dans le cas de l'UAP, à 152 francs aux particuliers et à 155 francs aux investisseurs institutionnels). En règle générale, le prix est fixé dans le respect des intérêts de l'État, du contribuable mais aussi de l'épargnant. Il est calculé par la commission de la privatisation qui prend en compte, outre les éléments précédents, la situation du marché boursier. À l'issue de l'opération, en même temps que l'État « engrange des recettes » (dans le cas d'Elf, 33 milliards de francs), il voit sa participation tomber à moins de 50 %. L'entreprise privatisée a ainsi (toujours dans le cas d'Elf) près de trois quarts de son capital dispersés entre des actionnaires privés, possédant chacun quelques titres. Le reste sera détenu par l'État, qui détiendra en plus une action spécifique (Golden Share) destinée à empêcher toute prise de contrôle hostile, par les salariés d'Elf (4 %) et par un groupe d'actionnaires stable (10 %), appelé noyau stable.
Renault
Au départ, la dénationalisation de la firme automobile française avait été initialement repoussée à la fin de l'année 1994, en raison des risques politiques et sociaux liés au passage dans le privé du « symbole » Renault et de l'importance financière de l'opération évaluée à 35 milliards de francs. Mais, avec l'aggravation du déficit budgétaire, le gouvernement est conduit à avancer la date non pas de la privatisation, mais d'une ouverture du capital de Renault. Celle-ci est annoncée le 13 septembre 1994 et elle doit s'étaler jusqu'à la fin de l'année. L'État se propose de vendre environ 20 % du capital de l'ex-Régie, ce qui devrait rapporter une dizaine de milliards de francs. Enfin, en attendant la privatisation définitive, le gouvernement cherche à composer un « noyau dur » appelé GAP (groupe d'actionnaires partenaires), c'est-à-dire constituer de toutes pièces un groupe d'actionnaires stables. Grâce au soutien financier et logistique que peuvent lui apporter les actionnaires stables et aussi les investisseurs institutionnels, Renault devrait normalement disposer de moyens d'améliorer sa productivité, condition de sa survie, et se battre dans un univers concurrentiel contre des firmes implantées mondialement, malgré sa relative petite taille (sa production représente à peine le quart de celle du premier mondial (General Motors) et malgré son implantation internationale essentiellement limitée à l'Europe. Faute de pouvoir s'allier avec une autre firme (à la suite de l'échec du partenariat de Volvo), Renault ne peut en effet que compter sur ses seuls moyens pour accroître sa présence internationale. À travers cette expérience d'ouverture du capital, il semble que la privatisation de Renault réponde tout aussi bien à une logique financière qu'à une logique économique (créer un ensemble performant).
Le préplacement : le cas Renault. Étant donné que la privatisation se déroulera en deux étapes, l'État n'a mis en vente, au prix de 165 francs l'action, que 29 % du capital de l'ex-Régie, ce qui doit rapporter 13 milliards de francs, dont 8 iront dans les caisses de l'État. Comme il s'agit d'une privatisation partielle rendue indispensable pour des raisons budgétaires, la cession d'une partie des actifs de Renault ne pourrait pas donner lieu à une offre publique de vente, mais seulement à une ouverture du capital matérialisée par un placement préalable, ou préplacement, dans l'attente de la deuxième phase définitive, celle de l'ouverture réelle avec l'offre publique de vente (OPV). Cette opération n'a pas rencontré le succès populaire attendu. Ce manque d'engouement des souscripteurs particuliers s'explique par deux raisons principales : la baisse de la Bourse et la préférence des opérateurs pour d'autres formes de placement. Par contre, les investisseurs institutionnels ont joué sur le Renault (la demande de titres a été 15,5 fois supérieure à l'offre). Ces investisseurs jouent le long terme. Ils savent que la Bourse est actuellement déprimée, mais ils escomptent que la reprise économique va profiter à l'automobile, et plus particulièrement à Renault.
Objectifs
L'expérience en cours de Renault met déjà en évidence les principales différences d'objectifs qui séparent les deux vagues de privatisations, celle de 1986-1987 et celle de 1993-1994. En 1986-1987, il s'agissait, comme le déclarait explicitement le gouvernement, de réduire l'endettement public et d'engager des réformes de structure. En 1993-1994, le gouvernement poursuit d'autres objectifs : en premier lieu, il décide de privatiser à un moment plutôt qu'à un autre pour se procurer des recettes qui serviront à combler le déficit du budget et à attribuer des dotations en capital à des entreprises publiques ; en second lieu, il profite de l'occasion pour créer des pôles financiers d'un poids suffisant pour rassembler des groupes industriels ; en dernier lieu, par le placement des actions d'une entreprise privatisée, les autorités cherchent à encourager le retour des épargnants vers la Bourse.