L'année politique en France

En 1991, le « choc », provoqué par la nomination d'Édith Cresson et les nouvelles orientations politiques n'ont pas paru suffisants aux Français pour leur faire oublier les « affaires » et leur redonner confiance en leur avenir immédiat.

Pour restaurer l'unité du Parti socialiste et pour rétablir son crédit dans l'opinion, Michel Rocard misait à la fin de 1990 sur un long terme limité à 1993 par l'échéance législative. La guerre du Golfe et la volonté du président de la République ne lui en laissèrent pas le loisir.

La participation militaire victorieuse de la France à la libération du Koweït avait été pourtant un moment de quasi-unanimité nationale. Assuré du soutien massif du Parlement dont les membres (523 députés et 290 sénateurs) avaient approuvé le 16 janvier l'engagement des forces françaises aux côtés de leurs alliés anglo-saxons et arabes, le chef de l'État avait vu sa cote de popularité s'envoler en février jusqu'à un sommet de 65 % qu'il ne devait plus jamais retrouver après la signature du cessez-le-feu du 28 février.

L'effet « Golfe »

Pour le pouvoir, ce triomphe se révélera rapidement riche en effets pervers. Sensibilisée par les aspects médiatiques de la guerre du Golfe, l'opinion publique laissa l'entreprise des trois « cavaliers » de la rénovation, Michel Noir, Jean-Michel Dubernard et Michèle Barzach, sombrer dans l'indifférence de l'abstention. À l'issue des législatives partielles des 27 janvier et 3 février, qui coûtaient son siège à Mme Barzach, l'opposition apparaissait ressoudée et, au sein de l'UPF, Jacques Chirac semblait être le mieux placé dans la course à l'Élysée, tandis qu'Édouard Balladur prenait à mi-parcours une option sur Matignon dans l'hypothèse où François Mitterrand serait contraint d'accepter la constitution d'un deuxième gouvernement de cohabitation en 1993.

Cette éventualité était renforcée par la conjonction, au sein du PS, d'une double opposition à la politique du chef de l'État : celle de la Nouvelle École socialiste animée par des élus de l'Essonne, Julien Dray, Marie-Noëlle Lienemann, Jean-Luc Mélenchon, hostiles par principe à tout engagement militaire de la France qui ne serait pas compris des jeunes « beurs » ; celle de Socialisme et République, courant issu de l'ancien CERES, qui refusait de subordonner « la politique arabe de la France » à la défense des intérêts américains. En opposant leurs voix au message présidentiel du 16 janvier, sept députés et trois sénateurs socialistes n'hésitaient pas à officialiser publiquement cette crise interne au PS, crise qui aboutit logiquement, le 29, à la démission du ministre de la Défense Jean-Pierre Chevènement, dont les options politiques se trouvaient ainsi curieusement alignées sur celles de son adversaire le plus déterminé, Jean-Marie Le Pen, en apparence indifférent, en la matière, aux réactions de son électorat, porté naturellement à adhérer au consensus dont la guerre du Golfe était l'objet.

Celui-ci dura d'autant moins que la rapidité de la victoire avait entretenu, à tort, chez les Français, l'illusion que leur pays était encore une grande puissance militaire et que la reprise économique était au coin de la rue. Contraint pendant les hostilités au « devoir de grisaille » par le président de la République qui occupait le devant de la scène politique en tant que « chef des années », Michel Rocard souhaitait reprendre l'initiative sur le terrain social afin de combattre la croissance du chômage : 0,4 % en janvier et 1,8 % en février.

Pour stimuler la production et assurer la reprise de l'embauche, il empruntait alors à Jean Poperen l'idée d'une indexation des salaires, non plus sur les prix - dont l'élévation officielle apparaissait d'ailleurs faible (+ 0,4 % en janvier et + 0,2 % en février) – mais sur la croissance économique. Conforté par des sondages qui révélaient que 74 % des Français souhaitaient son maintien à Matignon, le chef du gouvernement bénéficiait de deux atouts pour assurer la mise en œuvre de sa politique : l'octroi par le Koweït, le 25 février, d'une aide financière d'un milliard de dollars, aide qui écartait le spectre d'un « impôt spécial Golfe » ; l'effacement d'un syndicalisme de contestation au profit d'un syndicalisme de concertation au lendemain des élections du 12 février, qui faisait perdre à la CGT, pour la première fois depuis la Libération, la majorité absolue au sein du comité central d'entreprise de la Régie Renault !