Ce document comporte une méditation sur le « grand mystère » de la création de l'homme et de la femme, de leur vocation commune à l'amour conjugal, à la paternité et à la maternité. Il exprime aussi la certitude que la famille se trouve « attaquée dans ses fondements » par la « permissivité » où « la femme devient objet pour l'homme » et beaucoup d'enfants des « orphelins de leurs parents vivants ».
Ces propos dépassent le questionnement de la modernité et amènent une situation d'affrontement. Ainsi, présentant des résultats qui montrent que la stabilité sexuelle diminue les risques d'éclampsie et d'hypertension pendant la grossesse, un savant s'est cru obligé d'affirmer que cette découverte « ne conforte nullement les discours religieux plus ou moins extrémistes » (le Monde, 12 octobre 1994). On voit poindre ici le retour d'un conflit, qui s'était apaisé, entre « science » et « religion », avec tous les risques d'idéologisation, de part et d'autre, que comporte le mélange des genres.
Les remous autour de la conférence du Caire
La distinction n'est, bien sûr, pas facile. Utiliser la science et la technique pour une action concertée suppose toujours des choix. À ce niveau, un conflit de grande ampleur a marqué la préparation de la Conférence mondiale sur la population et le développement (Le Caire, septembre). Jean-Paul II a dénoncé, dès le printemps, les modèles de politique démographique inspirés par l'ONU, qui aboutiraient, selon lui, à la « reconnaissance généralisée, à l'échelle mondiale, d'un droit à l'avortement sans restriction, qui va bien au-delà de ce que consentent déjà certaines législations nationales ». Cette polémique a été ensuite reprise par quelques États musulmans – Soudan, Arabie Saoudite, Iran... – et par des organisations islamistes. Certains sont allés jusqu'au refus de participer aux travaux de la Conférence. En réaction, des intellectuels, comme l'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, ont pourfendu une « alliance catholico-islamiste ».
Ce climat risque de minimiser des positions plus nuancées comme la déclaration de l'Académie pontificale des sciences, laquelle a estimé nécessaire un « contrôle global des naissances » pour éviter la croissance démesurée des centres urbains et « les conséquences écologiques d'une explosion démographique », ou celle de la Commission française « Justice et Paix ». En d'autres temps aussi, l'islam dans son ensemble n'allait pas dans le même sens puisqu'un sommet de théologiens, de médecins et de démographes musulmans, réuni à Rabat en 1971, estimait compatibles « la loi islamique » et l'espacement des grossesses par « tous les moyens reconnus par la loi ». L'avortement était toléré jusqu'au quatrième mois. Cette pratique est d'ailleurs toujours observée dans nombre de pays musulmans.
Les musulmans entre conflits et intégration
Poursuivie par la justice du Bangladesh en vertu d'un code pénal hérité de la colonisation, accusée d'avoir tenu des propos provocateurs contre le Coran, menacée de mort par des intégristes islamistes, Taslima Nasreen a été libérée sous caution et s'est installée, en août, en Suède. Là, le président du « Conseil de l'islam » a calmé le jeu en affirmant que la punition du blasphème appartenait à Dieu seul. Mais, en octobre, le report de la venue de l'écrivain en France, à la suite d'une décision du gouvernement de limiter à une journée son séjour, a relancé l'affaire.
Les événements algériens avaient pourtant été invoqués pour justifier une politique « musclée » envers des personnes soupçonnées de sympathie « islamiste ». Les aspects politiques de l'assignation à résidence de 26 d'entre eux ne sont pas traités dans ces lignes. Ce qui importe ici, c'est l'aggravation d'une fracture entre l'opinion publique et les musulmans vivant en France. Un sondage IFOP (le Monde, « la Marche du siècle », RTL, septembre 1994) montre une image contrastée. Pour l'ensemble des Français, le « fanatisme », la « soumission » et le « rejet des valeurs occidentales » caractérisent l'islam. Pour la population musulmane, au contraire, les trois mots-clés de leur religion sont « justice », « liberté » et « démocratie ».