Le pire n'arrive pas toujours
Michel Tatu
L'année n'aura pas été conforme aux prévisions d'Orwell dans son célèbre roman 1984 pour ce qui est de l'état général du monde. Mais elle n'en aura pas été si éloignée dans la mesure où elle n'aura fait que prolonger et parfois aggraver les problèmes hérités de ses devancières, sans en régler aucun.
Certes, aucune guerre nouvelle n'a été déclenchée. Mais les conflits d'Afghanistan, du golfe arabo-persique et d'Amérique centrale ont continué de faire rage, tout comme les guerres larvées d'Afrique auxquelles la famine a ajouté son cortège d'horreurs.
Et, si l'assassinat d'Indira Gandhi, en octobre, n'a pas eu les effets politiques espérés par ses auteurs, il n'en a pas moins montré la fragilité des systèmes les plus stables face à la violence des foules déchaînées et au terrorisme fanatique.
Il est vrai que l'affrontement des deux superpuissances, très vif en 1983 et dans la première moitié de 1984, a fait place, à la fin de l'année, à quelques espoirs. 1984, année de l'après-Pershing, n'a pas vu la guerre éclater en Europe comme le redoutaient les plus inquiets des pacifistes, ni même les risques de guerre augmenter de manière significative.
Mais le déploiement des missiles américains en Europe, commencé en 1983 et poursuivi en 1984 (une centaine se trouvaient en place à la fin de l'année), n'en a pas moins conduit à de vives manifestations de dépit soviétiques et à ce qu'on a pu appeler une « glaciation » des relations Est-Ouest, qui s'est manifestée par le gel des négociations sur les armements.
Secouée en février par la mort de Iouri Andropov — nouvelle manifestation de la crise de succession à répétition ouverte en 1982 par la disparition de Brejnev —, l'URSS a commencé par se replier frileusement sur sa colère et ses problèmes internes.
Moscou est allé jusqu'à refuser toutes les invites au dialogue multipliées par Ronald Reagan au fur et à mesure que se développait sa campagne électorale, à boycotter, elle et ses amis, les jeux Olympiques de Los Angeles et à tenter d'entraîner ses satellites dans une politique de durcissement en Europe même : E. Honecker, chef du parti et de l'État en RDA, n'a pas pu faire en Allemagne de l'Ouest la visite qu'il projetait en septembre et a dû accepter des missiles nucléaires soviétiques, sans mettre fin pour autant, il est vrai, à une fructueuse coopération avec Bonn.
Il a fallu, en novembre, la triomphale réélection du président Reagan pour que Moscou se décidât enfin à réchauffer l'atmosphère et à accepter un dialogue qui ne pouvait attendre quatre ans. Rendez-vous a été pris pour reprendre sous une forme nouvelle, en janvier 1985, le dialogue des deux superpuissances sur les armements.
Et François Mitterrand lui-même, soucieux de renouer une relation mise en sommeil au cours des trois premières années de son mandat et de freiner les programmes d'armes spatiales du président américain, s'est dit désireux d'accueillir son homologue soviétique Constantin Tchernenko à Paris.
L'Amérique retrouvée de Ronald Reagan, fouettée par une reprise économique plus vigoureuse que dans tout autre grand pays du monde, n'en est pas moins décidée à confirmer son retour en force sur la scène. Le régime marxiste-léniniste du Nicaragua, plus exposé que jamais aux pressions américaines et en butte à une guérilla ouverte, n'a pas desserré le carcan après des élections qui l'ont consolidé au pouvoir, mais qui restent contestées par l'opposition après avoir été boycottées.
Dans le Salvador voisin, José Napoléon Duarte a été, lui aussi, consolidé par des élections générales et a tenté de nouer un dialogue avec son opposition armée. Le résultat n'est guère concluant jusqu'ici, mais Napoléon Duarte est lui du moins puissamment épaulé par les États-Unis.
La puissance américaine a été en revanche mise en échec au Proche-Orient, comme l'a montré le départ peu glorieux du contingent américain de Beyrouth. Il est vrai que les États-Unis, tout comme la France et les autres pays participant à la force multinationale d'interposition, n'ont pu que tirer les conséquences du retournement de la situation constaté au Liban dès 1983 et de la consolidation de l'influence syrienne sur ce pays. François Mitterrand, au cours de son voyage à Damas à la fin de l'année, en a pris acte, tout comme les Israéliens, lesquels, sous la conduite d'un nouveau gouvernement de grande coalition et du travailliste Shimon Pérès, ne songent qu'à sortir à leur tour du bourbier libanais.