Du point de vue de la « grande » politique internationale, le bilan « dégage une impression plutôt médiocre, sans être catastrophique », selon la formule de Thierry de Montbrial. Si Bill Clinton a su très bien récupérer, lors de la signature à Washington des accords israélo-palestiniens, les lauriers d'un processus engagé en dehors de lui, il tarde à tracer les lignes de force de la politique extérieure de son pays. Cette politique se limite-t-elle à ce qu'on a tôt fait d'appeler la « doctrine Tarnoff », du nom du numéro trois du Département d'État, et qui peut se résumer ainsi : les États-Unis n'ont plus les moyens de leur leadership ; les Européens et les Japonais doivent s'impliquer davantage dans la défense commune. Le président n'est pas allé beaucoup plus loin ; il s'est contenté en général de rappeler, notamment à l'ONU, que l'Amérique n'accepterait jamais de renoncer à sa liberté d'intervention unilatérale, qu'elle souhaitait cependant partager le fardeau, avec les Européens notamment, que certaines régions étaient prioritaires pour les intérêts américains, d'autres non (tant pis pour la Bosnie) et que, s'il fallait se méfier du « poison » de l'isolationnisme, l'Amérique n'entendait pas pour autant prendre en charge toutes les actions internationales (tant pis pour la Somalie et pour Haïti). Rien d'autre qu'un solide pragmatisme qui, par exemple, se manifeste par la renonciation, en Somalie, à l'usage de la force, parce qu'elle est inopérante, pour passer à la négociation. Une définition encore un peu courte du leadership mondial.
L'« ennemi » européen
Au lendemain de l'annonce par Boeing de 28 000 licenciements, Bill Clinton déclarait aux salariés de cette entreprise : « Ces dernières années, nous sommes restés sans rien faire, alors que l'Europe investissait 26 milliards de dollars pour construire l'Airbus et chasser les Américains de leur emploi. » Il oubliait de préciser que les difficultés des constructeurs américains étaient notamment dues aux annulations de commandes des compagnies américaines déstabilisées par la politique de dérégulation initiée par Jimmy Carter et amplifiée par Ronald Reagan, et qui a entraîné les transporteurs dans une suicidaire guerre des tarifs.
Chrono. : 13/01, 11/02, 17/02, 26/02, 4/03, 18/03, 3/04, 19/04, 25/04, 12/08, 26/08, 22/09, 27/09.
Alfredo G.A. Valladão, Le xxie siècle sera américain, la Découverte, 1993.
Jules Chancel
Le Canada
Après la démission du Premier ministre Brian Mulroney, Kim Campbell arrive en juin à la tête du gouvernement, auréolée d'une très forte popularité. Mais elle ne parviendra pas à enrayer la chute du parti conservateur : usés par neuf années au pouvoir, les conservateurs n'arrivent à faire face ni au problème lancinant du déficit fédéral (35,5 milliards de dollars pour l'exercice 1992-1993) et du chômage (11,3 % de la population active en octobre), ni à la question récurrente et toujours sans solution de la constitution de la fédération, ni enfin aux angoisses de l'opinion publique devant le projet d'accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique (ALENA).
Aussi le laminage des conservateurs aux élections générales du 25 octobre n'est-il pas une surprise : ceux-ci ne détiennent plus que deux sièges à la Chambre des communes (contre 154 précédemment), et Kim Campbell est même éliminée de sa propre circonscription de Vancouver. Le parti libéral de Jean Chrétien, qui remporte, quant à lui, une victoire écrasante avec 178 des 295 sièges, obtient une large majorité (plus de 60 % des sièges), ce qui lui évitera de sombrer dans les affres de l'instabilité politique. Son programme, jugé parfois démagogique, était centré sur des thèmes traditionnels (défense du système de protection sociale et d'assurance maladie, rôle accru du gouvernement fédéral dans la relance de l'économie) et sur l'hostilité envers l'ALENA. Le nouveau Premier ministre devra cependant affronter l'émergence de deux partis régionalistes qui ont bénéficié d'un vote de protestation et de frustration : le Bloc québécois de Lucien Bouchard, qui a remporté 54 sièges, se retrouve donc dans le rôle de l'opposition officielle à Ottawa ; favorable à la « souveraineté » du Québec, il bénéficie des qualités oratoires de son leader et de l'efficacité de sa machine électorale. Le Reform Party, quant à lui, est dirigé par Preston Manning et obtient 52 sièges. Très populaire dans l'ouest du pays, il reprend des thèmes ultra-conservateurs classiques (baisse des dépenses publiques et sociales, contrôle de l'immigration, développement de la démocratie locale) et défend ardemment l'unité indéfectible du Canada (quitte à se faire traiter d'« anti-québécois » – voire de « francophobe »).
C'est donc finalement vers la fin de son bipartisme traditionnel et vers la fragmentation de son paysage politique que s'achemine le Canada.
V. G.