Comment en est-on arrivé là ? L'État français et ses dépendances (sécurité sociale, collectivités locales) n'ont pas su ni voulu s'adapter aux contraintes d'une économie devenue plus cyclique, plus ouverte sur l'extérieur et moins inflationniste. Au niveau atteint aujourd'hui par les dépenses collectives (55,5 % du PIB en 1993, 55,4 % en 1994), la France n'a plus le choix qu'entre trois solutions, toutes immédiatement nuisibles à l'expansion, quoique de manière différente.
L'État peut choisir de laisser filer le déficit, gonflant ainsi le service de la dette et exposant notre pays aux aléas des taux d'intérêt commandés par le marché international des capitaux.
La France peut aussi préférer relever les impôts, taxes, cotisations et redevances : au niveau déjà atteint par les prélèvements obligatoires et compte tenu de leur incidence particulièrement lourde sur les entreprises employant du travail peu qualifié et sur les cadres actifs, ni l'emploi ni la croissance ne paraissent pouvoir supporter cette aggravation de charges. L'alourdissement de la CSG, de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), de la redevance télévision ou des tarifs publics est plus également réparti, mais il affecte inévitablement la consommation, principale raison d'être de l'investissement.
Reste une troisième solution, certes nuisible à l'expansion à court terme, mais plus favorable à long terme : la réduction des dépenses des administrations publiques. Des priorités s'imposent car une réduction équiproportionnelle serait absurde mais aussi parce que des gaspillages peuvent sans peine être détectés. Toutes les administrations devraient, sur la base d'un audit indépendant, revoir l'utilité relative de leurs services et engager les suppressions qui s'imposent.
Méfiance des marchés
Pour l'heure, en cette fin de 1994, les taux d'intérêt qui avaient fini de baisser à la fin de juillet sont remontés à 7,95 % pour le taux de base des banques en septembre (plus de 8 % pour les obligations assimilables du Trésor – OAT –, émises de façon fractionnée). Les marchés financiers ne créditent pas assez la France pour la bonne santé retrouvée de ses entreprises non financières et pour la faiblesse de son inflation. Ils s'inquiètent de la capacité du secteur financier (Crédit Lyonnais, compagnies d'assurance) à effacer les conséquences de ses placements antérieurs, notamment dans l'immobilier d'entreprise. Ils s'inquiètent enfin des connivences favorisées par l'économie mixte à la française et des dérèglements où les carences du marché s'ajoutent à celles des administrations.
Enfin, les problèmes liés à l'exclusion sociale de certaines catégories de la population sont d'une ampleur insoupçonnée et révélateurs de la dégradation des rapports humains. Tant la Banque des règlements internationaux que l'OCDE ont pu suggérer sur la base d'informations comparatives que l'exception française en matière de chômage se trouvait corrélée avec la rigidité des coûts salariaux : coûts de l'embauche et du licenciement, faiblesse du temps partiel, poids des cotisations employeurs, manque de souplesse des grilles de salaires, générosité de certaines allocations de chômage, formations inadéquates ou peu mobilisatrices (BRI, 64e rapport annuel, 1994, p. 17-30, et rapport de l'OCDE cité).
La France de 1994 a cru pouvoir faire de l'Europe le bouc émissaire de ses propres maux. Elle doit, il est vrai, apprendre à s'accommoder d'une nouvelle situation créée par une Allemagne sortie renforcée de la réunification. Mais elle doit choisir entre trois solutions pour l'avenir de l'Europe : soit la zone de libre-échange à l'anglaise, sorte de confédération ouverte à toute l'Europe de l'Est mais sans coopération contraignante, soit l'Europe à géométrie variable favorable à la nation ou aux nations capables de participer à toutes les politiques communes, soit enfin celle d'un noyau dur constitué avec l'Allemagne et le Benelux. Les élections présidentielles de 1995 redonneront-elles une marge d'initiative à notre pays ?
Perspectives de Rexecode, octobre 1994.
Études de l'OCDE sur l'emploi, 1994.
Institut de l'entreprise, Y. Cannac et alii : Pour un État moderne, Plon, 1994.
Alain Bienaymé, la Reprise de la consommation dans une économie d'abonnés, Chroniques de la SEDEIS, 15 août 1994.
Alain Bienaymé