Cette courte révolte des lycéens et des étudiants ne saurait être considérée comme un épiphénomène. Elle traduit une inquiétude réelle et grandissante (les sondages de l'année 86 le montraient nettement) devant ce qui leur apparaît comme un paradoxe inadmissible : une société moderne, démocratique, à la technologie avancée, qui érige la consommation en dogme et prône la réussite, ne peut plus reconnaître à ses plus jeunes membres le droit au travail, c'est-à-dire à l'intégration sociale. C'est la dignité de l'individu qui est bafouée si on ne lui permet plus de trouver sa place dans la collectivité.
L'insécurité sociale
Si les adultes se sont, dès le début, sentis solidaires des manifestations étudiantes, c'est parce qu'ils ressentaient eux aussi durement l'insécurité de l'époque, et qu'ils étaient inquiets pour l'avenir de leurs enfants. Il faut dire que l'année 1986, en particulier au cours des quatre derniers mois, aura été fertile en événements dramatiques. Les attentats terroristes de septembre avaient déclenché des réflexes de repli chez les Parisiens qui avaient déserté les restaurants, les salles de spectacle et les grands magasins. L'assassinat de Georges Besse, la tentative manquée contre Alain Peyrefitte, l'intimidation des jurés au cours du procès de Régis Schleicher avaient entretenu cette atmosphère de crainte et cette impression de vulnérabilité nationale. Les soubresauts de la cohabitation avaient aussi beaucoup agacé des citoyens qui avaient rêvé « d'autre chose », d'une sorte d'union nationale, d'un compromis historique entre les valeurs de la gauche et l'efficacité économique de la droite. Au lieu de cela, les protagonistes de la cohabitation leur donnaient le spectacle de joutes d'un autre temps.
En cette fin d'année 1986, le « socio-baromètre » restait à la tempête. Après les étudiants, les cheminots se mettaient en grève, paralysant progressivement la vie des entreprises comme celle des individus. Le conflit, qui se prolongeait jusqu'à mi-janvier 1987, ne devait profiter à personne ; l'économie et le climat social en sortaient également affectés.
L'incertitude quant aux valeurs sur lesquelles reposera la France de demain explique en partie le sentiment d'insécurité des Français. On craint toujours plus ce que l'on ignore que ce que l'on connaît. Il s'y ajoute la « peur technologique » ressentie par beaucoup, face aux développements possibles de l'ordinateur ou de la génétique. Les catastrophes qui se sont produites en 1986 (Tchernobyl, pollutions du Rhin par les industries chimiques, etc.) ont sans doute renforcé cette peur.
Mais il existe aussi d'autres formes d'insécurité, liées aux menaces pesant sur l'avenir du monde. Celle, par exemple, qui concerne le non-respect des droits de l'homme. Bien peu d'êtres humains ont la possibilité de s'exprimer librement, à l'intérieur d'une démocratie. La famine et la malnutrition, qui touchent environ le quart de la population mondiale, ne constituent pas seulement une atteinte à la justice la plus élémentaire, mais un risque d'explosion entre les pays riches et les autres.
Le spectre de la guerre est donc très présent dans les esprits, dans ses quatre dimensions contemporaines : guerre économique entre les nations industrialisées ; guerre terroriste de déstabilisation des états démocratiques ; guerre « sainte » conduite par les partisans de l'islamisme (voir l'« Intégrisme » musulman par Olivier Carré) ; guerre conventionnelle embrasant en permanence les « points chauds » de la planète. Sans oublier, bien sûr, le risque d'une guerre nucléaire déclenchée par les rêves hégémoniques de certains dirigeants.
La responsabilité des médias
L'un des enseignements majeurs de cette année 1986 fertile en événements est que le poids des médias sur la vie sociale se fait de plus en plus lourd, dans la plupart des domaines qui concernent la vie quotidienne des Français. Parmi eux, le terrorisme est sans doute le plus probant, qu'il s'agisse des attentats perpétrés en France ou des otages français détenus au Liban, objets d'un long et douloureux chantage, par gouvernements et télévision interposés.