Aéronautique : un optimisme raisonné
Un salon en demi-teintes
Du 10 au 20 juin, sur l'aéroport de Paris - Le Bourget, le 40e Salon international de l'aéronautique et de l'espace s'est déroulé dans une ambiance en demi-teintes. La morosité, due à la persistance de la crise économique mondiale, le disputait à l'optimisme raisonné de certains industriels. À première vue, les perspectives étaient plutôt sombres. Les grands constructeurs mondiaux, ainsi que les avionneurs, motoristes et équipementiers ne faisaient pas mystère des bilans négatifs prévus par la plupart pour l'exercice en cours. La diminution des crédits militaires dans de nombreux pays a donné un sérieux coup de frein aux carnets de commandes, et, par contrecoup, aux budgets de recherche et développement des firmes ; les difficultés auxquelles continuent de se heurter la majorité des compagnies aériennes européennes et américaines (hausse des coûts d'exploitation et guerre suicidaire des tarifs) leur ont fait revoir à la baisse leurs plans d'investissement et annuler ou reporter commandes fermes et livraisons d'avions de ligne. Ce qui ne manque pas de perturber les plans de charge des avionneurs, contraints de procéder à nombre de licenciements, même dans leurs bureaux d'études. Malgré une reprise certaine du trafic aérien, tant en ce qui concerne le taux d'occupation des sièges que le volume du fret, la hausse du chiffre d'affaires n'a pas compensé celle des charges, en particulier la masse salariale et le carburant. L'indispensable clientèle d'affaires à « haute contribution » a persisté à limiter ses dépenses, en réduisant ses déplacements et en remplaçant la première par la classe affaires, voire par la classe économique. Tout cela – à quoi s'ajoutent les inévitables conflits sociaux liés aux licenciements massifs – pèse sur les résultats : les compagnies IATA ont perdu 3 milliards de dollars en 1992. Leur situation ne devra pas être plus favorable au bilan 1993. Air France a dû reconnaître l'an passé des pertes supérieures à 3 milliards de francs, et la sortie du tunnel est loin d'être en vue : le déficit pour 1993 dépasse les 5 milliards de francs, ce qui oblige la compagnie à présenter un plan de 4 000 suppressions d'emplois, entraînant en octobre, un fort mouvement de grève ; American Airlines envisage également une sévère cure d'austérité, avec une diminution de 5 % de ses effectifs.
La concurrence est de plus en plus dure, notamment avec les Russes qui n'hésitent pas à pratiquer des prix de dumping en proposant un Sukhoï-27 pour 30 millions de dollars (contre 45 millions de dollars pour le F-18 américain), ou un Mig-29 pour 24 millions de dollars (contre 40 millions pour un F-16 américain, ou 30 millions pour un Mirage-2000 français).
Le triomphe d'Airbus
Mais il y a pourtant des raisons d'espérer : dans la décennie à venir, des milliers d'avions ne répondant plus aux normes de bruit et de pollution seront progressivement retirés du service et remplacés par des appareils modernes. Plusieurs milliers d'autres s'y ajouteront pour répondre à l'augmentation prévue du trafic aérien mondial. Ces données incitent les principaux avionneurs – Boeing et les partenaires d'Airbus Industrie en particulier – à considérer l'avenir avec un optimisme raisonnable. Au début de l'année, les premiers A-340 d'Air France et de Lufthansa prenaient l'air. L'arrivée de ce quadriréacteur capable de transporter 232 passagers sur 12 600 kilomètres ne manquait pas d'inquiéter les concurrents d'outre-Atlantique, fort dépités d'avoir vu la compagnie Singapore Airlines renoncer à sa commande de triréacteurs McDonnell-Douglas au profit du nouvel avion européen. Un épisode de plus dans l'affrontement Europe-États-Unis, durci cette année par la détermination de la nouvelle administration Clinton à protéger les intérêts américains, notamment dans le cadre des négociations du GATT.
Le Salon du Bourget a été cette année dominé par les nouveautés françaises et européennes, même si on remarquait une importante participation des États de la CEI, qui ont exposé de nombreux appareils militaires et civils, dont certains équipés de réacteurs occidentaux plus performants que les anciens modèles soviétiques. Ainsi, le jour de l'inauguration, le président de la République s'est vu présenter les trois derniers membres de la famille Airbus : l'A-340, quadriréacteur très long-courrier, l'A-330, biréacteur long moyen-courrier gros-porteur, entré fin 1993 dans la flotte d'Air Inter, et l'A-321, version allongée de l'A-320, assemblé à Hambourg, avec la participation d'Alenia (Italie), qui entrera en ligne en 1994 chez Lufthansa, puis chez Alitalia. Le GIE européen (Aerospatiale, France ; Dasa, Allemagne ; British Aerospace, Grande-Bretagne ; Casa, Espagne) a également présenté au salon l'A-319, version raccourcie de l'A-320, qui devrait entrer en service en 1996, date à laquelle le groupe prévoit un réel retour à la croissance. (Ce qu'escompte également Boeing qui prévoit le lancement prochain du B-737 X, nouvelle gamme de son biréacteur vedette.)