L'année dans le monde
Écrasement de l'Irak, désintégration de l'Union soviétique : les deux événements majeurs de 1991 ne constituent en un sens que le dénouement – provisoire – des deux grandes crises de 1990, celle de l'Est et celle du Golfe. Mais leur addition a eu un résultat sans précédent : il n'y a plus qu'une superpuissance et il n'est d'autre paix concevable, pour le moment, que sous sa direction.
Une vieille tradition pousse les Américains à se considérer, selon un mot de George Washington, comme « les législateurs de toutes les nationalités ». Loin pourtant de se rengorger, les voilà, une fois passé le moment d'exaltation patriotique engendré par la défaite de Saddam Hussein, en pleine morosité. C'est que la fin de la crise du Golfe n'a entraîné aucune reprise de l'économie. Au moment où l'on tenait pour assuré le triomphe du libéralisme et du marché, la pompe de la prospérité s'est désamorcée. L'endettement des États-Unis est à son comble, et il en va de même du déficit budgétaire. Les équipements sont à l'abandon. Le chômage engendre, comme partout, l'insécurité, la corruption, le racisme. La peur de perdre son emploi ou de contracter le sida a remplacé celle de la guerre. L'aggravation de la répression est impuissante à empêcher les diverses mafias, et notamment celle de la drogue, d'étendre rapidement leur empire.
Des coups d'épée dans l'eau
Au pinacle de sa popularité au lendemain de la victoire de la coalition anti-irakienne, le président Bush se voit reprocher de tous côtés de négliger les problèmes intérieurs et ce n'est pas la campagne pour l'élection présidentielle de 1992 qui a beaucoup de chances de désarmer les critiques. Aussi bien ne met-il plus la même conviction à défendre ce « nouvel ordre mondial » dont, après Wilson et Roosevelt, il s'était fait le champion, allant jusqu'à assurer qu'à la différence de ce qui s'était passé en 1918 et en 1945 l'espoir de bâtir la paix sur les ruines laissées par la guerre ne serait pas cette fois déçu.
Après avoir mentionné quarante-deux fois le « nouvel ordre » en question, il a soudain cessé d'en parler pour n'y revenir que brièvement, dans son discours de septembre à l'Assemblée des Nations unies. Encore en a-t-il fortement réduit la portée : à côté de vœux pieux sur les droits de l'homme et le règlement pacifique des conflits, il a cru nécessaire de préciser qu'il ne serait pas « touché à un iota » de la souveraineté des États.
Le propos est pour le moins surprenant dans la bouche d'un homme qui n'avait pas hésité à faire enlever manu militari le dictateur panaméen Noriega. Qui, cédant à l'indignation de l'opinion internationale devant le calvaire des Kurdes, a envoyé des soldats en Irak pour y mettre fin. Qui a accepté, à la demande pressante de la France et de la Grande-Bretagne, de reconnaître un droit d'ingérence dans les affaires d'États trop indifférents aux droits de l'homme.
Des contradictions internes
Au début de l'été encore, George Bush n'a pas hésité à se rendre à Kiev pour dire aux députés ukrainiens qu'une proclamation d'indépendance serait de leur part « suicidaire », et à envoyer son secrétaire d'État à Belgrade pour y défendre le maintien de l'unité yougoslave. Dans les deux cas, ces ingérences manifestes se sont résumées à un coup d'épée dans l'eau.
En mettant hors-la-loi le parti qui faisait tenir ensemble les cent-vingt-huit nationalités dont l'URSS reconnaissait officiellement l'existence, l'échec du putsch de Moscou a donné un coup d'accélérateur décisif à l'éclatement de l'empire. Les États baltes ont enfin obtenu la reconnaissance internationale qu'ils réclamaient en vain. Les douze autres républiques soviétiques ont tour à tour proclamé leur indépendance, y compris l'Ukraine. À peine celle-ci s'y était-elle décidée, au lendemain d'un référendum au résultat sans équivoque, qu'on apprenait la constitution entre elle, la Russie, et la Biélorussie, d'une « Communauté d'États souverains » à laquelle allaient bientôt se rallier l'Arménie et les républiques musulmanes d'Asie centrale.