La désinflation partagée

Mauroy puis Fabius, Delors puis Bérégovoy : une même politique de désinflation et de limitation de la demande intérieure est poursuivie en France depuis deux bonnes années quand commence 1985. Il est clair que cette politique continuera, légèrement retouchée, jusqu'à l'extrême limite autorisée par l'échéance électorale du printemps 1986. Cette limite, c'est la fin d'été 1985. Les décisions de l'automne 1984 quant aux impôts et aux cotisations sociales montrent bien qu'à partir de l'automne prochain le pays devra se sentir en meilleure forme, même si des handicaps profonds subsistent.
Pour les acteurs de l'économie, l'année 1984 et le début 1985 sont l'époque des fruits doux-amers de la politique d'assainissement amorcée au second semestre 1982.

C'est l'amer qui domine pour les ménages. La douceur, c'est chez un autre acteur qu'elle commence, malgré tout, à être appréciée : les entreprises. Un nouveau partage social qui leur est favorable se met en place.

Le pouvoir d'achat des ménages

Pour les ménages, 1984 est la seconde année d'un long hiver des rémunérations. Le pouvoir d'achat de leur revenu disponible brut avait diminué de 0,7 % en 1983 ; il recule de 0,5 % environ en 1984. Les prestations sociales reçues par les ménages, qui forment le tiers de ce revenu, progressent encore en pouvoir d'achat, mais plus lentement. Restreinte par la diminution de l'emploi, le reflux des évolutions nominales et l'augmentation des cotisations sociales, la masse des salaires nets reçus par les ménages décroît, en valeur réelle, de 0,3 % en 1983 et de 2,5 % en 1984. En 1985, le pouvoir d'achat du revenu disponible brut des ménages devrait retrouver une progression de l'ordre de 2 %. Personne n'ose pourtant dire que cela marquera vraiment la fin du seul grand hiver des rémunérations enregistré depuis 1960.

Les conséquences ne sont pas minces pour l'économie : le taux d'épargne baisse. La consommation des ménages connaît une progression très faible. Et l'époque des vaches maigres n'est aucunement finie pour le consommateur si l'on croit toutes les prévisions économiques à cinq ans établies en 1984.

Entreprises

Le temps froid tombé sur les ménages était particulièrement marqué dès 1983. Pour les entreprises, le climat apparaissait alors tout au plus attiédi. Ce n'est pas avant le milieu de 1984 que leurs dirigeants ont perçu un changement. Les soucis causés par un endettement fortement accru après le second choc pétrolier, puis les largesses aux ménages d'après juin 1981 brouillèrent leur vue. Un tournant était pourtant en cours, dès 1983, dans le partage social.

En 1984, l'excédent brut d'exploitation des sociétés, hors les entrepreneurs individuels, augmente de quelque 17 % en valeur. Cette progression est à rapprocher de celles des années précédentes : 7 % seulement en 1981, 16,2 % en 1982 et 15,6 % en 1983. L'épargne brute des sociétés, qui avait été en baisse en 1981, puis en augmentation de 8 % seulement en 1982, s'accroît en valeur de 27,5 % dès 1983 et d'un tiers environ en 1984 ; l'élan est puissant : on prévoit pour 1985 une nouvelle progression proche d'un quart.

Ces bonds des revenus d'entreprises changent le partage social en leur faveur. Le taux de marge brute des sociétés — autrement dit la part de la valeur ajoutée qui leur reste après règlement des salaires et autres frais d'exploitation — était tombé à moins de 25 % en 1981-1982 ; il remonte à 27 % environ en 1984 et devrait approcher 29 % en 1985. Le taux de marge nette des sociétés, c'est-à-dire la part de leur valeur ajoutée devenant une épargne disponible pour investir ou réduire les dettes, avait touché le minimum historique de 9,1 % en 1982. Remonté à 10,5 % en 1983, ce taux approche 13 % en 1984 et s'élèvera peut-être à près de 15 % en 1985.

Ce sont des mesures de politique économique qui contribuent pour une part à cette forte amélioration des marges : désindexation des salaires, modération de la hausse des cotisations sociales employeurs, acceptation de la baisse des effectifs employés, abattement en 1985 sur la taxe professionnelle. Le reste vient de la conjoncture internationale et notamment de la hausse modérée du coût des matières premières importées. L'accélération de nos exportations soutient l'activité. La baisse des effectifs aidant, une augmentation notable de la productivité industrielle revient : 4,5 % en 1983, près de 6 % en 1984.