Il n'en fallait pas plus pour ressusciter l'opposition. Celle-ci témoigna alors de sa cohésion en déposant, le 9 avril, une motion de censure qui recueillit, le 11, 261 voix pour défendre l'indépendance de la justice. Et le bureau politique de l'Union pour la France (UPF) la confirma le 10 par la signature d'un accord par lequel le RPR et l'UDF s'engageaient à organiser des primaires pour l'élection présidentielle et à présenter des candidats communs aux élections régionales de 1992 et législatives de 1993.

Après mûre réflexion et au vu du résultat des élections partielles qui attestaient le discrédit croissant du PS, François Mitterrand se résolut, le 15 mai, à demander sa démission au chef du gouvernement pour confier ses responsabilités à Mme Édith Cresson.

En choisissant une femme comme Premier ministre, pour la première fois en France, le chef de l'État pouvait espérer créer le choc psychologique nécessaire pour donner « un nouvel élan » à sa politique et pour préparer la mise en place du « marché unique européen » le 1er janvier 1993.

Il n'en fut rien, malgré l'accueil favorable réservé, courtoisie aidant, au nouveau Premier ministre. Les raisons de cet échec sont multiples. Pour donner plus de cohérence à son équipe gouvernementale et pour faciliter le rapprochement entre le PS et le PCF en vue des échéances électorales de 1992 et de 1993, rapprochement que concrétisa l'entretien au sommet du 6 juin entre Pierre Mauroy et Georges Marchais, Édith Cresson, à quelques exceptions près (Jean-Pierre Soisson, Jean-Marie Rausch), n'avait pas renouvelé dans leurs fonctions les ministres de la France unie. C'était renouer avec la politique d'union de la gauche telle qu'elle avait été pratiquée au début du premier septennat de François Mitterrand. Mais c'était aussi signer l'arrêt de mort de la politique d'ouverture au centre, inaugurée à l'aube du second.

Le gouvernement pâtit également de l'inexpérience de son chef. Sa déclaration de politique générale fut mal accueillie par l'opinion et par la presse qui relevèrent avec complaisance ses maladresses de débutante. Le 21, on se gaussa de sa réponse au Journal du Dimanche qui lui aliéna les habitués du palais Brongniart : « La Bourse, je n'en ai rien à cirer » (sic). On se divertit fort du refrain qu'entonnèrent les membres du groupe « rap » d'Orly qu'elle avait invités le 27 juin à la « garden party » de l'Hôtel Matignon : « Un gouvernement qui investit dans les armements, c'est dégoûtant », affirmation qui n'eut pas l'heur de plaire aux représentants présents de l'armée !

Ce n'étaient là que détails comparés aux trois problèmes majeurs qu'Édith Cresson s'était donné pour mission de résoudre le 22 mai : « Muscler davantage notre appareil productif, renforcer notre cohésion sociale, lutter contre les inégalités et les exclusions, et d'abord contre le chômage ». En charge d'un superministère de l'Économie et des Finances, Pierre Bérégovoy ne put épargner à la France les contrecoups de la récession internationale ni améliorer la compétitivité des entreprises françaises à l'heure même où le déficit prévu de la Sécurité sociale (23 milliards pour 1991 ; 26,4 milliards pour 1992) nécessitait une augmentation « des prélèvements tant fiscaux que sociaux » contre lesquels l'opposition déposa une motion de censure qui ne recueillit, le 17 juin, que 265 des 289 voix nécessaires pour renverser le gouvernement.

La République en péril

Fleuron de l'industrie française, la firme Dassault ne pouvait vendre ses Mirages 2000-5 à la Suisse qui leur préférait, le 26, les F18 américains. Pour sauver Bull, il fallut accepter, le 9 juillet, l'entrée de la société informatique japonaise NEC dans son capital à hauteur de 4,9 % ; pour assurer un nouveau souffle à deux autres entreprises publiques, Usinor-Sacilor et Air France, le Crédit Lyonnais le 15 et la BNP le 17 durent apporter à la première 2,5 milliards de F et à la seconde 1 milliard de F d'argent frais ; enfin, le 18, le troisième groupe textile français VEV - Prouvost, n'évitait le dépôt de bilan que grâce à un plan de reprise mis au point par ses banques créancières. Moins chanceux, l'ultime groupe informatique français était mis en liquidation financière le 11 juillet et le groupe marseillais Sud-Marine subissait un sort analogue le 29 avant d'être repris le 13 août par le groupe Brisard, numéro un français de la machine-outil.