États-Unis : les premiers pas de Bill Clinton
Au-delà des hésitations inévitables d'un nouveau et jeune président, la vie politique américaine a été marquée par ce que d'aucuns considèrent comme une double redéfinition : réorientation du système politique et social des États-Unis vers une sorte d'encadrement social-démocrate « soft » ; début de réflexion sur le nouveau rôle de l'Amérique dans le monde.
Grand dessein
« Aujourd'hui, nous célébrons le mystère de la renaissance de l'Amérique. (...) Une génération élevée dans l'ombre de la guerre froide assume aujourd'hui de nouvelles responsabilités dans un monde réchauffé par le soleil de la liberté mais menacé par des haines anciennes et des fléaux nouveaux. (...) À l'évidence, l'Amérique doit continuer à diriger le monde dont la construction nous doit tant. (...) Pour faire renaître l'Amérique, nous devons relever des défis aussi bien a l'étranger que chez nous. Il n'y a plus de différence nette entre ce qui relève de l'étranger et ce qui est national. » Extraits du discours d'investiture de Bill Clinton.
Des débuts hésitants
Bill Clinton n'occupait pas encore son bureau de la Maison-Blanche que, déjà, il semblait en retrait par rapport à ses promesses de la campagne électorale. Les réductions d'impôts ou l'accueil annoncé aux boat people haïtiens fuyant la dictature étaient oubliés. La Realpolitik d'abord. Ceux qui rêvaient d'un nouveau Kennedy commencèrent à déchanter. La traditionnelle cérémonie d'intronisation du 20 janvier fut à l'image du nouveau couple présidentiel : un mélange de simplicité démocratique (les Clinton arrivèrent en autobus) et de sophistication hollywoodienne (on chanta avec Michael Jackson, Aretha Franklin ou Bob Dylan) ; mais, bien vite, les faux pas succédèrent aux maladresses. Il fallut s'y reprendre à trois fois pour trouver enfin un ministre de la Justice ; le président s'embourbait dans le débat, secondaire mais très symbolique, sur la possibilité ouverte aux homosexuels d'entrer dans l'armée ; le service de communication de la Maison-Blanche multipliait les fausses notes. Rien de bien grave, mais déjà on évoquait à Washington, et ailleurs, le dégonflement de la baudruche Clinton. On remettait en cause son sens trop aigu du compromis, qui l'empêchait de trancher pour de bon, et on lui rappelait à l'envi que les États-Unis ne se géraient pas comme l'Arkansas. Dès le mois de mai, la cote de popularité du chef de l'exécutif tombait à 44 %.
Pourtant, en février, le président présentait un premier programme économique fondé sur la rigueur, les économies budgétaires (réduction du déficit budgétaire de 500 milliards de dollars en cinq ans) et les hausses fiscales, saupoudré d'un peu de dépenses sociales, de recherches et d'aides au PME. Le courant passait ; l'opinion approuvait. Le projet de budget pour 1994 ne tranchait pas beaucoup sur la gestion passée – une si lourde machine se change doucement –, mais on sentait ça et là quelques touches « clintonniennes », d'inspiration légèrement sociale-démocrate : les quelques économies réalisées sur les programmes d'armement devaient servir à la lutte contre le chômage, à l'amélioration (encore timide) du catastrophique système d'enseignement, à l'aide aux plus défavorisés et aux fonds fédéraux pour l'avortement (que le président avait libéralisé dès son entrée en fonctions).
La fin de la guerre des étoiles
Le 13 mai, Les Aspin, secrétaire à la Défense, annonce l'abandon du programme de « bouclier spatial » antimissile. Lancé en 1983 par Ronald Reagan, ce programme aura coûté 32 milliards de dollars. Les contraintes financières comme la chute de l'URSS militaient pour le remplacement de ce programme par le déploiement d'un réseau de missiles capables d'intercepter toute espèce d'engins offensifs. Créé à partir d'armes existantes, accouplées à des satellites de détection, ce réseau devrait notamment prémunir les forces américaines contre les attaques de missiles simples mais redoutables, tels les Scuds irakiens pendant le conflit du Golfe.
L'affirmation du grand dessein
À l'approche de l'été, Bill Clinton engageait un nouveau directeur de la communication, un vieux routier, ancien de l'équipe Reagan. L'heure n'était plus aux copains ; il fallait passer à la vitesse supérieure et traiter les trois chantiers majeurs. Tout en faisant laborieusement adopter son projet de budget par le Congrès, et après avoir rassuré l'opinion sur sa détermination en ordonnant, fin juin, un raid punitif sur Bagdad, le président s'attaquait à la ratification de l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Craignant les délocalisations d'emplois américains au Mexique et le développement à la frontière des industries polluantes, le candidat Clinton, proche des syndicats et des écologistes, n'était guère favorable à la création de ce vaste ensemble économique. Cela n'empêcha pas le président élu de reprendre en ce domaine la politique de son prédécesseur, mais en exigeant, et en obtenant, une renégociation des chapitres sociaux et environnementaux de l'accord, afin de pouvoir mieux le « vendre » au Congrès et à l'opinion. Il obtient l'accord de celui-ci en novembre, ce qui constitue pour lui un grand succès.