Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Le deuxième chantier, pris en charge par le très actif vice-président Al Gore, concernait l'amélioration de l'action administrative et les économies dans le fonctionnement de l'État. Il fallait à la fois convaincre les électeurs plutôt poujadistes et anti-étatistes de Ross Perot, et appliquer le slogan d'une certaine gauche moderniste, « moins d'État, mais mieux d'État ». Le programme Gore est ambitieux : il prévoit la suppression de plus de 250 000 emplois fédéraux en cinq ans, ce qui devrait permettre des économies supérieures à 100 milliards de dollars.

Le troisième chantier, sans doute le plus important, est au cœur même du mandat Clinton qui, dès son arrivée aux affaires, a nommé sa propre épouse Hillary (surnommée bientôt « Billary » pour son ascendant supposé sur son mari) à la direction du groupe d'experts chargés du dossier concernant la réforme du système de santé américain, un gigantesque défi : ce système est en effet à la fois le plus cher du monde et l'un des moins efficaces, puisque plus de 37 millions d'Américains – surtout dans les classes moyennes, trop riches pour bénéficier des aides sociales, trop pauvres pour assumer les coûts d'une médecine hors de prix – sont privés de toute couverture médicale (plus de 22 millions ne disposant que d'une couverture très réduite). En septembre, le président présentait le projet : tous les Américains seraient obligatoirement couverts par une assurance médicale ; les employeurs paieraient 80 % des primes de leurs salariés et de leurs familles ; les assurés seraient regroupés dans des centrales d'achats, nommées « alliances de santé », qui négocieraient en position de force avec les compagnies d'assurance et le corps médical. Ce projet, qui rencontre tout de suite l'opposition des républicains et des grands lobbies médicaux, constitue une sorte de révolution dans la patrie du libéralisme économique et social, en apportant une approche plus européenne, plus « sociale-chrétienne-démocrate » du problème de la santé. Il est tout de même tempéré par un souci de compétitivité, appelé « concurrence dirigée » (managed competition), marqué par le système de négociation permanente prévu entre « alliances de santé » et prestataires.

Handicaps

20 % des enfants américains vivent sous le seuil de pauvreté (revenu familial inférieur de 40 % au revenu moyen). Par ailleurs, une étude démontre que la formation de base de 90 millions d'Américains est nettement insuffisante ; c'est-à-dire qu'ils sont incapables de remplir un formulaire de sécurité sociale, de comprendre une réduction de prix affichée ou un horaire de transport. Si le niveau général de formation des Américains monte, le nombre des laissés-pour-compte augmente encore plus vite.

Dépenses de santé

Entre 1965 et 1991, elles sont passées de 700 dollars par habitant à plus de 2 500 (contre 1 900 en France), soit de 6 % à 14 % du PIB américain. Les États-Unis n'occupent pourtant que le 16e rang mondial pour l'espérance de vie et le 23e pour la mortalité infantile ; avec des niveaux de dépenses médicales comparables, les pays européens obtiennent généralement des résultats nettement meilleurs.

Le gourou d'Hillary

Michael Lerner, psychosociologue californien, théoricien de la « politique du sens », écrit dans sa revue que l'objectif est de « construire une société basée sur l'amour et la relation, une société pour laquelle l'essentiel n'est pas le profit et le pouvoir, mais l'éthique et la spiritualité et un sens de la communauté, du souci de l'autre et de la responsabilité ». Il a été reçu plusieurs fois à la Maison-Blanche. Mme Clinton déclarait alors dans un discours : « La démocratie politique et la liberté ne suffisent pas ; il manque un sens dans nos vies individuelles et collectives. (...) Nous avons besoin d'une nouvelle politique du sens. »

Politique étrangère

La première année de présidence Clinton peut être résumée en deux formules : « America first » et affirmation du leadership.

Le président s'est fait élire sur la politique intérieure ; il pense d'abord aux intérêts américains. Les conséquences de ce recentrage ont été rudes, surtout pour les concurrents européens qui ont été attaqués sur tous les fronts économiques : aérospatiale, aéronautique, acier, textile, agriculture. Intransigeance dans les négociations, menaces de supertaxations, ultimatum sur le GATT, la nouvelle administration n'a reculé devant aucune intimidation pour protéger les emplois aux États-Unis. Les Français ont été particulièrement visés par l'inflexibilité du responsable américain du commerce extérieur, Mickey Kantor.