Mode : zapping

« Compile »

Après les temps de l'opulence, puis du sexy et du « grunge », la mode zappe d'une époque à l'autre à travers les siècles, sans chronologie. Des vestales de l'Antiquité aux robes Empire de Joséphine, des déesses grecques aux hippies des années 1970, des tournures victoriennes aux épingles de sûreté des punks, des silhouettes moyenâgeuses aux jupes à cerveaux de Scarlett O'Hara, la mode, en quête de son identité feuillette un livre d'histoire. De cette « compile » historique qui s'avère être la nouvelle référence des couturiers naît un style que l'on conjugue au présent après avoir recomposé le passé. Dans le désordre. L'allure d'aujourd'hui ne connaît pas non plus de frontières. L'Inde, la Chine, la Rome Antique, la Grèce, l'Égypte, le Maroc, l'Afrique et l'Andalousie sont les sources d'inspiration contemporaine des couturiers, influencés par un air venu d'ailleurs. Les collections de l'année sont comme une invitation au voyage. Mélanges d'ethnies, métissages de cultures et de folklores imprègnent la mode de leurs couleurs subtiles, mordorées et flamboyantes. Mais les créateurs rêvent de pureté. De paix aussi, en cette époque de crise. Le blanc, nuance star, se décline dans toutes les variations monochromes. On élimine la pesanteur. Le corps se voile d'une nouvelle décence. Les robes en voile se posent sur d'autres, en coton. Les tuniques se juxtaposent. En quelques touches, les tons vifs et solaires, le rouge, le jaune se mêlent. L'orange revient. Couleur du spectre solaire, elle incarne la spiritualité, valeur existentielle qui est au cœur des préoccupations de chacun. Point de structure dans la construction de l'allure. C'est le retour au calme dans un esprit néoclassique « à la grecque ». La ligne vire au flou, toutes voiles dehors, glissant de l'épaule à la cheville, effleurés avec sensualité. La silhouette mouvante semble prête à s'envoler au moindre souffle d'air. Le corps est à l'honneur mais se découvre sans se dénuder. Les seins sont l'objet de tous les regards et la mode s'exhibe effrontément sur toutes les longueurs. Mais le centre du monde est toujours le nombril. On dénude la taille qui oscille avec un effet montant et descendant : on la sangle, on la ficelle. Les pantalons s'arrêtent aux hanches, les corsages se font soutien-gorge et s'harmonisent avec les vestes des tailleurs (parfois en tweed) ; les corsets enlacent au pus près.

Oser

Rien n'est plus salutaire que l'alliance des contraires. Dans le vif de la mode, le long côtoie le court, le trop petit s'associe au trop grand, l'étriqué se marie au trop large. À tendre un pont entre des pôles opposés, la mode reflète ses extrêmes et dévoile « la nostalgie d'un certain formalisme et la déréglementation des convenances ». La mode ose, ne se laisse pas couleur dans le moule de la monotonie. L'audace, l'imagination de certains réservent à chaque collection une surprise, et l'on se dit qu'ils ont juste un peu d'avance pour déranger ou être admirés, car ils font de la mode un divertissement. Joyeusement inspirés, ils sont devenus les personnages phares de la décennie, et leurs idées, expression d'une grande liberté individuelle d'action et de pensée, sont vite récupérées. Pour eux, point de création sans un flash-back vers les siècles passés en en embrassant plusieurs du regard. Comme l'année dernière, une dizaine de top-models font sans cesse la une des magazines féminins, mais, derrière cette « vitrine » scintillante se cache quelques interrogations sur la profession les collections perdent en importance (60 modèles environ), les clientes se raréfient et les ateliers aussi.

Le paradoxe des matières

Modernité rime avec matière, des matières qui bouleversent les conventions par le besoin impérieux qu'ont les créateurs de confronter les tissus les plus luxueux aux étoffes les plus brutes : lin épais et soie jacquard, laine vierge et soie, ou encore, laine et crêpe Georgette. Toiles à beurre et voiles de lin, gros cotons lavés et usés, lins bruts s'unissent aussi à des mousselines, des gazes irisées et des soies brillantes, chez Chanel, la mousseline triomphe dans les collections d'été et chasse les bijoux et les breloques. Cette mousseline a la vedette avec le crêpe coupé en biais. Un nouveau tissu en mono-filament pressé capte la lumière pour mieux scintiller. Dans cette mantière modelée en vagues rigides sont sculptées des robes ondulées. L'usé est un autre thème phare. La soie est rapiécée, la mousseline se déchire en lambeaux. Le vinyle se troue, le jean est fatigué. On a même vu des robes de mariées en papier blanc, genre nappe de bistrot. Cassant des tenues trop sages, des accessoires provoquant annoncent une autre opposition. La création s'illustre plus que jamais dans le paradoxe. L'épingle à nourrice s'accroche en boucle d'oreille, ferme une robe ou un pantalon. On voit de gros godillots avec des jupes mousseline et des bijoux « piercing ». Anneaux d'acier dans le nez et le bout des seins, coiffures tribales, bodies imprimés façon tatouages ou à paysages n'ont pas peur de se montrer en plein jour.

Mouvements de mode

Après Édouard Balladur, Alain-Dominique Perrin, Giovanni Agnelli et les autres, Karl Lagerfeld a été reçu à la Sorbonne, dans le grand amphithéâtre de la plus illustre des facultés. Devant une assemblée passionnée, Lagerfeld qui était accompagné de la célèbre Claudia Schiffer, le top des top models, a été soumis au feu des questions du journaliste Guillaume Durand. L'étonnant couturier a surpris son public (1 500 personnes parmi lesquelles 500 étudiants) par ses réponses pleines d'à-propos. Le thème de la conférence était : « Karl Lagerfeld, faiseur d'images ». La sienne et celle des autres. Claudia Schiffer, c'est lui qui l'a modelée. Celui qui a « relooké » Chanel est aussi photographe, dessinateur et illustrateur.

Changements et alliance

Michel Klein entre en haute couture chez Guy Laroche, Jean-Charles de Castelbajac travaille à quatre mains avec André Courrèges. Un nouveau styliste, Bernard Perris, arrive chez Jean-Louis Scherrer : il a été choisi pour assurer la direction artistique des collections haute couture et couture boutique.

Laure Beurdeley