Religion : au cœur des débats de société
Pendant l'été 1994, une étudiante en doctorat effectue un séjour aux États-Unis. Ses recherches l'amènent à fréquenter la Divinity School de l'université Yale (Connecticut). Elle découvre un lieu où des confessions très diverses coexistent pacifiquement. Tout au long de la journée, l'unique chapelle sert à différentes célébrations, mêlant les styles et les rites ; exemple réussi de « tolérance appliquée ».
Personne n'en parle : comme les couples heureux, la pratique religieuse paisible n'a pas d'histoire. Il faut cependant noter l'existence de milliers d'endroits semblables où le vécu religieux s'effectue de façon sereine pour ne pas confondre les événements religieux et la vie religieuse elle-même. Les premiers semblent indiquer, de façon dominante, un processus de radicalisation, la seconde montre, grâce notamment aux sondages, que la sécularisation s'accentue en France et en Occident.
Pourtant, cela n'est pas niable, le religieux se trouve aujourd'hui au cœur de débats et de conflits de société. Les prises de position et les actions de personnalités et de groupements antimodernistes contribuent au développement des antagonismes. Inversement, des passions et des contestations qui s'exprimaient auparavant sur le mode du politique se sont portées dans le champ religieux. Comment discerner alors causes et conséquences dans un temps où la fin des deux blocs, loin de résoudre les problèmes et les tensions, leur a donné une nouvelle dimension ?
Le débat au sein du christianisme : ordination des femmes, familles
En nommant 30 nouveaux cardinaux, fin octobre, Jean-Paul II a voulu accentuer l'internationalisation du Sacré Collège, dont les nouveaux membres proviennent de 24 pays différents. La promotion des archevêques de Sarajevo, Prague, Minsk, Hanoi, La Havane et du patriarche des maronites a été particulièrement remarquée. Notons la présence de deux Français : Mgr Pierre Eyt, archevêque de Bordeaux, et le théologien Yves Congar, un des pères de Vatican II. Malgré ce souci d'ouverture et de mondialisation, Jean-Paul II se heurte toujours à de profondes divergences qui entravent le rapprochement des Églises chrétiennes. Les oppositions traversent d'ailleurs le champ religieux lui-même. Des changements en cours amènent toujours résistances et raidissements. Cette année, l'Église d'Angleterre a admis au sacerdoce plus de 1 300 femmes, augmentant ainsi son clergé de 12 %. Environ 200 prêtres opposés à ces ordinations ont démissionné de leur poste. Ce n'est pas le « schisme » attendu par certains. Cependant, un mouvement d'une telle ampleur contribue à la transformation des rapports entre clercs et laïcs. Les femmes qui viennent d'être ordonnées ont l'habitude de travailler en « réseaux » et 40 % d'entre elles, contre 10 % de leurs collègues masculins, exercent une autre activité professionnelle.
Rejoignant la pratique d'autres Églises issues de la Réforme, l'Église d'Angleterre s'éloigne donc de la conception romaine de la nature du sacerdoce. Au sein même du catholicisme, des voix prônent une évolution analogue : ainsi, les deux tiers des catholiques américains souhaitent l'accès des femmes à la prêtrise. Dans plusieurs pays, le rôle croissant des femmes dans la société et la raréfaction du clergé amènent des femmes à présider des ADAP (Assemblées dominicales en l'absence de prêtres). Dans ce contexte, le pape Jean-Paul II a affirmé que, malgré l'égale « dignité » des hommes et des femmes, « l'Église (catholique) n'a, en aucune manière, le pouvoir de conférer l'ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l'Église. »
Selon certains catholiques, tel Mgr Vogel, évêque de Bâle, le débat n'est pas clos pour autant. Une distorsion risque pourtant de s'accentuer, dans un avenir prévisible, entre des situations de fait, où des femmes feront partie de l'Église enseignante, et les refus officiels. C'est déjà ce que l'on constate, par exemple pour la contraception. Un pays comme l'Italie, où l'appartenance catholique est prédominante, possède un des taux de fécondité les plus bas d'Europe. Pourtant, le pape vient de réitérer l'opposition du magistère aux moyens « non naturels » de contraception – pilule, préservatif – dans sa « Lettre aux familles ».