C'était à bien des égards l'objectif que s'était fixé Gorbatchev avec son « traité de l'Union », dont l'imminence de la signature n'avait pas peu contribué au déclenchement du putsch. À cette nuance près que, dans sa version à lui, l'Union aurait conservé un « centre », compétent notamment en matière de politique étrangère et de défense, et qu'il en aurait exercé la présidence. Pour porter aux yeux du peuple la responsabilité du naufrage économique du pays, et à ceux de l'armée celle de l'évacuation, dans des conditions éprouvantes, de l'Europe de l'Est, il n'avait guère de chances d'y parvenir. Sa démission n'était donc qu'une question de temps.
La nouvelle Communauté peut-elle cependant se passer d'un ultime recours, alors qu'à lui seul le contrôle des armes nucléaires pose tant d'épineux problèmes ? Alors que ses dimensions mêmes exposent la Russie à la tentation de perpétuer une hégémonie séculaire ? L'avenir se chargera de répondre à ces questions, étant entendu que la plus grave, dans l'immédiat, vise l'étendue de la désorganisation économique, la montée en flèche des prix, de l'inflation, de l'endettement, les queues devant les rayons vides, le développement de la criminalité et le poids de mafias où se retrouvent bien des aparatchiks d'hier.
L'éclatement de l'autre fédération communiste, la Yougoslavie, a entraîné des conséquences plus dramatiques encore. Aussi longtemps que durait la guerre froide, il était impensable, compte tenu de l'incidence qu'il aurait eu sur les relations entre les superpuissances. Mais la répétition de 1989 dans toute l'Europe de l'Est ne pouvait pas ne pas gagner le pays de Tito, durement affecté par la crise économique et trop prisonnier de son passé pour ne pas exposer au grand jour, une fois que l'occasion lui serait donnée, ses contradictions ethniques, religieuses, idéologiques. C'est par milliers que se comptent désormais les victimes de ce que l'on n'ose plus appeler une guerre civile.
De timides progrès
Les États-Unis ne sont pas seuls à s'y être cassé les dents. Ni la CSCE, ni la CEE, ni les Nations unies ne sont parvenues à séparer les combattants, et l'impuissance du sommet des Douze à Maastricht, en fin d'année, à arrêter une position commune face à ce drame n'a pas manqué de donner un caractère un peu dérisoire aux résolutions prises sur la nécessité d'une politique étrangère commune. Même si ce sommet, grâce notamment à l'accord réalisé sur l'adoption, en 1999 au plus tard, avec ou sans la Grande-Bretagne, d'une monnaie commune, a indiscutablement marqué un progrès de l'intégration européenne, la poursuite de celle-ci contraste par trop avec la désintégration à l'œuvre dans l'est du continent, comme en Afrique et dans plusieurs autres pays du tiers monde.
Au vu de ce tableau, on est porté à se dire que l'année qui aurait dû être celle du « nouvel ordre mondial » est d'abord celle du désordre et de la confusion. Il n'empêche que, grâce en grande partie au ralliement de l'URSS aux « valeurs communes de l'humanité », des conflits interminables ont trouvé en 1991 une conclusion ou au moins l'amorce d'une conclusion. Sihanouk est rentré au Cambodge à la tête d'un gouvernement de réconciliation nationale. Les deux Corées se sont officiellement raccommodées. Le « négus rouge » d'Éthiopie a pris la fuite. L'Afrique du Sud a abjuré l'apartheid et le Congrès national africain de Nelson Mandela a renoncé du coup à la lutte armée. La démocratie fait quelques timides progrès sur le continent noir. Il n'y a plus de dictateurs en Amérique du Sud, et celle du Centre se pacifie progressivement. Enfin et surtout, James Baker a réussi à engager le dialogue entre les Israéliens et les représentants à peine voilés de l'OLP.
De là à la paix, le chemin est encore long et l'on ne saurait oublier que cette même année 1991 est celle où la Syrie a vu consacrer sa mainmise sur le malheureux Liban. Il n'empêche que se sont mis à parler ensemble des hommes dont l'antagonisme avait longtemps paru insurmontable. C'est assez pour qu'on n'ait pas le droit de s'abandonner, malgré tous les nuages qui s'accumulent à l'horizon, à un excessif pessimisme.
André Fontaine