Alors, dès maintenant, pour montrer qu'ils ne sauraient être surpris par l'imprévisible, ceux qui comptent –Mitterrand, Chirac, Barre, Giscard, Rocard – font déjà savoir qu'ils seront, d'une manière ou d'une autre, présents le moment venu. Les deux premiers sont évidemment les plus intéressés. D'autant que les Français, soucieux de couronner les animateurs de cette cohabitation qu'ils prisent tant, leur accordent les lauriers de la popularité. Toutes les enquêtes d'opinion montrent qu'ils apprécient ceux qui sont aux affaires.
Alors Jacques Chirac ne se cache guère pour affirmer qu'il sera candidat, conforté par les sondages de fin d'année qui le propulsent largement devant ses rivaux Raymond Barre et Valéry Giscard d'Estaing. François Mitterrand aussi semble montrer le bout de l'oreille, même si cette tentation-là prend des apparences de démenti. « Je ne suis pas candidat, je n'ai pas l'intention de l'être », dit-il en octobre dernier. Mais le chef de l'État assortit ses affirmations de tant de commentaires, de tant de nuances, de tant de sous-entendus, que chacun traduit que sa candidature est quasi certaine.
L'élection présidentielle
Lorsque 1986, l'année de la cohabitation, l'année du rééquilibrage, l'année de la nouvelle donne se termine, un jeu encore plus important que celui de mars s'annonce. Car mars était finalement une parenthèse dans la vie politique. Ce qui s'offre, en revanche, c'est l'élection présidentielle, c'est-à-dire la clé de voûte de l'édifice français. Un temps, le pouvoir a pu se trouver à Matignon, un temps, l'hôte du « Château » du Faubourg Saint-Honoré a pu avoir moins d'importance, mais aucun des prétendants ne l'ignore : la puissance demeure bien à l'Élysée. Et – ce qui n'est pas le moins étonnant – la période cohabitationniste a finalement peu changé les choses. Ni les rapports de forces, ni les ambitieux. À gauche, deux hommes, François Mitterrand et Michel Rocard dominent. À droite, le triangle est toujours le même et enferme trois personnalités, Raymond Barre, Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing.
Les voilà tous, à quinze mois de l'échéance normale, celle de mai 1988, aux marches du palais. De ces cinq-là, l'un triomphera. Mais si la cohabitation a pu un moment troubler le jeu, cette vérité-là est inéluctable. Corneille, finalement, avait bien raison lorsqu'il assurait : « Car ce n'est pas régner qu'être deux à régner. »
Michel Schifres
Après avoir été journaliste à Combat, au Monde, et au Quotidien de Paris, Michel Schifres est actuellement le rédacteur en chef du Journal du Dimanche. Il a notamment publié, en collaboration, l'Élysée de Mitterrand. Son prochain livre, l'Enaklatura, aux éditions Lattes, traite de l'ENA et des énarques.